Octobre Rose : « L’action des associations de terrain est exemplaire »

Chaque année, pour Octobre Rose, institutions, professionnels de santé et associations se mobilisent pour interpeller, encourager au dépistage et redonner espoir face au cancer du sein. Yves Servant, directeur général de l’ARS Martinique, dresse un panorama de la situation et des effets de ces engagements auprès de la population.

Yves Servant , DG de l’ars Jean-Albert Coopmann
Yves Servant , DG de l’ars Jean-Albert Coopmann

Octobre Rose : « L’action des associations de terrain est exemplaire »

Chaque année, pour Octobre Rose, institutions, professionnels de santé et associations se mobilisent pour interpeller, encourager au dépistage et redonner espoir face au cancer du sein. Yves Servant, directeur général de l’ARS Martinique, dresse un panorama de la situation et des effets de ces engagements auprès de la population.

Mathieu Rached 

En tant qu’autorité de santé publique, comment l’ARS Martinique intègre-t-elle Octobre Rose dans sa stratégie globale de lutte contre les cancers ?

Yves Servant : Octobre Rose constitue chaque année un temps fort de mobilisation nationale et territoriale autour de la prévention et du dépistage du cancer du sein. En tant qu’Agence Régionale de Santé, nous avons la responsabilité de porter cette dynamique en Martinique, aux côtés de partenaires essentiels tels que la CGSS, l’URML et la Ligue contre le cancer. ​​​​Cette campagne s’inscrit pleinement dans notre stratégie globale de lutte contre les cancers, avec un objectif double : d’une part, renforcer la participation au dépistage organisé pour les femmes âgées de 50 à 74 ans, et d’autre part, garantir une prise en charge équitable, coordonnée et de qualité pour toutes les femmes concernées. Au-delà de la sensibilisation, Octobre Rose est aussi l’occasion de rappeler que le dépistage précoce sauve des vies, et que chaque femme doit pouvoir y accéder, quel que soit son lieu de vie ou sa situation sociale.

Au vu des dernières données disponibles sur l’incidence et la mortalité du cancer du sein en Martinique, comment nous situons-nous ? La situation s’améliore-t-elle ?

Les données épidémiologiques sont sans appel : chaque année, près de 260 femmes sont diagnostiquées d’un cancer du sein en Martinique, et nous déplorons une soixantaine de décès. En 2024, le taux de couverture du dépistage organisé atteint 42,2 %, un chiffre encore inférieur à la moyenne nationale. Cette réalité nous oblige à intensifier nos actions, en particulier auprès des publics les plus éloignés du système de soins. L’urgence est là, et notre mobilisation doit être à la hauteur des enjeux avec en ligne de mire la réduction des inégalités territoriales d’accès aux soins.

En matière de lutte contre le cancer, quel que soit le territoire, les inégalités sociales et territoriales sont un enjeu majeur. Quelles mesures sont développées pour réduire ces inégalités dans l’accès au dépistage et aux soins ?

Pour répondre à ces défis, nous avons déployé des dispositifs concrets et structurants. La Maison du Parcours, inaugurée en 2024, incarne cette volonté : elle propose un accompagnement pluridisciplinaire en un lieu unique, facilitant l’accès aux soins, aux droits et aux soutiens nécessaires. Nous avons également renforcé l’offre de soins en oncologie avec l’ouverture d’Oncofanm à la MFME. D’autres sites verront le jour en 2026 au CHUM, à Mangot Vulcin et PZQ, pour élargir la prise en charge à d’autres pathologies comme l’urologie, le thoracique ou le digestif. Ces avancées traduisent notre engagement à garantir à chaque patiente un parcours fluide, humain et adapté aux réalités du territoire.

Chaque année, la manifestation est très attendue et médiatisée, néanmoins comment mesurez-vous l’efficacité des actions menées pendant Octobre Rose ?

L’impact d’Octobre Rose ne se limite pas aux chiffres de participation : il se mesure aussi à la qualité du lien tissé avec les usagers, à la confiance instaurée et à la capacité d’accompagnement. Notre ambition est de prolonger cette dynamique bien au-delà du mois d’octobre, en inscrivant le dépistage comme un réflexe durable de santé publique. Cette mobilisation ne serait pas possible sans l’engagement remarquable des associations de terrain, qui œuvrent pour rompre l’isolement, faciliter les démarches, accompagnent les patientes dans toutes les dimensions de leur parcours avec humanité et constance. À ce titre, je tiens à saluer et rendre hommage à celles qui œuvrent chaque jour : Amazones, Cœur d’Oya, Ma Tété, Sein’gulières… Leur action est essentielle et exemplaire.

Si vous deviez énoncer un seul message pour convaincre une Martiniquaise hésitante de participer au dépistage, quel serait-il ?

À toutes les Martiniquaises qui hésitent encore, je souhaite adresser un message clair : le dépistage du cancer du sein est un droit fondamental, un geste de santé publique accessible à toutes, et surtout une démarche qui peut sauver des vies. C’est un acte de responsabilité, de solidarité et de confiance en l’avenir. Le cancer du sein, lorsqu’il est détecté précocement, peut être guéri dans plus de 90 % des cas. C’est précisément là que réside l’enjeu du dépistage : permettre à chacune de bénéficier d’une prise en charge rapide, efficace et humaine.

AMAZONES

« Soigner aussi l’invisible »

Imaginé en 2017 par Alexandra HarnaisAmazones a grandi, jusqu’à devenir un acteur incontournable du parcours de soins des cancers au féminin en Martinique. Organisée en fédération, Amazones a également ouvert une antenne en Guadeloupe, Guyane, à Tahiti, Réunion et à Paris où 5 appartements de l’association sont accessibles pour des femmes qui devraient suivre des soins dans la capitale. En Martinique, c’est un autre lieu, le Nid Gabrielle, qui sert de centre de gravité à l’association pour informer, accompagner et améliorer les conditions de vie des femmes atteintes par un cancer.

Accueillir toutes les femmes

« On ne doit pas hésiter à passer la porte », invite avec douceur la secrétaire générale adjointe, Myriam Torres. Atteinte d’un « petit cancer », elle-même a attendu deux mois avant de se rendre au 46 rue Léona Gabrielle à Dillon. « On se dit parfois que ça va aller, que ce n’est pas nécessaire, mais en réalité on ne peut pas s’imaginer l’effet que ça va produire de rencontrer de nouvelles femmes, qui ont traversé cette épreuve, de créer un nouveau cercle, de parler différemment de soi, de ce qu’on vit et de ce qu’on surmonte. »

Comme pour Myriam Torres, toute l’année, l’association accueille les femmes en situation de soins ou après cancer, pour les aider, les entourer d’affection, pouvoir les intégrer dans des soins de confort. Pour ce faire, l’association ne prend pas la question à la légère, on retrouve de la balnéothérapie, du Pilate, du Qigong, de la gym douce, mais aussi tout un ensemble de soins de support concernant l’apparence, la féminité, le bien-être mental… « Une socioesthéticienne aide les femmes à retrouver leur féminité dans la beauté, le maquillage, une autre intervenante conduit des séances d’EFT (Emotional Freedom Technique), une autre se concentre sur la nutrition et la diététique, avec des ateliers cuisine. »

La sororité en marche

En ouvrant ses portes à un large panel d’accompagnement, Amazones réussit à se rendre incontournable. « Toutes les femmes qui se présentent sont accueillies, écoutées surtout, et elles sont invitées à venir, revenir, etc., explique Myriam Torres. Petit à petit, une cohésion se fait. On a des affinités plus ou moins avec les unes des autres, mais ça nous permet de nous rencontrer entre femmes qui ont les mêmes problématiques et parler de nos souffrances, de nos bobos ».

En quelques années, la dynamique Amazones est devenue indissociable de l’offre de soins en Martinique, l’association entretient des relations suivies avec des professionnels de santé pour l’amélioration constante de l’expérience des patientes. Elle rayonne jusque dans les communes avec Lanmou à domicile des professionnels de l’association qui vont au domicile des Amazones isolées ou à travers son dispositif O pli pré, elle recrée des ateliers un peu partout sur le territoire au contact des femmes qui ont été touchées et soignées pour un cancer. Demain, elle espère pérenniser un circuit de distribution de panier solidaire By Amazones, pour les femmes suivies par l’association qui rencontrent des difficultés pour s’alimenter sainement pendant et après la période soins. Une sororité à bas bruit qui relie le maximum d’acteurs et influence la vie des femmes qui ont été atteintes d’un cancer.

Le Nid Gabrielle
+ 596 696 86 11 23
@amazones_martinique

Sein’gulière

L’asso sentinelle

Il y a 10 ans dans le cadre d’Octobre RoseEmmanuelle Fostan, présidente de l’association Sein’guliere, avait organisé une exposition photo consacrée à la mastectomie. « Une première du genre », se rappelle la fondatrice de l’association, dans un contexte où l’ablation du sein était taboue. Cette exposition a marqué les esprits et elle nous a permis de rencontrer une population en attente de nombreuses réponses concernant la maladie, en termes de prévention mais surtout de l’après-cancer. « Des hommes notamment, se rappelle-t-elle, nous révélaient qu’ils ne s’entendaient plus avec leur compagne malade, qu’elle ne voulait pas montrer son corps… Avec l’exposition, ils ont compris la difficulté que peut rencontrer une femme à montrer son corps suite à une ablation, dans un contexte où la reconstruction avec des prothèses mammaires n’était pas encore dans les habitudes des Martiniquaises ».

La relation de proximité

Aujourd’hui l’association Sein’gulière fait toujours le lien entre les malades et leur famille. Le rôle premier de l’association, c’est la relation de proximité c’est-à-dire accompagner une femme qui a appris qu’elle était malade et qui se trouve démunie pour l’annoncer à sa famille, pour partager ses angoisses et ses questions. « Vous savez, quand j’ai appris à 36 ans que j’avais un cancer du sein, quand je suis rentrée chez moi, j’ai voulu montrer comment tout marchait dans la maison aux enfants pour qu’ils puissent faire sans moi. On ne sait pas comment réagir, l’association permet de marquer un temps, d’envisager avec d’autres femmes, qui ont connu cette situation, ce que ça représente de tomber malade, de comment on va s’organiser, comment on en parle, de dédramatiser aussi en quelque sorte », décrit Emmanuelle Fostan. L’association fait intervenir la psychologue de Clarac en fonction des questions et des situations. De même qu’elle organise des tables rondes avec les maris et compagnons, qui ont « tout un tas de questions qu’ils n’osent pas poser à leurs conjointes ni à leur médecin ». Ces rencontres vont apaiser des situations intimes et familiales percutées par une maladie qui fait peur.

Week-end santé

L’association, qui fut la première en Martinique pour des femmes atteintes de cancer du sein, fonctionne au bouche-à-oreille. En 2025, 8 femmes commençant un parcours de soins et 3 femmes ayant fini leurs soins depuis 2 et 4 ans sont accompagnées par Sein’gulière. « Nous demeurons une sentinelle de terrain, en autonomie, financées par les dons privés et ceux d’entreprises », décrit Emmanuelle Fostan. Deux fois par an, l’association organise un « week-end santé » dans une villa qui permet à 6 femmes de couper avec le quotidien, recréer une bulle de soin, de bien-être, d’échange et de confiance ou divers ateliers et activités sont proposés. « On cuisine, une socioesthéticienne leur fait un superbe maquillage, un photographe vient depuis des années faire un shooting photo, et on demande aux maris et familles de venir récupérer leurs femmes qu’ils découvrent transformées ». Dans un contexte où l’offre de soins s’est considérablement améliorée en terme nombre d’associations, de visibilité, d’implication de l’ARS et du GIPROM, Sein’gulière continue de répondre aux besoins des femmes dont la vie est bouleversée, ce qui commence par la capacité à parler et s’écouter.

Contact, infos et dons : 0696 81 09 26

 

Ma Tété

Un cocon de soutien

Tout est parti d’un blog, celui de la journaliste et communicante martiniquaise Nathalie Chillan qu’elle a lancée en 2013 après l’annonce de son cancer du sein. Depuis, l’association fondée en 2018, Ma Tété, accompagne au quotidien les malades du cancer du sein et leurs proches. « Elle informe, soutient et apporte des ressources concrètes – écoute, ateliers bien-être, aide sociale et administrative – pour alléger le quotidien des patientes et rompre l’isolement », décrit Nathalie Chillan. En mars 2024, nouvelle étape, la présidente inaugurait à Fort-de-France le Tiers Mieux, un espace pluriel destiné aux personnes malades et à leurs proches.
Cette adresse en dur s’inscrit dans la continuité des actions et ambitions que Ma Tété déploie depuis sa création. La Ma Tété Mobile par exemple est un véhicule aménagé qui sillonne l’île pour sensibiliser à la prévention dans les communes éloignées. « Un accord avec la régie des transports devrait bientôt renforcer sa présence sur le terrain », annonce Nathalie Chillan. À l’occasion d’Octobre Rose, l’association distribue également les Ma Tété Box, coffrets garnis de soins adaptés et de produits de bien-être, avec le soutien de partenaires comme la Galleria. On peut citer aussi l’événement Ma Tété au Jardin, lancé en 2019, qui propose chaque année à l’Habitation Clément une journée de détente et de partage.

L’éducation thérapeutique du patient

L’association va plus loin dans ses domaines d’intervention et finalise aujourd’hui son programme d’Éducation thérapeutique du patient (ETP) cancer du sein, qu’elle souhaite faire valider par l’ARS Martinique. « Comme les autres ETP, ce dispositif codifié aide les patients à mieux comprendre leur maladie et leur traitement, et à maintenir ou améliorer leur qualité de vie », explique Nathalie Chillan. Deux bénévoles ont déjà été formées. Ma Tété constitue actuellement une équipe de référents composée de médecins, oncologues et autres professionnels de santé.
Très active sur le terrain de la prévention, l’association, qui compte une salariée et une cinquantaine de bénévoles, insiste sur l’importance d’impliquer l’ensemble de la population. « Je dis aux hommes qu’ils peuvent eux aussi être touchés – 1 % des cancers du sein les concernent – mais surtout qu’ils doivent être un pilier pour leurs femme, sœur, mère ou fille. Et je parle beaucoup aux adolescentes : il faut qu’elles prennent soin de leurs seins tôt et qu’elles jouent un rôle de médiatrices auprès des femmes de leur famille en les convainquant d’aller se faire dépister. Plus la maladie est détectée précocement, plus les chances de guérison sont grandes ! », conclut Nathalie Chillan.

Le Tiers Mieux
141 rue Lamartine Fort-de-France
0596 96 66 98 / associationmatete@gmail.com

CŒUR D’OYA

Liyannaj sé fos nou

Symbole du dépassement de soi, Oya est l’une des déesses africaines les plus puissantes. « Une reine guerrière forte qui provoque des changements rapides et guide lors de transformations à la fois extérieures et intérieures », décrit Margareth Magloire qui préside l’association des patients experts de Martinique, baptisée cœur d’Oya. Un nom qui n’a rien d’anodin, « il est lié à cette idée d’avoir un cœur incarnant toutes les qualités et la puissance de cette déesse ».

Précieuse expertise

Le patient expert désigne une personne qui a eu un cancer (et qui parfois est toujours en parcours de soins), et qui fait de son expérience patient une expertise auprès des personnes également atteintes. La loi de cadrage du patient expert de 2009 le reconnaît comme un acteur clef dans l’éducation thérapeutique du patient, intégrant ainsi ses interventions dans le code de la santé publique. « Il crée d’abord du lien entre les patients, les soignants et les professionnels de santé pour la mise en commun des savoirs, décrit Margareth Magloire. Et son expertise participe à une meilleure prise en charge ». Ce qui produit trois effets : faciliter le parcours des patients, mieux coordonner les acteurs autour des patients et des familles et, in fine, d’améliorer l’efficacité de la lutte contre le cancer.

Un rôle de vigie

L’association des patients experts partenaires est créée en 2022 sous l’impulsion du GIP PROM (plateforme régionale d’oncologie de la Martinique) et l’ARS suite à une formation qualifiante. Elle développe ses actions envers les personnes (hommes, femmes et enfants) touchés par le cancer, de l’annonce de la maladie au retour à la vie active. En venant agrandir le tissu associatif existant, elle se positionne sur des thématiques non explorées à ce jour, qui impactent le patient dans son parcours de soins. « Par exemple en réalisant la remontée d’anomalies applicatives (utilisés par les patients) du CHUM, ou encore en intervenant comme “béta testeur” dans un projet de déploiement numérique, telle la pré-admission hospitalière », cite la présidente. De même, au cœur d’Oya effectue une veille sur l’ensemble des dispositifs existants et les nouveaux déployés par les instances représentatives de la santé, à l’image de la « maison du parcours » créée par l’ARS en 2024. En l’espace quelques années, les évolutions du parcours de soins sont évidentes. En comparant sa prise en charge en 2018 et celle en cours en 2025, la présidente parle d’un « virage à 360 degrés » dans le domaine de cancérologie, « même si une marge d’amélioration est toujours possible ». Elle poursuit avec un précieux conseil aux femmes de son île : « Mesdames, vous n’êtes pas seules. Croyez en cette force commune impulsée par l’ensemble des associations du champ du cancer autour de vous et de vos proches, ne doutez jamais du pouvoir du tous ensemble. Liyannaj sé fos nou ».

Rue des Tamariniers,
La Marie BAT F1 APPT 109 – 97224 Ducos
0696 21 48 90 / coeur-oya@outlook.com