Espaces d’expérimentation remarquables, laboratoires à ciel ouvert, les Antilles-Guyane ont, depuis longtemps, fait preuve d’audace en matière de recherche. Un positionnement que les défis environnementaux actuels ne font que renforcer, plaçant l’excellence au cœur de nos territoires. 

Texte Sarah Balay – Photo Jean-Albert Coopmann

La recherche se construit sur les territoires en lien avec les besoins des territoires et pas seulement de manière descendante en lien avec les enjeux nationaux.

Jean-Raphaël Gros-Désormeaux, chercheur, représentant du CNRS, directeur de l’UMR PHEEAC (ex LC2S) et membre du comité de direction et du conseil scientifique du CEBA
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Pascal Saffache directeur du laboratoire AIHP-GEODE Caraïbe de l’université des Antilles et Colette Medouze (UR6-1AIHP-Geode)

La recherche aux Antilles-Guyane

Fin octobre 2023, le monde de la recherche antillaise est en ébullition. Il faut dire que l’événement est historique. Pour la première fois, l’université des Antilles (UA) entre dans le palmarès du prestigieux classement international de Shanghai. Distinguée dans le domaine de l’écologie, l’UA figure désormais parmi les 84 établissements de l’enseignement supérieur français reconnus pour leur dynamisme et leur niveau d’excellence. Une belle reconnaissance qui salue « un pas majeur franchi par les chercheurs de l’UA et par la nouvelle gouvernance », selon le Pr. Pascal Saffache, directeur du laboratoire AIHP-GEODE Caraïbe de l’université des Antilles. Bien que les Antilles aient toujours occupé une place particulière en tant qu’espaces d’expérimentations d’un point de vue institutionnel et scientifique, une nouvelle impulsion semble bien se dessiner. « Plusieurs facteurs entrent en jeu », poursuit le Pr. Pascal Saffache. « Les chercheurs sont recrutés sur la base exclusive de leurs travaux (les commissions de recrutement sont d’ailleurs de plus en plus exigeantes), les moyens financiers ont progressé – même si nous aimerions disposer d’encore plus de moyens – et les collaborations avec des institutions étrangères sont aujourd’hui plébiscitées ».  

Pour autant, l’écosystème de la recherche Antilles-Guyane ne ressemble pas à celui de l’Hexagone qui compte plus d’une centaine de laboratoires d’excellence dits “labEx”. Constitués d’équipes appartenant à des unités de recherche à l’excellence reconnue, ils sont le plus souvent mixtes entre universités et organismes de recherche nationaux. À ce jour, nos territoires en comptent deux : le CEBA et le DRIIHM. Ils complètent, sur place, les représentations d’organismes de recherche français, les UMR (unité mixte de recherche qui prévoit un contrat de 5 ans avec au moins deux tutelles, universités et organismes de recherche, qui fournit moyens et personnels) et les unités de recherche (UR) rattachées à l’université. 

Écosystème propice au labEx ?

Sous nos latitudes, les sujets de recherche sont multiples : l’environnement sous l’angle de la biodiversité et du changement climatique ; la gestion des risques naturels majeurs ; la santé en milieu tropical et le post-esclavage.
« La logique de territorialisation prédomine aujourd’hui », complète Jean-Raphaël Gros-Désormeaux, chercheur, représentant du CNRS, directeur de l’UMR PHEEAC (ex LC2S) et membre du comité de direction et du conseil scientifique du CEBA. « La recherche se construit sur les territoires en lien avec les besoins des territoires et pas seulement de manière descendante en lien avec les enjeux nationaux »

Il faut toutefois différencier la Guyane et les Antilles. « La Guyane est un spot unique en matière de recherche et de biodiversité », poursuit Jean-Raphaël Gros-Désormeaux. « C’est là-bas que se trouve la plus forte implantation et visibilité du CNRS, véritable locomotive, sans compter tous les autres grands organismes de recherche. Cette structuration et cet écosystème sont propices à la mise en place d’un labEx. A contrario, la Guadeloupe et la Martinique sont deux territoires avec des dynamiques pas toujours convergentes et des collectivités qui ont leur propre logique. Une configuration, pilotée et animée par l’université sur deux territoires, est plus contraignante dans le cadre d’un labEx. Mais cela ne veut pas dire que l’excellence n’est pas présente, bien au contraire ».

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Jean-Raphaël Gros-Désormeaux, chercheur, représentant du CNRS, directeur de l’UMR PHEEAC (ex LC2S)

Recherche : vers un site pilote et d’excellence aux Antilles 

L’appellation labEx pourrait toutefois bientôt disparaître puisque le dispositif s’achève d’ici à 2025. Il faut désormais parler de PEPR, programmes et équipements de recherche. Un nouveau programme et un nouvel acronyme avec le même objectif : construire et/ou consolider le leadership français. Une opportunité dont la recherche antillaise aimerait se saisir. En effet, le contexte actuel de dérèglement climatique, au-delà de son aspect tragique, est un élément moteur pour nos territoires micro-insulaires.
« Tous les phénomènes physiques qui s’y passent se déroulent sur des surfaces restreintes, donc dans des temporalités très réduites », avance le Pr. Pascal Saffache. « Nous pouvons donc observer des processus d’érosion et de dégradation sur quelques semaines, contre plusieurs années sur de plus vastes territoires. Nous pouvons ainsi servir de modèle en testant des solutions potentielles. L’objectif est de faire de cette contrainte une opportunité majeure, pour obtenir des financements et établir des collaborations internationales ».

Une ambition partagée par Jean-Raphaël Gros-Désormeaux qui mise sur un PEPR aux Antilles d’ici à 2026. « La dernière feuille de route Outre-Mer du CNRS évoque la mise en place d’une pépinière interdisciplinaire (co-dirigée par l’UA et le CNRS) pour tendre vers un site pilote et d’excellence. Nous avons le personnel et les compétences, il nous manque un consensus sur l’animation et les sujets à prioriser. L’un des grands enjeux sur lequel nous sommes attendus, c’est le continuum terre-mer, avec implications socio-économiques et culturelles, qui couvre toutes les problématiques actuelles : risques climatiques (forte pluviométrie, glissement de terrain), sargasses, pollution, conservations de la nature, agricultures (changements de pratique) ».
Une démarche qui pourrait intéresser l’ensemble des îles volcaniques des petites Antilles. À suivre.

Définition
Un LabEx, c’est quoi ?
LabEx est un mot-valise fabriqué à partir de la contraction de « laboratoire d’excellence ».  Les premiers « super labos » français apparaissent suite à l’appel à projets lancés en 2010 dans le cadre du programme d’investissement d’avenir (PIA). Doté d’une enveloppe globale de 35 milliards d’euros (12 milliards supplémentaires en 2014), ce dispositif entend favoriser l’innovation et la compétitivité française dans des domaines spécifiques.