Hugues ROGER, de corps et d’esprit

Hugues ROGER © Laurent Le Crabe
Anne-Laure Labenne

Empreint de sagesse, Hugues Roger, premier Guyanais à avoir participé à des Jeux olympiques, ouvre la boîte à souvenirs de son expérience à Montréal, en 1976. Depuis Aix-en-Provence, l’ex-athlète de 83 ans, toujours féru de sport, garde un œil attentif sur les pépites « de qualité » qu’il incite à croire en leurs rêves.

Par Anne-Laure Labenne

Il ne manquera l’événement pour rien au monde. « À Paris, à la maison. Pour retrouver l’ambiance olympique. » La même qu’il a connue quarante-huit ans auparavant, en 1976, aux Jeux de Montréal. Souvenirs indélébiles. « Ça m’a marqué à vie. Les JO, c’est quelque chose de grandiose. C’est le but de tout athlète. » Au pays des caribous, le natif de Kourou Hugues Roger – 36 ans à l’époque – touche enfin du doigt son rêve olympique après deux rendez-vous manqués. « J’avais soif de revanche. Ces échecs m’ont forgé. » Les épreuves de la vie aussi. Une succession de tragédies familiales qui lui ont donné, à n’en pas douter, une force de caractère : lutter. « Mes souvenirs d’enfance en Guyane sont assez durs. Lorsque j’avais 6 ans, mon grand frère et ma grande sœur se sont noyés, devant moi, au bord de l’eau. Six ans plus tard, j’ai aussi perdu d’autres frères qui avaient ramassé une rocket laissée par des militaires après des exercices de tir. » Plus tard, à 22 ans, c’est sa fille, puis sa première épouse qui disparaissent subitement. « Il a fallu surmonter tout ça. Lutter. Continuer à lutter. Pour les autres, pour soi. La vie est un grand combat. »

Un combat, son combat, qui l’amène tout droit sur un ring. « Je cherchais certainement ma voie », avoue-t-il aujourd’hui. La boxe anglaise, qu’il pratique alors chez les sapeurs-pompiers de Guyane, lui réussit. « J’ai gagné beaucoup de combats », se remémore-t-il. Après son arrivée en France, en 1962, pour entrer dans l’armée, Hugues continue d’encaisser les coups. Il loupe de peu la sélection de boxe pour les JO de Mexico (1968) et, quatre ans plus tard, un claquage lui ferme les portes de Munich. Amer, le champion de France militaire du 400 mètres (1966) range définitivement les gants. « Il ne faut jamais se décourager. Je l’ai toujours dit aux jeunes. Pour arriver au sommet, on ne peut compter que sur soi-même. Je voulais faire les Jeux, cette fois en tant qu’athlète. »

Hugues Roger © Collection personnelle
Hugues Roger © Collection personnelle

Persévérance

Hugues Roger est un battant. Un persévérant. Il obtient son précieux ticket d’entrée lors des championnats de France d’athlétisme, fin juin 1976, à Lille. Entouré de ses compagnons de relais, Roger Velasquez, Francis Kerbiriou et Hector Llatser, le Kouroucien entre dans l’histoire. « C’est bien plus tard que j’ai appris être le premier Guyanais à avoir participé à des Jeux. » Dans l’arène du stade olympique de Montréal, l’équipe de France du 4 x 400 mètres rêve grand. « L’objectif, c’était la finale. Réussir pour la sélection, pour l’équipe de France, même pas pour nous. Dans les épreuves de relais, c’est l’équipe qui compte, rien d’autre. » Les souvenirs sont là, intactes. La nostalgie en filigrane. « Quelle ambiance au village olympique ! Un esprit d’équipe et de camaraderie ! On s’entraidait, on s’encourageait, c’était le plus important. »

30 juillet 1976. Le chrono s’arrête : 3’05’’48. Pour un centième de seconde, le quatuor français échoue aux portes de la finale. « Bien sûr, ça a été dur à encaisser. Il a fallu accepter pour comprendre… Mais j’ai ouvert la porte pour la jeunesse guyanaise. Et ça, c’est quelque chose. C’est l’encourager pour qu’elle croie au haut niveau. J’ai passé sept ans en Guyane (de 2010 à 2017). Il y a beaucoup d’athlètes de qualité qu’il faut aider, qu’il faut pousser. » Un retour au pays rendu possible grâce à une mutation de son épouse, Annie. « J’ai passé toute ma carrière en Métropole, c’était extraordinaire de pouvoir retourner à Kourou en tant que retraité, chez moi. »

Entraîner et transmettre des valeurs. Depuis toujours, Hugues a fait du sport un art de vivre, jonglant entre la pratique et l’enseignement. Que ce soit au lycée militaire d’Aix-en-Provence, en tant que professeur de gym, à Kourou pour entraîner les athlètes du Rou Kou, ou au sein de sa propre famille, sa « relève ». « Dès leur plus jeune âge, même dans leur couffin, mes enfants m’accompagnaient toujours au stade. Je n’ai pas eu beaucoup à faire pour leur inculquer le goût de l’effort. »

À Paris, en 2024, Hugues Roger prendra place côté tribunes. À 83 ans, le recordman du monde vétéran sur 400 m (48’’30) n’entend pas passer à côté de l’épreuve du 4×400 m, au sein du mythique Stade de France. Et ainsi être au plus près de ceux qu’il chérit tant. « La jeunesse, c’est notre avenir, il ne faut pas arrêter de l’encourager. Elle doit y croire et persévérer. Il faut savoir rêver, rêver du sommet et vivre cela à l’intérieur de soi. »


Retrouvez cet article dans le hors-série D’entrée de jeux, édition 2023