L’eau potable, un droit fondamental aux Antilles ?
L’eau potable, un droit fondamental aux Antilles ?
Eau secours. Rappelez-vous des premières minutes du magazine Envoyé Spécial d’Elise Lucet, paru le 18 février 2021 : « chez Kelya, 12 ans, dès le petit-déjeuner, c’est Système D ». Avec une eau qui coule au compte-gouttes depuis des années, les citoyens n’ont eu de cesse de devoir s’adapter au jour le jour pour vivre au quotidien.
Les conséquences sont visibles : écoles fermées, économie ralentie et des conditions sanitaires non satisfaisantes en pleine pandémie mondiale. Pourtant, la loi existe bel et bien ; et à la question « l’eau est-elle un droit fondamental ? », on peut d’ores et déjà vous dire que « la réponse est oui ».
Le droit des individus à l’eau potable et à l’assainissement est même reconnu au plan international comme un droit fondamental de l’homme.
En juillet 2000, l’Assemblée générale des Nations unies a même adopté une résolution pour reconnaître l’eau comme un droit fondamental, « essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’homme ».
Alors, comment expliquer que ce droit ne soit pas appliqué ? Qui pour défendre ce dossier ? Et quelles perspectives pour 2030, si nous n’avons pas d’eau en 2021. Réponses.
En France, l’article L. 210-1 du code de l’environnement dispose que « l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable, dans des conditions économiquement acceptables par tous ».
Une résolution du Conseil des droits de l’homme a d’ailleurs affirmé que « le droit fondamental à l’eau potable et à l’assainissement découle du droit à un niveau de vie suffisant » – tel qu’il est notamment défini dans le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels – « et est indissociable du droit au meilleur état de santé physique et mentale susceptible d’être atteint, ainsi que du droit à la vie et à la dignité ».
De l’importance de connaître nos droits
« Le point de départ c’est quand même une situation vécue par nous tous » commence Maître Clémentine Plagnol. L’avocate commis d’office dans « l’affaire de l’eau », qui a agité l’actualité en mars 2020, revient sur l’importance de la connaissance de nos droits.
« J’habite dans un secteur où les coupures d’eau sont récurrentes et comme des milliers de Guadeloupéens, je souhaite qu’il y ait un véritable plan d’action concret qui soit mis en place. Il ne s’agit donc pas que de ma profession. Il s’agit aussi d’un point de vue citoyen qui est confronté aux mêmes maux que d’autres citoyens. »
Une situation ingérable et qui ne peut plus durer dans un contexte géo-sanitaire dégradé.
« La réalité, c’est qu’au quotidien, on s’habitue à devoir se chercher de l’eau alors que nous ne devrions pas. En l’occurence, le scandale existe toujours. C’est de là que vient l’aberration de ce dossier. »
SOS, pas d’eau en pleine épidémie mondiale
« L’épidémie mondiale a montré que sans hygiène élémentaire, les risques pour la santé étaient grands. La France a déclaré l’urgence sanitaire, et les préfets de chaque région doivent prendre des mesures pour éviter la propagation de ce virus. »
« Ainsi comment appliquer la première des mesures sanitaires, le lavage des mains, lorsque l’on n’a pas d’eau ? » s’indigne l’avocate au téléphone. Avec un risque d’épidémie en hausse et les nombreuses alertes des agences régionales de santé sur les trois territoires, il semble que la situation soit bien paradoxale.
« Nous colmatons les plaies au coup par coup car tout le monde accuse l’acteur en face d’être responsable. »
Arrêter le système D et trouver des solutions durables
Avec 60% de pertes d’eau, le réseau guadeloupéen est le réseau français le plus vétuste, ce qui s’avère être une problématique majeure lorsque l’on sait la situation actuelle et l’évolution des ressources en eau dans les années à venir.
- Un comité de pilotage a été demandé par les principaux acteurs de l’eau en Guadeloupe.
- Une filiale du groupe Suez a d’ailleurs été réquisitionné pour réparer 3898 fuites sur tout le réseau.
- Un rapport de 106 pages a été rédigé par 27 mains expertes.
Un site « urgence eau Guadeloupe » a été mis en place pendant toute la durée de la maintenance. L’un des facteurs de réussite réside selon le rapport « dans l’instauration d’un pilotage et d’une coordination centralisés des moyens humains et financiers ».
Une plaidoirie entendue dans un concours national
Le 21 mars dernier avait lieu le concours national de plaidoiries du Mémorial de Caen. Parmi les avocats appelés à déclamer, Maître Clémentine Plagnol, avocate au barreau de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, spécialisée en droit international, est montée sur scène. « Aimé Césaire disait qu’une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde ». Résoudre la problématique de l’eau potable, c’est entamer une réflexion sur l’eau comme besoin vital mais aussi sur la problématique des nappes phréatiques à dépolluer.
La Guyane, la Guadeloupe et la Martinique sont concernées
D’après les rapports de l’UNESCO : 2,1 milliards de personnes ne disposent pas d’eau potable chez elles. D’ici à 2050, la demande mondiale en eau devrait augmenter de 20 à 30%. Interrogée par Novethic, Audrey Azoulay, directrice générale de l’UNESCO expliquait la situation alarmante suivante « nous avons besoin de solutions nouvelles pour la gestion des ressources en eau afin de contrebalancer les défis émergents relatifs à la sécurité de l’eau que posent la croissance démographique et les changements climatiques. C’est un enjeu majeur que nous devons tous ensemble relever avec une approche vertueuse afin de prévenir les conflits liés à l’eau ».