L’endométriose thoracique, plus fréquente aux Antilles-Guyane ?

Si l’on ne dispose pas encore de chiffres, les spécialistes s’interrogent quant au grand nombre de femmes atteintes d’endométriose thoracique — une forme particulière de la maladie — aux Antilles-Guyane. Explications.

L’endométriose thoracique, plus fréquente aux Antilles-Guyane ?

Si l’on ne dispose pas encore de chiffres, les spécialistes s’interrogent quant au grand nombre de femmes atteintes d’endométriose thoracique — une forme particulière de la maladie — aux Antilles-Guyane. Explications.

Ludovic Clérima

Pour Dina, tout a débuté en 2020, à la suite de l’accouchement de son premier enfant. « J’ai commencé à avoir du mal à respirer durant mes cycles. Je suis allée voir mon médecin qui m’a dit que ça devait être le stress, mais malgré le traitement, rien n’a changé. Ça revenait de manière ponctuelle, et il a fallu que je consulte d’autres docteurs avant que l’un d’entre eux, en m’auscultant, constate une anomalie dans ma poitrine. On m’a envoyée d’urgence à l’hôpital et le diagnostic est tombé : j’avais une endométriose thoracique. »

Pour Dina, c’est le début d’une longue errance médicale. Elle connaît pourtant bien l’endométriose. « J’ai été diagnostiquée en 2014, dès mes premières règles. Mais là, on m’a expliqué que des fragments de la muqueuse utérine étaient remontés jusqu’à mon poumon. J’ai été hospitalisée durant dix jours. »

Au terme de ce passage à l’hôpital, la jeune femme obtient un premier traitement par injection qu’elle prend pendant deux ans. Un médicament censé provoquer une forme de ménopause artificielle : « Il a fallu l’arrêter car c’était temporaire. Le pneumothorax est revenu. On m’a proposé la pilule, mais je ne la supportais pas. Je faisais de l’hypertension, ce qui augmentait mon risque de faire un AVC ou une crise cardiaque. Depuis, je ne prends plus rien et j’espère pouvoir me faire opérer au CHU de Martinique. »

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Dr Ludivine Chevallier, chirurgien viscéral et responsable du service de chirurgie gynécologique à la Maison de la Femme de la Mère et de l’Enfant (CHU de Martinique) © Ludovic Clérima

Dr Ludivine Chevallier

Origines inconnues

Si, dans l’Hexagone, l’endométriose thoracique est rare, la maladie est bien plus fréquente dans les Caraïbes. À tel point que le CHU de Martinique possède, depuis 2021, son propre centre d’endométriose avec la plus grande base de données nationales autour des patientes atteintes de cette forme particulière : « On ignore encore pourquoi les femmes antillaises ont plus d’endométriose thoracique qu’ailleurs. Mais depuis la création du centre, le nombre de patientes ne fait qu’augmenter. Des discussions sont en cours, au sein de la communauté scientifique, pour lancer des projets d’études afin de trouver des réponses, mais ce sera long. Encore aujourd’hui, nous ne savons pas comment survient l’endométriose », explique le Dr Ludivine Chevallier, chirurgien viscéral et responsable du service de chirurgie gynécologique à la Maison de la Femme de la Mère et de l’Enfant (CHU de Martinique).

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Élodie Nestor, fondatrice de l’association Likid Chokola (Guadeloupe) © DR

On parle d’endométriose lorsque le tissu de l’endomètre, qui se trouve normalement dans la cavité de l’utérus, se greffe ailleurs dans le corps.

Il peut se placer sur d’autres organes, comme les intestins, les poumons et plus rarement au niveau du cerveau. Si la maladie fait de plus en plus parler d’elle, elle reste encore mal diagnostiquée par les médecins : « Les praticiens de plus de 35 ans n’ont eu aucun cours sur l’endométriose durant leurs études et j’en ai fait partie. D’où l’importance de se former », souligne le Dr Ludivine Chevallier. La plupart du temps, les patientes n’apprennent leur état que lors de complications sévères durant leurs menstruations ou si elles rencontrent des difficultés à concevoir un enfant. La forme thoracique de la maladie n’échappe pas à cette règle : « Dans notre association, nous avons quatre personnes qui sont atteintes d’endométriose thoracique. Elles l’ont appris en faisant une embolie pulmonaire », déplore Élodie Nestor, fondatrice de l’association Likid Chokola (Guadeloupe).

Signaux d’alerte

Essoufflement cyclique. Douleurs au thorax durant les règles. Pneumothorax. Ces symptômes sont, dans la majorité des cas, les signes avant-coureurs d’une forme d’endométriose thoracique et doivent alerter les femmes. « S’ils reviennent de manière cyclique, il faut consulter afin d’obtenir un traitement pour bloquer les symptômes ou, pour les cas les plus graves, subir une opération au cours de laquelle les poumons vont être collés à la cage thoracique », précise le Dr Moustapha Agossou, du service de pneumologie du CHU de Martinique. Une solution qui n’est préconisée que pour les femmes qui ne répondraient à aucune solution hormonale. « On ne guérit pas encore l’endométriose. Tout ce qu’on peut faire, c’est aider les femmes à gérer la douleur à travers un dispositif hormonal », prévient le Dr Chevallier. Pilule. Anneau vaginal. Stérilet hormonal. Implant. Autant de dispositifs dont le but est de soulager la douleur, mais qui ne sont pas sans conséquence sur le plan économique.

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Laurianne Gresset, présidente de l’association EndoAmazone, atteinte d’endométriose thoracique et résidant en Guyane, en sait quelque chose : « Je consacre près de 500 € tous les mois pour gérer ma maladie. En Guyane, les professionnels sont bien moins formés et les seuls partenariats sont avec l’hôpital Bichat et l’hôpital Cochin à Paris. Pas avec le CHU de Martinique. Lorsqu’il me faut me rendre jusque dans l’Hexagone, je peux en avoir pour 2 000 €. »

La situation du département est d’autant plus inquiétante qu’avec la barrière de la langue et l’étendue du territoire, peu de femmes ont accès aux soins nécessaires. « Si vous habitez près du fleuve Maroni, le simple fait d’aller jusqu’à Cayenne pour faire vos examens au CHU, c’est toute une aventure ! Il faut prendre l’avion. Parfois la pirogue. Trouver une solution d’hébergement sur place… Ce n’est pas donné à tout le monde », précise Laurianne Gresset.

Actions de prévention

Outre les traitements hormonaux ou les actes chirurgicaux, il est possible, pour limiter les douleurs, d’opter pour un régime alimentaire alternatif en consommant moins de viande rouge et d’alcool. Reste qu’il demeure primordial de se faire dépister pour obtenir la bonne prise en charge : « Dès que les douleurs résistent aux antalgiques, il faut consulter son médecin. C’est pareil si l’on observe la récurrence, durant les règles, de certains symptômes, comme les difficultés respiratoires », prévient le Dr Ludivine Chevallier. En Guadeloupe, Guyane et Martinique, professionnels et associations redoublent d’énergie au travers de rencontres avec les collégiens et lycéens, mais aussi des événements autour de cette maladie pour sensibiliser la population. Car plus elle sera connue du grand public, et plus il sera possible d’intervenir à temps pour aider les femmes en souffrance.