Treize médecins cubains et un grand pas pour la Coopération Régionale ?
Médecins cubains. Le 26 juin dernier, le président de la Collectivité Territoriale de Martinique, Alfred Marie-Jeanne, accueillait une délégation médicale cubaine sur le tarmac de l’aéroport Aimé Césaire. À quelques jours de leur départ, quel bilan tirer de leur présence sur le territoire martiniquais ?
« Besoin de renfort médical en Martinique »
Retour quelques mois en arrière. Le 24 mars 2020, le président de la Collectivité Territoriale de Martinique signe un premier courrier adressé au président de la République de Cuba dans lequel il l’informe du « besoin de renfort médical en Martinique ».
S’ensuit un long parcours administratif et diplomatique, ponctué d’un appel du président de la République qui assure Alfred Marie-Jeanne de son soutien dans cette démarche. Un soutien réaffirmé le 30 avril, à l’occasion de la visioconférence avec les présidents des Collectivités de Guadeloupe, Guyane, Martinique, Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, Alfred Marie-Jeanne précisera à cette occasion « nous n’allons pas importer la guérilla », faisant sourire Emmanuel Macron et Annick Girardin alors ministre des Outre-mer.
Cuba compte 76 000 médecins et organise depuis de nombreuses années des missions sanitaires à travers le monde.
Cette année, pendant la crise Covid-19, l’Italie, la Jamaïque, la Dominique ou encore St-Kitts et Nevis ont reçu une de ces brigades cubaines. Reste que pour l’Hexagone en général et la Martinique en particulier cela constitue une première, soulevant autant d’enthousiasme que de scepticisme au sein de la classe politique comme des médias nationaux.
Le 26 juin, finalement, la brigade Henry Reeve foule pour la première fois le tarmac de l’aéroport de Martinique. Accompagné notamment d’élus de la CTM, du directeur général du CHUM et du président directeur général de la clinique Saint-Paul, Alfred Marie Jeanne accueille chaleureusement les médecins et salue la qualité de la coopération médicale cubaine qui, « partout où elle est sollicitée intervient en solidarité avec courage, détermination comme ce fut le cas au début de la pandémie de Covid-19 en Europe, dans la Caraïbe et en Afrique. »
Pourquoi des médecins cubains ?
À ce moment précis de la crise Covid-19, les yeux rivés sur les chiffres quotidiens de contaminations, « nous étions dans une phase d’inquiétude et d’incertitude, retrace Benjamin Garel, le directeur général du CHUM, avec un risque de voir un certain nombre de médecins eux aussi touchés par le virus ».
En temps normal, le CHUM manque déjà de soixante médecins. Alors, en pleine crise sanitaire, savoir si une aide régionale, étrangère, pourrait éventuellement venir en renfort de certaines spécialités, s’impose comme « une vraie question », rappelle-t-il.
Mais au-delà de la crise Covid-19 qui donc servit de déclencheur, cette coopération sanitaire exceptionnelle allait permettre de servir un objectif plus large. La présence des treize médecins cubains, diplômés et aguerris s’inscrit en effet « dans la volonté de renforcement de nos capacités, de développement de la coopération médicale au sein de la Caraïbe », explique Alfred Marie-Jeanne.
« C’est une expérimentation, complète le directeur général du CHUM, qui nous permet aujourd’hui de modéliser une coopération médicale plus active au sein de la Caraïbe. »
Cuba, machine à fantasmes
Malgré quoi, la présence de « médecins cubains en Martinique » pendant quelques mois va conduire à pas mal d’interrogations, « et beaucoup de fantasmes », décrit au téléphone, moitié amusé moitié résigné, Nabil Mansour, président directeur général de la clinique Saint-Paul.
« Cette première mission a peut-être posé des ponts pour une collaboration de plus long terme. Je ne peux que m’en réjouir », poursuit-il. Dans un contexte local où le déficit de certains médecins spécialistes maintient notre système sanitaire sous tension permanente, « la géographie c’est je crois, quelque chose d’important », conclut-il.
Il est rejoint en se sens par le président du Conseil de l’Ordre des Médecins de Martinique, Dr Raymond Helenon, qui reçut quatre des médecins de la brigade Henry Reeve, le 23 septembre.
« On pourrait même réfléchir à une coopération avec Cuba pour des stages des étudiants au cours de la 3ème année de Médecine ? suggère Raymond Helenon
« Pour les langues et pour qu’ils voient comment se pratique la médecine à Cuba, davantage axée sur la prévention. »
Observation et découverte
Si des perspectives existent pour la suite à donner à cette coopération médicale, comment s’est passée l’intégration des médecins cubains dans les services du CHUM et de la clinique Saint-Paul ?
Il n’a jamais été question que les médecins cubains enfilent blouse et stéthoscope, arpentant les couloirs en quête de patient à soigner…« Ils n’en ont tout simplement pas le droit », rappelle Benjamin Garel, parce qu’ils sont titulaires d’un diplôme étranger et parce qu’ils ne parlent pas français.
Ces médecins spécialistes (un hématologue, deux radiologues, un pneumologue…) ont donc rejoint les services du CHUM sous le statut de « stagiaires associés ». Ils évoluaient en réalité comme des internes, placés sous la responsabilité d’un médecin senior.
Entre observation et découverte, « l’enjeu était d’avoir le temps nécessaire pour que ces médecins étrangers puissent s’adapter à notre environnement, nos protocoles etc. pour devenir petit à petit autonomes », explique Benjamin Garel.
Quel bilan ?
« C’était un grand défi en termes d’intégration et tout s’est bien passé », témoigne Roberto Fuentes, spécialiste en médecine interne et chef de la brigade médicale cubaine. « C’était une première et c’est en effet un bon bilan », complète Benjamin Garel.
Au final, la moitié d’entre eux étaient en mesure de se voir laisser suffisamment de responsabilité pour gérer seuls les patients du service où ils étaient affectés.
La moitié seulement ? « C’est tout à fait normal et attendu », commente le professeur François Roques, président de la commission médicale du CHUM. « La médecine a beau être sensiblement la même, il est impossible de s’adapter à une structure comme un CHU en un ou deux mois… ».
Ces trois mois ont permis d’identifier les points perfectibles : formation en français en amont et cours de pharmacopée également, les molécules pharmaceutiques employées à Cuba ou ailleurs n’étant pas exactement les mêmes qu’en Martinique.
L’ouverture sur le bassin caribéen
En dépit de certaines polémiques, quant aux objectifs ou au potentiel de cette première expérimentation, « tout indique que la coopération régionale en la matière devrait être encouragée », constate le président de la Collectivité.
La première raison est démographique, elle tient au manque de médecins en Martinique : anesthésistes, anesthésistes pédiatriques, pneumologues, urgentistes, anatomo-cytologiste, radiologues…
Pour certaines spécialités, l’hôpital a mis en place une chaîne humaine avec un turn over de médecins de l’Hexagone, qui se succèdent toutes les trois semaines.
« Une solution qui n’est pas satisfaisante », résume Benjamin Garel qui voudrait voir des médecins en poste toute l’année dans tous les services du CHUM. Un vœu en passe d’être exaucé avec l’entrée en application, d’ici la fin de l’année, d’une loi votée en 2019 à l’Assemblée Nationale.
Le texte permettra à des médecins diplômés en dehors de l’Union Européenne d’exercer en Martinique (sous réserve de critères de sélections strictes de l’Agence Régionale de Santé).
Ces trois mois d’immersion de la brigade Henry Reeve de Cuba ont permis de préparer le terrain, « en vue de devenir un territoire autonome en matière de santé, cite le président de la Collectivité, et face à la nécessité de nous ancrer véritablement dans notre bassin de vie.»