Marc-Alexandre Tareau, passion végétale

Après sept années passées au laboratoire LEEISA (CNRS-UG-IFREMER) à Cayenne, Marc-Alexandre Tareau, ethnobotaniste et anthropologue, vient d’intégrer l’Institut de santé des populations d’Amazonie (ISPA), un nouveau centre de recherche situé au sein de l’hôpital de Cayenne. Portrait d’un vulgarisateur passionné par les plantes médicinales.

© Ronan Lietear
© Ronan Lietear

Marc-Alexandre Tareau, passion végétale

Après sept années passées au laboratoire LEEISA (CNRS-UG-IFREMER) à Cayenne, Marc-Alexandre Tareau, ethnobotaniste et anthropologue, vient d’intégrer l’Institut de santé des populations d’Amazonie (ISPA), un nouveau centre de recherche situé au sein de l’hôpital de Cayenne. Portrait d’un vulgarisateur passionné par les plantes médicinales.

Sandrine Chopot

Quelle est la personne qui vous a donné l’envie de faire ce métier ?

Mon père était passionné de plantes médicinales. Je suis arrivé par l’ethnologie et non pas par la botanique, ce qui est souvent l’inverse dans notre métier. Le hasard a bien fait les choses. Lorsque j’ai repris mes études en master d’anthropologie, j’ai ramené des feuilles de mélisse à une collègue souffrante. Ma professeure d’anthropologie, Marianne Palisse, m’a interrogé sur ces plantes et m’a proposé de faire mon mémoire de master sur la phytothérapie des jeunes urbains guyanais. Elle m’a mis en contact avec Guillaume Odonne, actuellement directeur de recherche au CNRS. J’ai appris à faire des herbiers, à identifier les plantes. Dans la foulée, j’ai décidé de faire une thèse, intitulée « Les pharmacopées métissées de Guyane : ethnobotanique d’une phytothérapie en mouvement ».

Être ethnobotaniste, cela consiste en quoi ?

L’ethnobotanique est la science qui s’intéresse aux plantes utilisées, aux représentations, aux pratiques et usages en lien avec la flore dans un environnement culturel particulier. Le rôle de l’ethnobotaniste est d’essayer de comprendre les relations entre humains et végétaux. Mon métier consiste à aller sur le terrain, à la rencontre des communautés afro-descendantes de Guyane et de la Caraïbe pour les interroger sur leurs pratiques, leurs connaissances liées aux plantes médicinales.

Concrètement, comment se déroule une mission sur le terrain ?

D’un point de vue méthodologique, j’organise des entretiens semi-directifs, en face-à-face, avec les habitants. Je les interroge sur leurs connaissances des plantes, leurs pratiques, leurs modes de préparation et d’administration des remèdes de phytothérapie. Des groupes de parole sont également organisés. Il y a aussi une partie ethnographique importante qui est basée sur l’observation participante. Je me rends in situ, dans les jardins, les abattis, pour observer et échanger avec les habitants, comprendre les usages des plantes, notamment lorsqu’elles sont utilisées pour faire des remèdes. Une fois les plantes collectées, afin de les identifier, des échantillons peuvent être déposés à l’herbier de Cayenne. Je tiens à souligner que nous avons un herbier remarquable, le plus important du Nord de l’Amérique du Sud, riche de près de 200 000 échantillons !

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© Ronan Lietear

« Mon ambition est de valoriser les pharmacopées traditionnelles pour qu’elles soient mieux comprises. »

Est-ce un métier qui nécessite de vraies qualités humaines ?

C’est ce que j’appelle l’intelligence relationnelle. Savoir s’adapter, comprendre les différentes cultures, réussir à instaurer une relation de confiance, travailler dans le respect et la bienveillance. Les entretiens sont préparés en amont. Je vois plusieurs fois les personnes pour être certain qu’elles ont bien compris mon projet. Je n’impose rien, les personnes sont actrices de la recherche ! Mon ambition est de valoriser les pharmacopées traditionnelles pour qu’elles soient mieux comprises et surtout qu’elles puissent se transmettre. Enfin, je suis créolophone, ce qui est un avantage certain pour pouvoir échanger au sein des populations créoles. Mon épouse, médiatrice culturelle en langues businenge, m’accompagne aussi dans mes missions, ce qui fait que les personnes se sentent vite à l’aise.

Quelle a été votre plus belle rencontre ?

Sans hésiter, Madame Jeanne. Une dame créole qui a aujourd’hui plus de 80 ans et qui a une grande connaissance des plantes médicinales. Au fil du temps, nous nous sommes liés d’amitié, et aujourd’hui je la considère comme ma grand-mère guyanaise. Elle m’a beaucoup apporté dans mon travail, tant sur le plan professionnel que sur le plan humain. Elle est d’ailleurs citée dans mes travaux de recherche. Je prends toujours un grand plaisir à lui rendre visite !

Votre mission au sein de l’ISPA est différente de celle du CNRS ?

L’objectif de ma mission, aujourd’hui, est de faire entrer les sciences humaines à l’hôpital. C’est un regard complémentaire qui permet aux soignants de mieux comprendre leurs patients. C’est un poste passionnant même si les plantes sont moins présentes. Je vais à la rencontre des personnes pour savoir comment elles perçoivent la maladie dont elles sont atteintes (hypertension, diabète, maladies sexuellement transmissibles, etc.), comment elles se soignent, quel parcours de soins a été mis en place (médecine hospitalière, pharmacopée, autres médecines).

Quelle est votre plante coup de cœur ?

Le fromager pour lequel j’ai un profond respect. C’est un arbre vénéré et considéré comme sacré par la population guyanaise. C’est plus qu’un arbre, c’est une personnalité végétale à part entière.

Que dire de la relation homme-plante ?

Elle tend petit à petit à s’occidentaliser. La plante est de plus en plus perçue comme un objet biologique non-vivant, très utilitaire. Avant, la plante faisait partie du monde humain, et d’ailleurs, les anciens continuent à parler à leurs plantes. Mme Jeanne, par exemple, tapote la plante pour la réveiller, lui demande pardon quand elle cueille ses feuilles. Il y a une relation interpersonnelle qui se perd aujourd’hui, mais qui se maintient en Guyane mieux qu’ailleurs.

Mélisse : vulgariser l’ethnobotanique

Avec son épouse, Marc-Alexandre Tareau a créé l’association Mélisse, dont il est le co-président. L’objectif de cette association est de promouvoir, de transmettre les connaissances autour des pharmacopées locales. « Les articles que j’écrivais n’étaient pas suffisamment vulgarisés. Aujourd’hui, l’association organise des conférences, des balades, sur des questions ethnobotaniques et accessibles à tous ! »