L’industrie guyanaise face à ses vieux démons
Entre la réalité d’un marché saturé et des perspectives d’évolution limitées, le Président de l’Association des Moyennes et Petites Industries (AMPI) de Guyane, Bernard Boullanger, évoque pour le Guyamag les différents blocages qui constituent encore aujourd’hui un frein au développement pérenne de l’industrie guyanaise.
Comment définiriez-vous le tissu industriel guyanais ?
Il est avant tout constitué de petites structures puisque 70% des entreprises comptent un salarié voire aucun. Et compte tenu de l’étroitesse du marché local, un certain nombre d’adhérents constituent des mono-industries comme pour le ciment, les boissons, les yaourts. Certaines filières comme le bois, la pêche, l’or ou l’énergie sont toutefois bien organisées puisqu’elles ont leur association propre en plus d’être adhérentes des MPI. Depuis une dizaine d’années cependant, les industries de la région ont pris conscience de la nécessité de se regrouper pour se faire entendre : de huit entreprises adhérentes en 2002, l’AMPI en compte près de cent dix aujourd’hui.
Qu’est-ce qui freine encore le développement de l’activité industrielle ?
L’industrie en Guyane rencontre aujourd’hui tous les problèmes : isolement, insularité, étroitesse du marché, surcoûts et problèmes de compétitivité, ou encore l’octroi de mer dont l’étroitesse de la liste pose problème, surtout sur le marché régional. D’ailleurs, lors de notre rencontre avec le commissaire européen pour la politique régionale, Johannes Hahn, le 2 novembre dernier, nous lui avons demandé un traitement différencié pour la Guyane. Je crois qu’il s’agit d’une priorité dans la mesure où la Guyane ne peut être comparée aux Antilles, ni à la Réunion ou encore aux Canaries.
Il s’agit d’un micro-marché saturé par l’importation car nous sommes deux fois moins nombreux qu’en Martinique par exemple et nous consommons trois fois moins…
Pour développer la production locale, Joëlle Prévot-Madère qui préside la CGPME suggère de transformer l’octroi de mer en une TVA régionale. Qu’en pensez-vous ?
A l’AMPI de Guyane, nous ne partageons pas cette position. En effet, nous pensons que l’octroi de mer est un véritable outil de développement qui témoigne d’une vraie stratégie, même si certains ajustements doivent encore être faits. La TVA est une taxe nationale et il semble très difficile de l’appliquer à l’échelle de la région, les élus n’ayant plus la maîtrise de l’impôt. De plus, il faudrait revoir la fiscalité au niveau de la France mais aussi au niveau européen.
Il s’agit toutefois d’un marché qui possède un vrai potentiel de développement…
Tous les Antillais viennent en Guyane en se disant qu’il s’agit d’un nouvel El Dorado. Mais le marché, lui, évolue à un rythme plutôt lent compte tenu d’un pouvoir d’achat bien plus faible qu’aux Antilles. C’est un processus long, qui ne se fera pas en un jour. Pour les industries locales, il est difficile de se développer à l’international car les volumes de production sont très faibles. On peut importer une palette aisément mais il est difficile d’exporter cette même palette pour des problèmes logistiques. C’est le cœur du problème.
Le Brésil ou le Suriname peuvent-ils constituer des débouchés pour l’industrie guyanaise ?
C’est notre marché naturel. Et pourtant, pour l’instant, il est difficile d’imaginer une exportation vers ces destinations. D’une part, le Suriname fait partie des pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) qui ont un accord avec l’Europe. Ainsi, tous leurs produits peuvent rentrer librement en Guyane alors que nous ne pouvons exporter vers le Suriname. Cet accord asymétrique fausse considérablement la donne. D’autre part, il n’existe aucune perspective d’export vers le Brésil car, pour des questions administratives, ils favorisent leur protectionnisme. Et l’ouverture du pont ne changera rien. Sauf si les entreprises locales décident de s’implanter dans l’Amapa ou la Para et de développer le Brésil plutôt que la Guyane.