ÎLE Y A : « Nous ne sommes pas dans la posture de faire la charité »

Installée depuis 2021 à Carénage, à Pointe-à-Pitre, l'association ÎLE Y A travaille à faire société avec les habitants, issus de plusieurs mondes parfois opposés. Un travail d'inclusion perpétuel mené par les fondatrices : Francisca Amorim et Aloha Sellin.

Cédrick-Isham Calvados
Francisca Amorim, cofondatrice et directrice d'ÎLE Y A Cédrick-Isham Calvados

ÎLE Y A : « Nous ne sommes pas dans la posture de faire la charité »

Installée depuis 2021 à Carénage, à Pointe-à-Pitre, l'association ÎLE Y A travaille à faire société avec les habitants, issus de plusieurs mondes parfois opposés. Un travail d'inclusion perpétuel mené par les fondatrices : Francisca Amorim et Aloha Sellin.

Amandine Ascensio

L'association est installée à Carénage, quartier réputé compliqué. Comment avez-vous fait pour vous y implanter ?

On a commencé, après une formation en économie sociale et solidaire, par un projet d’interview des anciens de Pointe-à-Pitre et des visites de la ville construites autour de ces récits, à prix libre, qui ont attiré autant les touristes que les Guadeloupéens. Être dans la rue nous a permis de comprendre beaucoup de choses sur la fantasmagorie de certaines représentations de la ville qu’on a aujourd’hui et sur l’expérience vécue des femmes dans l’espace public par exemple. Nous avons fait de nombreuses interventions dans les collèges du Front de Mer et de Kermadec, peuplés par les jeunes de Carénage, notamment. Après le Covid, quand on a voulu installer un local, c’était ici que nous avions le plus de contacts.

ÎLE Y A est très connue, très fréquentée, comment avez-vous créé cet engouement ?

Dès notre installation, nous nous sommes rendu compte qu’il fallait qu’on s’adapte : ici, on a une surreprésentation de toutes les formes de précarité. Les gens ont l’habitude d’être mis en concurrence les uns avec les autres pour s’en sortir. On ne voulait pas être dans une posture de faire la charité, alors on a commencé par l’hospitalité : chez nous, on peut juste venir boire un café et se poser. Il a fallu environ une année pour que certains poussent la porte de la petite kaz et viennent nous rencontrer. Maintenant, quand on fait des fêtes, on a parfois jusqu’à 60 personnes qui viennent et participent. Petit à petit, notre offre de service s’est étoffée et on fait désormais de l’aide administrative, de l’accompagnement vers l’emploi, de l’accès au droit, de l’aide à la sortie de la prostitution et, bien sûr, de l’aide à l’acquisition des compétences de base.

Vous avez développé de nombreux outils et même une méthode par intelligence artificielle, pouvez-vous en dire plus ?

On s’est demandé comment on pouvait tirer parti de l’IA. Grâce à un appel à projets (Definov, NDLR), on a construit une île virtuelle, qui permet aux personnes qui viennent « y séjourner » de travailler. Certaines viennent y apprendre à faire un CV, d’autres à converser pour apprendre à s’exprimer, écrire, d’autres encore pour créer des objets divers. On peut aussi travailler en groupe et tout n’est pas parfait dans notre île virtuelle. Ensemble, on ouvre des espaces de débat pour savoir ce qu’on peut améliorer : ça donne des discussions politiques qui contribuent à construire des solutions au service de l’intérêt général.

Justement, comment se dessine le futur de l'association ?

On veut lui donner de la robustesse, financièrement, en commercialisant la méthode avec l’IA, mais aussi dans la gouvernance. C’est notre chantier pour les mois à venir : on veut que nos bénéficiaires se sentent légitimes à piloter eux-mêmes l’association, qu’ils participent à la prise de décision aux côtés de nos salariés (ÎLE Y A emploie sept personnes). Aloha et moi, on espère partir et laisser le bébé dans les mains des habitants eux-mêmes. C’est tout l’esprit de l’association, où même son nom est une invitation à continuer l’histoire : après ÎLE Y A, qu’est-ce qu’il y a ?