Elvire Teza, sans se retourner
Pour vivre son rêve olympique, la gymnaste Elvire Teza a quitté sa Réunion natale et sa famille en 1992. Sans billet retour. Et à seulement 11 ans.
Pour vivre son rêve olympique, la gymnaste Elvire Teza a quitté sa Réunion natale et sa famille en 1992. Sans billet retour. Et à seulement 11 ans.
Par Thibaut Desmarest
À l’image d’Antonin Panenka au football ou de Dick Fosbury à la hauteur, la Réunionnaise a marqué l’histoire de son sport en donnant son nom à un mouvement : le Teza. Une consécration pour l’athlète de poche, première gymnaste ultramarine à participer aux Jeux et première Française à disputer une finale olympique (1) dans sa discipline. “Discipline”. Un maître-mot qui résonne fort pour la gamine originaire de Bras-Panon, dans l’Est de l’île, dès son débarquement au pôle France de Marseille. À tout juste 11 ans. « La charge d’entraînement n’avait plus rien à voir. Je suis passée de 10 heures à la JSB (Jeunesse Saint-Benoît) à 30 heures par semaine. Les six premiers mois ont été très difficiles moralement, d’autant que je m’entraînais à l’écart du groupe pour rattraper mon déficit physique, rembobine l’ex-protégée d’un couple d’entraîneurs chinois, alors responsable de l’équipe féminine tricolore. Je me souviens aussi du froid, du mistral, du manque de mes parents. Quand je suis rentrée les voir pour la première fois, en décembre 1992, pour moi, c’était fini. J’arrêtais. »
Les premiers podiums la convainquent finalement de ne pas abandonner son justaucorps « pour poursuivre mon rêve olympique ». D’abord logée deux ans dans une famille d’accueil des quartiers nord – l’homme est Vietnamien, sa femme Italienne – Elvire Teza finit par poser sa valise au domicile de ses coaches, Shi Mao et Lin Xuan, arrivés en France dix ans
auparavant. « C’est vrai que ça peut paraître étrange vu de l’extérieur, avec tout ce qu’on entend aujourd’hui (2). Mais on était hébergé avec trois autres copines du pôle, dans des chambres séparées. Leur appartement était immense, proche des plages et du gymnase, dans le 8e arrondissement. On partageait nos cultures, j’en garde de très bons souvenirs. »
« Grandir plus vite »
Partie très jeune du cocon familial, Elvire a su faire du déracinement une force dans sa quête de haut niveau. « Quand on a mal partout, qu’on ne veut pas se lever du lit, on se rappelle pourquoi on est là, loin des siens, loin de sa maison. Je pense qu’on grandit plus vite, nous les Ultramarins. À l’époque, je n’avais le droit qu’à un seul coup de fil par semaine, le dimanche soir, car le téléphone coûtait cher. Mais c’était certainement mieux que d’appeler ma maman tous les matins en pleurant. » Issue d’une famille « un peu psychorigide », fille d’un papa directeur d’école et d’une maman assistante maternelle, Elvire a finalement ressenti l’éloignement comme le souffle d’un vent de liberté sur la Canebière.
« Il y avait presque plus de rigueur et de discipline à la maison ! À Marseille, le week-end, on allait au cinéma ou faire du shopping. Je pense que je me suis plus amusée avec mes copines que si j’étais restée à La Réunion. Je n’ai aucun regret », assure-t-elle aujourd’hui avec aplomb.
L’adolescente multiplie les voyages et les rencontres. « J’ai découvert le monde. » Elle suit ses cours au collège, comme presque toutes les jeunes filles de son âge. « Sauf qu’on n’avait pas musique, dessin et techno, pour nous libérer cinq heures d’entraînement par jour. » Parfaitement intégrée, elle reconnaît que le plus dur a été pour ses parents, qui ont vu partir leurs trois enfants dans l’Hexagone. « Ils devaient en plus faire face à une société qui ne les comprenait pas. On les a fait culpabiliser de m’avoir laissée partir si jeune. »
Après quinze années passées dans cette ville cosmopolite dont elle est tombée amoureuse, Elvire Teza a finalement décidé de rentrer au pays avec sa fille, en 2017, après avoir vécu péniblement la période des attentats en France.
« Je voulais lui offrir un autre environnement. » Gloria a aujourd’hui 11 ans. L’âge de sa maman à l’heure du grand départ. « Je ne sais pas comment je réagirais si elle voulait partir maintenant. »
(1) Elle a participé aux Jeux d’Atlanta en 1996 (16e au concours général individuel) et de Sydney en 2000 (8e aux barres asymétriques)
(2) Le monde de la gymnastique est secoué par des scandales de harcèlements, aux États-Unis comme en France.
Des figures à son nom
La Réunionnaise a inscrit son nom dans l’histoire de la gymnastique artistique avec un mouvement qui porte son nom dans le code de pointage : le Teza. Il s’agit d’une figure acrobatique à la poutre : une vrille complète en position transversale enchaînée sur un tour d’appui. Son nom est également attaché à la poutre, à la réalisation d’un saut gymnique
« Yang Bo » en position transversale, ainsi qu’aux barres asymétriques, à des transferts de la barre supérieure à la barre inférieure depuis la prise dorsale.
Que deviens-tu ?
Après les Jeux de Sydney, en 2000, Elvire Teza passe son concours du professorat de sport à Paris. Devenue prof de sport en 2005 et Conseillère Technique Nationale (CTN) auprès de la Fédération française de gymnastique, elle a pour mission d’entraîner et de coordonner le pôle France/espoir de Marseille. Elle rejoint ensuite la Drajes (Direction Régionale et Départementale de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion Sociale) de la région PACA, comme conseillère d’animation sportive, avant de demander sa mutation, fin 2016, et de rejoindre son île natale. À 42 ans, Elvire Teza travaille toujours pour la Drajes dans l’aide au développement du mouvement sportif et gère aussi l’animation des territoires en vue des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, ainsi que du passage de la flamme.
Retrouvez cet article dans le hors-série D’entrée de jeux, édition 2023