Narcisse Elenga, de Brazzaville à Cayenne

Coordinateur du département de pédiatrie de l’Université de Guyane, chef de l’unité médico-chirurgicale pédiatrique de l’hôpital de Cayenne, responsable du centre de drépanocytose ou encore professeur en pédiatrie… Narcisse Elenga cumule les responsabilités. Mais c’est avant tout un passionné animé par le goût constant du défi.

© Ronan Lietar
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Narcisse Elenga, de Brazzaville à Cayenne

Coordinateur du département de pédiatrie de l’Université de Guyane, chef de l’unité médico-chirurgicale pédiatrique de l’hôpital de Cayenne, responsable du centre de drépanocytose ou encore professeur en pédiatrie… Narcisse Elenga cumule les responsabilités. Mais c’est avant tout un passionné animé par le goût constant du défi.

Texte : Nancy Lafine

Pouvez-vous revenir sur votre parcours ? Comment êtes-vous devenu médecin ?

Je crois que tout a commencé très tôt. Je me souviens, j’étais en CE2, en Chine, à Pékin. On nous avait demandé d’inscrire ce que nous souhaitions devenir plus tard. Et moi, j’avais écrit : « Je veux être docteur pour soigner les autres. » Cette idée m’est restée. Plus tard, au moment du bac, j’ai donc opté naturellement pour des études de médecine. J’aurais pu partir étudier en Russie, car mes parents y vivaient. Mais à l’époque, l’URSS souffrait d’une mauvaise réputation en matière de formation médicale. Je voulais devenir un bon médecin, alors je suis resté au Congo pour mes études, avant de partir me spécialiser en pédiatrie à Abidjan, car la spécialité n’existait pas encore chez moi.

Et pourquoi la pédiatrie ?

J’ai eu un professeur qui m’a pris sous son aile. Il m’a fait découvrir son service et j’ai immédiatement aimé le contact avec les enfants. Ils sont authentiques : ils expriment leurs symptômes, on les soigne, ils guérissent, ils jouent. Il y a une relation triangulaire très forte entre l’enfant, les parents et le médecin. L’adulte cache ses douleurs derrière d’autres problèmes, l’enfant non. C’est cette authenticité qui m’a fait aimer la pédiatrie.

Comment êtes-vous arrivé en Guyane ?

Un peu par hasard, à vrai dire ! Avant d’arriver en Guyane, j’ai atterri en France. Je travaillais à Abidjan, pour des projets de recherche sur le VIH. Je voyageais régulièrement en France pour des congrès. Et puis, la mère de mes enfants a décidé de vivre en France. J’ai tenté de continuer à travailler en Côte d’Ivoire tout en envoyant de l’argent pour m’occuper de mes enfants, mais financièrement c’était très difficile. Je suis donc venu en France, d’abord à Paris, puis à Lyon, où j’ai continué à travailler en pédiatrie, toujours avec un intérêt particulier pour le VIH. Un jour, mon chef m’a dit : « Ici, nous n’avons que 30 patients, mais il existe un territoire français où l’infection est très fréquente : la Guyane. » Ça m’a interpellé. Il a envoyé mon CV, et un mois plus tard, l’hôpital m’a contacté. Je ne savais même pas où se trouvait la Guyane. J’ai mis du temps à comprendre que c’était en Amérique du Sud ! J’ai d’abord terminé mon contrat à Lyon avant de partir. Je m’étais engagé pour trois mois… et cela fait maintenant vingt ans.

Comment s’est passée votre arrivée en Guyane ?

Je me souviens du premier jour comme si c’était hier. En arrivant à l’aéroport, on me remet la clé d’une voiture de location, un plan griffonné, et je tourne deux heures à la recherche de mon hôtel. J’étais perdu mais émerveillé : du soleil, des manguiers, des gens qui me ressemblent. Je venais de l’Hexagone où, parfois, on m’avait demandé « Narcisse, mais pourquoi tu es marron ? » Ici, je me sentais chez moi. Sauf que le lendemain, ma voiture est partie à la fourrière. Bienvenue en Guyane ! (rires) À mes débuts, nous n’étions que trois pédiatres. Je faisais des gardes tous les deux jours, j’ai perdu dix kilos en trois mois. Il y avait énormément de travail, mais j’aime les défis, donc je suis resté.

Vous êtes aujourd’hui une figure de la pédiatrie en Guyane. Quel a été votre plus grand défi ?

Le VIH, d’abord. Ici, il était très présent. Mais j’avais l’expérience de Côte d’Ivoire et de Lyon. À l’époque, on voyait encore beaucoup d’enfants très malades, mourants. Grâce au travail collectif, aujourd’hui, même si les taux en Guyane sont très élevés, il n’y a quasiment plus de nouvelles contaminations. Quelle victoire ! Ensuite est venu un autre défi : la drépanocytose. À Lyon, je travaillais en onco-hématologie, j’avais donc des compétences. J’ai créé en 2014 un centre de drépanocytose. En Guyane, un projet en ouvre toujours un autre. C’est ce qui me nourrit.

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© Ronan Lietar

Et vous êtes aussi devenu professeur d’université…

Oui, parce que je suis un homme de challenges. J’ai repris des études : Master 1, puis Master 2 à Paris sur mes économies, puis thèse de science aux Antilles, concours, habilitation à diriger des recherches… En 2018, j’ai enfin été nommé professeur des universités. Aujourd’hui, avec le CHU, cela prend tout son sens.

Qu’est-ce qui rend la Guyane unique pour un pédiatre ?

Tout. Le taux de natalité est le plus élevé de France après Mayotte. La pédiatrie est omniprésente. On y trouve à la fois des maladies tropicales, des maladies métaboliques comme le diabète qui augmente, mais aussi des maladies génétiques rares, bien plus fréquentes que dans l’Hexagone. Pour un médecin-chercheur, c’est un terrain immense. Bien sûr, il y a des défis : la précarité, les grossesses peu suivies, le taux stable de prématurité depuis vingt ans, qui est très élevé. L’immigration met sous tension le budget santé du département. C’est pour ça que je plaide depuis longtemps pour aller hors les murs. Aujourd’hui, il existe des hôpitaux de proximité à Maripasoula, Grand-Santi, Saint-Georges. Il faut aller vers les patients. C’est essentiel.

Vous êtes un homme de défi, quel est le prochain ?

Mon grand projet actuel, c’est la création d’un centre « Guyane maladies rares ». L’idée est de regrouper l’expertise, d’accélérer le diagnostic et de permettre aux personnes d’avoir accès aux traitements spécialisés sans attendre des années. Trop de familles vivent des parcours interminables avant de mettre un nom sur la maladie de leur enfant. Nous voulons changer cela.

Quel conseil donneriez-vous aux jeunes pédiatres ?

Venez. La Guyane est une terre de nature. C’est un territoire exigeant mais apaisant, accueillant. On m’avait dit : « La Guyane est dangereuse. » La Guyane, c’est surtout une terre d’accueil, de travail, de découverte. On y apprend vite, on y est utile, et on y pratique une médecine qui n’existe nulle part ailleurs en France. Pour ceux qui aiment la recherche, l’épidémiologie, les maladies tropicales ou les maladies rares, c’est un terrain exceptionnel. Et pour ceux qui aiment simplement soigner les enfants, c’est un territoire où l’on comprend très vite pourquoi notre travail compte.