Tom pouce OKUne famille sur cinq aux Antilles a plus de trois enfants, deux sur cinq en Guyane. Lorsqu’on se sent fatigué et vite sur les nerfs alors qu’on n’a qu’un seul enfant, certes turbulent, on est logiquement fasciné par ces grandes familles qui se baladent dans la vie avec beaucoup d’aisance. Comment font-elles ? Trois mères ont livré à T’OM Pouce leurs témoignages.

Caroline, 39 ans, Baie Mahault (Guadeloupe), maman de trois enfants âgés de 12, 10 et 6 ans

“ Nous avons accueilli notre premier enfant dans la joie – nous étions de doux rêveurs – avec la peur de l’inconnu aussi. Nous espérions avoir un enfant en bonne santé, et j’idéalisais l’accouchement. Mais les choses ne se passent pas toujours comme on en a envie. J’avais 26 ans, j’ai accouché de Marie par césarienne, en urgence, le bébé ne respirait plus. Puis elle a eu de gros problèmes de santé. Elle fut opérée à deux ans et demi d’une cataracte congénitale, puis opérée des oreilles. La journée, je n’avais pas une minute de pause. J’étais épuisée. Marie avait le sommeil très léger, elle a passé 18 mois dans mes bras. La réverbération blessait se yeux : dès qu’on la mettait à l’extérieur, elle hurlait. Lorsque Marie s’est fait opérée, sa petite soeur était déjà née. Mais après ces deux césariennes et tous ces problèmes, je ne voulais plus d’enfant. Et puis, quatre ans après… surprise ! Notre petit garçon a vu le jour.

Trois enfants, c’est du bonheur. Je ne travaille pas, je suis avec eux le mercredi, pendant les vacances, et j’ai la chance d’avoir quelqu’un à la maison pour ménage et repassage. C’est très enrichissant, je ne vois pas vivre sans mes enfants. Ça ne me dérangerait pas de passer à 4, même si j’approche de la quarantaine. Le bonheur, c’est de les retrouver tous les trois le matin dans un lit une place. Ils sont très proches, c’est une belle fratrie, ils sont attentifs les uns aux autres, même s’ils se bagarrent, même s’il y a de la jalousie entre les filles.

A happy black African American family of two parents and three children, two boys one girl, sitting together outside.
Une famille sur cinq aux Antilles a plus de trois enfants

La difficulté : l’obéissance. On a à faire à une génération très dure. Nos parents nous disaient les choses une fois et on obtempérait. Aujourd’hui, il faut discuter avec nos enfants, les mettre face à leurs responsabilités et répéter.

Parfois je m’arrache les cheveux, une famille nombreuse demande un rythme, des règles. S’ils n’obéissent pas quand il faut se préparer, ça met tout le monde en retard ! Depuis tous petits, je leur apprends des bases, un rythme, le respect : aller à la douche dès le lever – ainsi ils passent plus vite au petit déjeuner – travailler à leur bureau. C’est incontournable. Mais il y a parfois des cris le matin, il ne faut pas idéaliser. Si c’était à refaire ? J’aurais aimé accoucher naturellement et avoir cinq enfants ! ”

Betty, 50 ans, Saint-Joseph (Martinique), maman de cinq enfants âgés 12, 11, 9, 5 et 3 ans

“ J’ai eu mon premier enfant à 38 ans. A 32 ans, je n’étais pas encore mariée. J’avais une grande peur du mariage. Mon père a toujours trompé ma mère. Je pensais que ce n’était pas la peine de se marier pour vivre cela. J’avais peur d’avoir des enfants aussi. Mon père étant de rhésus négatif et elle de rhésus positif : ma mère, enceinte de moi, redoutait qu’il faille changer mon sang à ma naissance. Longtemps, j’ai gardé cette peur intense en moi. Et puis, un pèlerinage en Croatie a fait refluer les craintes.

FAMILLE MARTINIQUENeuf mois après mes fiançailles avec mon futur mari, notre premier fils est né. Six mois après avoir accouché, à deux reprises, je suis à nouveau tombée enceinte, de mes second et troisième fils. Quatre ans après, une fille naissait, j’avais 44 ans. Et à 46 ans, mon ventre s’est à nouveau arrondi : c’était une seconde fille ! (Rires)

Une famille nombreuse, c’est énormément de joie et d’échanges. Ça se bouscule, ça se chamaille, et cela nous stimule, nous permet de nous remettre sans cesse en question. La vie nous les a confiés pour nous aider à grandir, et nous sommes de plus en plus riches leur père et moi. Intérieurement, spirituellement, ça booste. Nous sommes à l’écoute car ils ont beaucoup à nous apporter, l’amour nous construit. J’ai beaucoup de patience, j’accepte cette pagaille si c’est bon pour leur épanouissement !

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Entre les cinq enfants de Betty, la complicité est forte.

Avec cette grande fratrie, nos enfants ont acquis une sensibilité, ils sont attentifs aux besoins des plus jeunes, ils sont moins égoïstes peut-être, même s’ils réaffirment toujours leur territoire. Ils font du vélo, des jeux vidéos et des jeux de société ensemble, s’affrontent, rient, veulent dormir à deux chez leur mamie – jamais seuls !

J’ai dû apprendre à tout faire, je ne savais pas préparer un biberon, je ne connaissais même pas le nom d’un hochet. Avec le premier bébé, j’étais débordée en permanence. Avec le second, c’était mieux. Avec le troisième, ça roulait tout seul. Après, c’est une histoire d’organisation : nous murissons tous les mois en fonction de l’évolution et des besoins de chacun. Avec une trame de base qui nous aide à fonctionner. L’organisation est complexe bien sûr. Pour gérer sport, musique, école, danse, activités du mercredi et du samedi, nous ne sommes que deux… Les semaines sont denses, trop peut-être. Mon mari est à son compte, je suis intervenante en anglais en petites classes, 7 heures par semaine. Je ne pourrais pas faire plus.

Les enfants s’entendent bien. Nous essayons de les faire parler quand ils se chamaillent fort. Il faut qu’ils apprennent à s’aimer avec ce qu’ils ont de bon et de moins bon. Le moins bon, toute cette énergie qui peut faire du mal autour d’eux, il faut essayer de le canaliser, le faire passer dans le sport, dans la musique – ils en font tous – , dans la lecture.

J’adore cette fratrie de cinq enfants. J’en aurais eu plus si j’avais été plus jeune. Le plus important est de pouvoir se pardonner les uns les autres, parents et enfants, et de réajuster sans cesse. ”

Hélène, 32 ans, Cayenne (Guyane), trois enfants âgés de 7, 4 et 2 ans

“ Avoir des enfants, c’est notre projet depuis que nous sommes mariés. Nous sommes tous les deux issus de familles de trois enfants, c’est la norme! Nos enfants sont nés en Guyane, où nous vivons depuis dix ans. Lorsque notre aîné a vu le jour, je n’avais que 24 ans, j’ai repris les études peu après, notre situation n’était pas stabilisée. C’était assez dur tant qu’il était petit. Mais après la naissance de ma première fille, je me suis vraiment sentie maman : j’avais envie d’un troisième bébé ! Il est vrai que les choses étaient plus posées, ça roulait bien. Avec notre troisième, ça roule toujours, mais il faut de l’organisation. D’autant que je travaille à 80% comme puéricultrice à la PMI. Pour mes trois grossesses, je ne me suis arrêtée que durant les congés maternité – sauf pour la dernière, que j’ai gardée 6 mois.

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A trois ça roule toujours, même si c’est parfois un peu sport !

Notre dernière fille a tardé à faire ses nuits. C’est épuisant dans le contexte actuel, avec trois enfants. Dès que l’un de nos petits est malade, ou qu’il y a un grain dans les rouages, c’est dur. Mais c’est important pour moi de combiner vie professionnelle et vie de famille. Travailler m’apporte un équilibre, une vie sociale.

Nos trois enfants sont différents mais s’entendent bien. Une fratrie, cela apprend le partage – les parents ne sont pas centrés sur un seul enfant. L’autonomie aussi, l’entraide : ce sont des valeurs fortes. Même si on ne s’en rend pas compte, on n’élève pas de la même façon un ou trois enfants. Ce n’est pas toujours évident, on essaie d’avoir du temps avec chacun, c’est cela qui est fatigant. Quand les petites font la sieste, nous faisons une activité avec le grand. Mais ça se fait bien, nous sommes comblés !

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Hélène, son époux et leurs trois enfants dans leur jardin, à Cayenne.

D’autres enfants ? C’est peu probable. L’aspect financier nous freine. Prendre l’avion à cinq pour voir la famille en Métropole, c’est déjà lourd. Et nous pensons à l’avenir, lorsque les besoins seront plus importants. Quoique, la petite dernière n’a que deux ans, et moi seulement 32… ce n’est peut-être pas un « non » définitif ! ”