Marie-Josie Fisher, Pour que dure la broderie de Vieux-Fort
C’est histoire d’une tradition qui est mystérieuse et qui le restera probablement. Qui a bien pu amener la broderie à Vieux-Fort ? – Texte Anne-Laure Labenne
Certains diront les Anglais, d’autres les Bretons. Marie-Josie, elle, évoque trois possibilités, vite balayées car l’essentiel est ailleurs. « Soit les Bretons qui, en s’installant aux Saintes, avaient emporté avec eux des machines pour passer le coton et leur broderie. Soit, les marins-pêcheurs de Vieux-Fort qui rapportaient des îles anglophones de la dentelle. Soit, la plus plausible à mon sens, c’est Madame La Fayolle, venue en Guadeloupe au début de la colonisation avec des jeunes filles à marier, qui a instauré la broderie. »
Ce vendredi matin, dans la petite salle mise à la disposition des brodeuses par la municipalité, Marie-Josie Ficher nous reçoit. Seule à tenir la permanence, elle brode, inlassablement. Comme sa mère et sa grand-mère avant elle. Héritage incontournable de Vieux-Fortaine.
Mains de fée
« J’ai commencé à l’âge de huit ans. C’était juste pour aider ma sœur. » Désormais présidente de l’association depuis le 30 août 2014, elle remue ciel et terre pour valoriser la broderie et sauvegarder ce patrimoine qui se meurt. « Depuis le passage de l’ouragan Irma, on ne voit personne, les gens ne viennent pas. Ça fait cinq ans qu’on se bat pour un local. Petit à petit, on perd tout. »
« Les jeunes filles ont d’autres occupations aujourd’hui. Si rien n’est fait, notre savoir-faire va s’essouffler. Je donne 10 ans encore, pas plus. »
Un signal d’alarme qu’elle tire à longueur de journée. Un cri du cœur teinté de désespoir. « J’essaie de trouver des solutions. Je suis dévouée à la broderie. Mais à 56 ans, je suis la plus jeune de l’association. Les jeunes filles ont d’autres occupations aujourd’hui. Si rien n’est fait, notre savoir-faire va s’essouffler. Je donne 10 ans encore, pas plus. »
« La broderie, c’est ma vie. »
Le travail est minutieux. Marie-Josie connaît les 70 points par cœur. « Tout de tête. Ici, il n’y a pas de guide ou de manuel. Je peux tous les énumérer : maman poule, vigne, marguerite, rond biais, rosace, damier fleurs… »
« La broderie, c’est ma vie. Je peux en faire jusqu’à dix heures par jour. Je ne vais jamais faire deux fois le même tracé. C’est en fonction de mon humeur. Et j’aime surtout compliquer les choses. »
Tout en discutant, elle avance sur son ouvrage, déplaçant au fur et à mesure le carton fixé au tissu. « C’est notre particularité. Cela va nous permettre d’avoir des points réguliers. Je récupère les boites à chaussures, les cartons de lessive en poudre… Il faut que ça soit solide. » Nous lui faisons remarquer sa rapidité d’exécution. « Heureusement que je vais vite ! La broderie, c’est ma vie. Je peux en faire jusqu’à dix heures par jour. Je ne vais jamais faire deux fois le même tracé. C’est en fonction de mon humeur. Et j’aime surtout compliquer les choses. »
Gardienne du savoir
Sur les murs du local sont accrochés tous les ouvrages de la vingtaine de brodeuses que compte l’association. La doyenne a d’ailleurs fêté ses 90 ans la veille. Vêtements, sacs, nappons, porte clé… Chaque pièce est à vendre.
« Il fut un temps où on nous demandait de créer des pièces pour les politiques en visite. Madame Michaux-Chevry était sensible à notre art. » Un temps lointain regretté. « Bernadette Chirac a eu une nappe, Ségolène Royal un chemisier. Et puis, aussi, pour la Route du rhum… C’était une robe pour Florence Arthaud. Mais personne ne connaissait ses mensurations alors la brodeuse l’a confectionnée en prenant comme modèle sa belle-sœur qui avait le même gabarit que la navigatrice. »
« Le lin que nous utilisons ne bouge pas et les draps ou les langes se transmettent depuis plusieurs générations. »
Il semble si loin le temps où la broderie avait de beaux jours devant elle. Marie-Josie, elle, continuera, ici à Vieux-Fort, en gardienne du savoir. « La broderie occupe une place privilégiée dans les grands moments de la vie d’un Vieux-Fortain. Le lin que nous utilisons ne bouge pas et les draps ou les langes se transmettent depuis plusieurs générations. »
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