Guyane : L’ESS n’est pas une économie de réparation

Dans un territoire jeune, multiculturel et marqué par de fortes inégalités, l’ESS joue un rôle structurant. Élodie Ludmila Eugénie, directrice de la Chambre régionale de l’ESS Guyane, apporte un éclairage sur les défis d’un secteur en plein essor.

Guyane : L’ESS n’est pas une économie de réparation

Dans un territoire jeune, multiculturel et marqué par de fortes inégalités, l’ESS joue un rôle structurant. Élodie Ludmila Eugénie, directrice de la Chambre régionale de l’ESS Guyane, apporte un éclairage sur les défis d’un secteur en plein essor.

Adeline Louault

À quoi ressemble l’ESS en Guyane ?

Élodie Ludmila Eugénie : Elle reflète la diversité du territoire. Largement tournée vers l’action sociale, qui représente 39 % des emplois du secteur, elle est aussi très présente dans les sports et loisirs, l’enseignement, la santé ou encore l’accompagnement des entreprises. Des domaines liés aux besoins d’une population très jeune (plus de la moitié des Guyanais a moins de 25 ans) et à un fort taux de chômage. On compte environ 10 % d’entreprises relevant de l’ESS en Guyane, principalement des microstructures, comme dans l’économie locale classique. Parmi elles, 93 % sont des entreprises associatives. Ce terme est important car, dès lors qu’une association emploie un salarié et produit de la valeur, elle fait pleinement partie du tissu économique.

Pourquoi autant d’associations ?

Elles portent d’abord des élans citoyens. Ce statut est souvent la voie la plus simple pour entreprendre et permet en outre de se lancer rapidement. Cela dit, nous devons changer le regard porté sur ces structures dont la dimension économique est souvent niée. Une association n’est pas qu’un projet de loisir ou un espace de bénévolat.

5 466 : C'est le nombre d'emplois dans l'ESS en Guyane représentant 15 % de l'emploi privé.

Quels sont les freins au développement de l’ESS en Guyane ?

Les structures manquent de financements, mais surtout de compétences. En Guyane, seules 20 % des personnes en âge d’avoir un diplôme ont un niveau supérieur au bac. Or, pour élaborer un modèle économique, chercher des financements ou construire des partenariats, il faut des savoir-faire techniques. À la Cress, nous réalisons un diagnostic de deux heures avec chaque porteur de projet. Ensuite, selon ses besoins, nous l’orientons vers les bons dispositifs d’appui, ou nous proposons un accompagnement individuel plus poussé.

Quels sont les enjeux à venir ?

Le principal enjeu est la reconnaissance. L’ESS reste encore peu connue, y compris de ceux qui en relèvent sans le savoir. Elle souffre d’un manque de visibilité auprès des institutions, des entreprises classiques et même de la population. Notre rôle à la CRESS est d’agir comme un centre de ressources : nous acculturons, formons, outillons les acteurs économiques pour mieux structurer l’écosystème. Nous devons aussi construire des ponts avec l’économie conventionnelle, car l’ESS a beaucoup à apporter, notamment sur les questions d’innovation sociale et territoriale.

L’ESS est-elle une économie de transition ?

C’est une économie engagée, qui part du terrain et propose une autre façon d’entreprendre. Elle n’est pas une économie de réparation bricolée avec des bouts de ficelle. Elle repose sur des valeurs fortes telles que la coopération, l’utilité sociale et la solidarité. Elle permet aux citoyens de s’impliquer concrètement dans la transformation de leur territoire. Pour cela, il faut continuer à capitaliser sur ce potentiel, à fédérer les énergies, et à renforcer la reconnaissance institutionnelle de cette autre économie.

Les tiers-lieux guyanais, au cœur des dynamiques locales

Bien que plusieurs initiatives aient précédé la formalisation du concept en 2019, les tiers-lieux se multiplient depuis peu pour répondre aux besoins sociaux, économiques et culturels de la Guyane. Réparti d’Est en Ouest, un véritable réseau territorial est en train d’émerger, avec l’appui de la Cress. Espaces de coopération, d’inclusion, de formation ou d’innovation, 17 structures agissent dans des domaines variés : art et culture, numérique, insertion, artisanat ou encore transition écologique. Certains tiers-lieux sont labellisés par l’État : 32Bis, L’Abattis et Manifact comme « Fabriques de territoire », et La Fabrique du Dégrad comme « Manufacture de proximité ». Autre exemple, le pôle territorial de coopération économique (PTCE) L’Accordeur héberge sur 1 600 m2 une trentaine d’associations. Accessibles à tous, ces sites hybrides participent à la création d’emplois, renforcent le lien social et la mutualisation tout en encourageant des pratiques durables.