Dr Tristan Komorn : « Toutes les solutions sont dans la nature »
Utiliser la richesse des plantes et des médecines ancestrales est pour lui une évidence. Tristan Komorn, pharmacien passionné, consacre temps et écoute à ses patients…
Dr Tristan Komorn : « Toutes les solutions sont dans la nature »
Utiliser la richesse des plantes et des médecines ancestrales est pour lui une évidence. Tristan Komorn, pharmacien passionné, consacre temps et écoute à ses patients…
Qu’est-ce qui vous a conduit au métier de pharmacien ?
Sûrement ma grande curiosité ! Enfant, j’étais passionné par les sciences de l’observation comme la biologie, la botanique. J’ai toujours eu besoin de comprendre pour apprendre. J’allais à la bibliothèque municipale consulter des encyclopédies pour trouver des réponses aux questions que je me posais. Mon père, géologue, a contribué à sa manière à cette vocation, évoquant à chaque promenade les fossiles, les minerais, la faune, la flore, mais aussi… les champignons. J’étais absolument passionné par les champignons et à 10 ans, je connaissais tous les noms vernaculaires et scientifiques, les propriétés, et savais aussi les reconnaître, les cueillir et les cuisiner. Travailler en recherche appliquée dans l’industrie était une évidence. Ma mère m’a suggéré les études de pharmacie qui m’ouvraient la voie de la recherche et développement. J’ai suivi une filière pharmacie industrielle spécialisée en chimie, tout en passant une maîtrise de chimie analytique et un DESS contrôle des médicaments. Grâce à des stages volontaires au sein de laboratoires pharmaceutiques, j’ai pu apprendre à contrôler les principes actifs et mettre au point des méthodes d’identification et de dosage.
Comment êtes-vous passé de la pharmacie industrielle à la pharmacie d’officine ?
J’ai consacré neuf ans à l’industrie pharmaceutique spécialisée dans les gaz médicaux ! Je suis arrivé en Guadeloupe pour travailler à la mise en conformité du site d’Air liquide Santé à Bergevin (Pointe-à-Pitre). Puis, je me suis converti à la pharmacie d’officine. Pour exercer ce métier, je devais lui donner un sens, car je ne me voyais pas du tout vendeur de boîtes de médicaments. Pour moi, donner un sens, c’est offrir au patient le conseil et pas seulement un produit. Me mettre à leur service.
Si vous aviez la possibilité de changer quelque chose dans notre système de santé, vous changeriez quoi ?
Notre système de prise en charge médicale faisait référence dans le monde entier et offre accès à l’excellence des soins, y compris si on n’a pas d’argent. C’est une conception de la santé profondément humaine. Ça me plaît. Grâce à ce système démocratique, j’ai pu faire des études de pharmacie, ce que n’auraient pu m’offrir mes parents. Nous disposons d’incroyables moyens d’investigation pour, très tôt, dire le nom d’une maladie et définir ses caractéristiques. Pourtant, à mon sens, la médecine allopathique s’en tient trop souvent à soulager les symptômes, sans se donner ni les moyens ni le temps de chercher les causes de la maladie. Ainsi, des gens entrent dans la chronicité, prennent de plus en plus de médicaments, de plus en plus dosés, et ont une santé de plus en plus précaire.
Comment accompagnez-vous vos patients ?
Être docteur en pharmacie me permet de donner un premier avis, gratuit, immédiat, d’apporter au patient une réponse sur mesure qui tient vraiment compte de qui il est. Comme je suis toujours très sensible à la situation particulière des uns et des autres, c’est difficile au niveau émotionnel, c’est éprouvant intellectuellement. Mais je ne me vois pas faire autrement. Ça nécessite d’avoir un équilibre dans sa vie personnelle
« Interdire aux gens de se soigner avec les plantes de chez eux représente un pillage des savoirs autochtones à des fins mercantiles. »
Comment trouvez-vous cet équilibre ?
J’ai une passion pour la voile traditionnelle. C’est ma soupape. Être en mer me permet d’évacuer le surcroît émotionnel, le stress professionnel, les vicissitudes de la vie. Alors je ne suis plus pharmacien, je me nourris des nuages, de l’eau, du soleil, je suis en quête de sensations permanentes, à l’écoute de ce qu’il faut mettre en œuvre, individuellement et collectivement, pour faire avancer le canot. J’y prends de la hauteur pour aborder les problèmes avec un cœur et un esprit légers. Les passions n’ont de sens que si on les partage. Santé et voile. Je m’épanouis dans chacune.
Comment passe-t-on de la chimie aux plantes ? Ou l’inverse ?
J’ai étudié la pharmacognosie, c’est-à-dire la connaissance des principes actifs contenus dans la plante et des méthodes pour les extraire. Cela revient à découvrir et s’approprier, pour notre propre usage, des stratégies développées par les plantes pour elles-mêmes, par exemple, antivirales ou anti-inflammatoires. Les plantes possèdent des molécules qui se combinent avec les cellules de notre corps pour limiter les effets liés à leur absence : c’est le cas de l’igname, de la sauge, du houblon, de l’alfafa ou du soja, qui contiennent des phyto-œstrogènes proches des œstrogènes féminins, qui permettent de lutter contre les troubles occasionnés par la ménopause. Voilà le pont entre la chimie et les plantes.
Pourquoi recourir à la chimie synthétique ?
En créant un médicament à partir d’une molécule, on va renforcer, préciser l’activité de cette molécule. On obtient des effets thérapeutiques accrus, mais les effets secondaires le sont aussi. Quand on utilise le « totum », la totalité de l’extrait de plante, on accède aux principes actifs et utiles d’une chaîne de molécules, qui vont permettre de moduler l’action de la molécule seule, et donc de limiter les effets secondaires. L’aspirine de synthèse par exemple a des effets thérapeutiques marqués contre la douleur, la fièvre. En revanche, elle est agressive pour la muqueuse de l’estomac et augmente le risque de saignement. Alors que la décoction d’extrait d’écorce de saule, précurseur de l’aspirine, associée aux tanins de l’écorce, est inoffensive pour l’estomac.
Faudrait-il donc revenir aux plantes ?
Chaque médecine a ses vertus et ses limites. Il faut avoir la sagesse de tirer la quintessence de chacune. Lorsqu’on fabrique un médicament en s’inspirant des molécules du végétal, il obtient un brevet, et une exclusivité de quelques années avant de devenir générique. Ça permet de financer la recherche. C’est une très bonne chose. En revanche, interdire aux gens de se soigner avec les plantes de chez eux représente un pillage des savoirs autochtones à des fins mercantiles. Je souhaite que dans toutes les décisions en lien avec la santé publique, ne prédominent que l’intérêt des patients et la bienveillance à leur égard, et que les laboratoires pharmaceutiques soient des entités contrôlées, au service de ce but, et pas l’inverse.
Quelles leçons avez-vous tirées de la pratique des plantes ?
D’abord, que toutes les solutions sont dans la nature, mais aussi que la vie n’est que de la collaboration avec des bactéries, sans lesquelles on n’existerait pas. Ensuite, que l’humilité est indispensable : plus on avance dans la connaissance et plus on se rend compte qu’on a surtout des choses à apprendre. Je crois à la curiosité, à l’esprit critique, au goût de l’effort, et aux passions, à vivre et à partager.