En octobre 2023, s’achevait le tournage de la treizième saison de Death in Paradise (Meurtre au Paradis). Le succès est au rendez-vous d’une série policière qui a comme unique décor, la Guadeloupe. 

Texte Alix Delmas

Diffusée sur France 2, BBC One en Angleterre et dans plus de 210 autres pays, la série affiche une audience cumulée de plus de 100 millions de téléspectateurs. Elle met en scène un inspecteur de police anglais sur l’île fictive de Sainte-Marie. Chaque épisode s’ouvre sur la découverte d’un corps, s’ensuivent les péripéties de l’enquête qui aboutissent à la scène du dénouement où est démasqué le coupable. Plane l’ombre d’Hercule Poirot, sauf qu’il s’agit ici d’un Anglais, non d’un Belge ; flegme, humour et originalité ponctuent des résolutions criminelles en plein cœur d’un mode de vie caribéen. La magie opère depuis 13 ans.

Chaque saison, la beauté de l’archipel guadeloupéen sert d’écrin à un quotidien caribéen à l’esthétique travaillée. Ce fut le choix du créateur de la série en personne, Robert Thorogood. La série est inspirée d’un fait réel, un entraîneur anglais d’une équipe de cricket qui est retrouvé mort dans sa chambre d’hôtel en Jamaïque dans des circonstances mystérieuses. La victime étant anglaise, un enquêteur britannique est alors envoyé en Jamaïque pour résoudre l’enquête. Rebecca Bering, en charge des repérages des décors pendant 7 saisons, aujourd’hui, responsable du Bureau d’accueil des tournages de la Région Guadeloupe explique que Robert Thorogood lui a indiqué avoir visité plusieurs îles, notamment anglaises, avant de faire son choix. Lors de sa venue à la Guadeloupe, il est tombé amoureux de la commune de Deshaies, « on y voit la mer partout et c’est un charmant village » lui aurait-il dit. Donnons-lui raison, la Grande Terre et la Basse Terre offrent, de par leurs différences géologiques, une très grande variété de paysages et décorum pour y ancrer chaque nouvel épisode. 

Un tremplin professionnel

Le tournage de la première saison a débuté en 2011, dès le départ, la Région a participé financièrement à cette production franco-anglaise, aux côtés de Red Planet et DIP 10 (anciennement Skyprod). Le CNC (Centre National du Cinéma) contribue également par le crédit d’impôt international qui concerne les films d’initiative étrangère dont tout ou partie de la fabrication a lieu en France. L’entente de ces 4 acteurs permit ainsi, sur place, la création de tout un ecosystème socio-professionnel et même touristique. « De nombreux techniciens, des jeunes, étudiants en BTS à Pointe-Noire ont commencé comme stagiaires sur le tournage, puis se sont vus proposer à la suite des postes de premier ou d’assistant, essentiellement à la caméra, à la lumière », explique Emmanuel Bagbonon, directeur de production DIP 10. « Certains ont évolué tout au long des saisons, quand d’autres ont poursuivi leur carrière en dehors des frontières pour revenir après quelques années. Il y a aussi tous ceux, jeunes ou moins jeunes qui ont intégré des départements comme la régie où il s’agissait d’être polyvalent, d’avoir une bonne énergie, ils y ont découvert la diversité des professions du cinéma, ont décidé de se former et sont aujourd’hui avec nous à des postes clés ». Si son rôle consiste à cadrer les logistiques économiques et techniques du tournage, la dimension humaine est, elle aussi, primordiale dans le succès d’une telle entreprise. Les occasions de travailler avec des équipes étrangères par leur langue et leur culture n’est pas si fréquent à l’échelle du territoire. Là, sur place, ce qui se joue au quotidien, entre Britanniques et Guadeloupéens, c’est « la bonne cohésion des équipes et des compétences sur un tournage qui dure plus de 6 mois », sourit Emmanuel Bagbonon.

Un mariage heureux

13 ans de tournage c’est une relation longue. Elle s’est construite au fil du temps entre l’équipe anglaise et l’équipe locale. Les trois premières saisons ont ainsi été les plus difficiles, reconnaissent nos interlocuteurs, entre les adaptations des techniques audiovisuelles à une île, les matériels parfois différents, la barrière de la langue. D’un côté, les techniciens guadeloupéens n’avaient pas la même expérience de tournage de série télévisée, de l’autre, il s’agissait d’un nouveau travail de lumière pour les équipes caméra, le directeur de la photographie. Ce temps de découverte et d’adaptation exigea de chacun de se nourrir des expériences de l’autre équipe, ce qui aboutit aujourd’hui à des conditions de travail optimales et une entente professionnelle totalement « naturelle », cite le directeur de production.

« Preuve en est la qualité et la longévité de la série produite, qui témoigne à la fois de la solidité des compétences et d’un écosystème professionnel dynamique sur
le territoire »

Pouvoir d’attraction

Preuve en est la qualité et la longévité de la série produite, qui témoigne à la fois de la solidité des compétences et d’un écosystème professionnel dynamique sur le territoire. La série exerce même un autre pouvoir d’attraction, où fans et curieux ont la possibilité de visiter les décors emblématiques de la série en haute saison comme Honore Police Station ou l’emplacement de la maison sur la plage de la Perle de l’inspecteur. Des agences de tourisme proposent même des city tours axés sur la visite des plateaux de tournage. Ensuite, naturellement, dans le giron de la série anglaise naissent aussi de nouvelles attentions pour la Guadeloupe de la part d’autres entités de productions audiovisuelles, attentives aux tendances et au succès confirmés. Ainsi, le dernier tournage en date fut celui de Meurtres en Guadeloupe, une série policière diffusée sur France 3 le 25 novembre dernier. Ou comment la Guadeloupe étend pas à pas sa notoriété dans le secteur et normalise sa place à la fois comme paysage cinématographique et comme écosystème professionnel. Et si l’avenir des Îles de Guadeloupe pouvait aussi s’écrire à la lumière d’un plateau de cinéma ? 

Tournage saison 13 série Meurtre au Paradis, Guadeloupe 2023

6 800 jours de travail

Depuis 2016, c’est 3 millions d’euros d’aides accordées à la série par la Région Guadeloupe qui a engendré plus de 25 millions de retombées économiques directes et indirectes sur le territoire telles que la location des décors (maisons, villas, bâtiments publics, restaurants), l’hébergement, la restauration, la location des véhicules, les achats de matériel et fournitures. Une saison de tournage représente 6 800 jours de travail, l’embauche d’une centaine de techniciens résidant en Guadeloupe et plus de 500 figurants.
(Chiffres BAT Région Guadeloupe)