Patrick MONTEL

Commentateur vedette pendant plus de trente ans sur France TV, le bouillant Patrick Montel a couvert neuf Jeux olympiques d’été. “La voix de l’athlé replonge dans les épopées antillaises, intimement liées à son “histoire d’amour” avec Marie-José Pérec.

Patrick Montel ©Collection personnelle
Thibaut Desmarest

Commentateur vedette pendant plus de trente ans sur France TV, le bouillant Patrick Montel a couvert neuf Jeux olympiques d’été. “La voix de l’athlé replonge dans les épopées antillaises, intimement liées à son “histoire d’amour” avec Marie-José Pérec.

Propos recueillis par Thibaut Desmarest

Aux Mondiaux de Paris, en 2003, la France remporte le relais 4×100  m avec trois Guadeloupéennes (Christine Arron, Patricia Girard et Muriel Hurtis) et une Martiniquaise (Sylviane Félix). À l’époque, vous lâchiez : « Sans les Antilles, il n’y a pas d’athlétisme… »

Oui, je me souviens. L’athlétisme antillais a apporté à la Métropole ce qui lui manquait de vitesse et d’explosivité. Historiquement, depuis Roger Bambuck aux Jeux de Mexico, en 1968, sa place est absolument prépondérante. Roger a ensuite fait plein de petits, dont sa “fille aînée” Marie-José Pérec. Cette prédominance du sprint antillais mais aussi du saut — longueur, triple et hauteur — a porté l’équipe nationale vers le haut. Sans les Antillais, combien de médailles aurions-nous eues ? Pas beaucoup.

Quelle relation avez-vous nouée avec les Antilles ?

J’ai toujours eu un rapport particulier, parce que… Marie-Jo. Ma carrière a épousé la sienne et je me suis naturellement attachée à elle et à son île. La Martinique a aussi pris de l’importance à mes yeux. J’ai d’ailleurs eu la chance de m’y rendre lors des championnats de France, en 1997. Sachant que, moi, l’hôtel, le stade et l’aéroport ne me suffisent pas. J’aime lever la tête et parler aux gens. Je me suis nourri de cette fraternité que les Antillais et les Guyanais m’ont apportée.

Patrick Montel aux côtés de Marie-Jo, lors d’un meeting en Guadeloupe ©Collection personnelle
Patrick Montel aux côtés de Marie-Jo, lors d’un meeting en Guadeloupe ©Collection personnelle

D’où vient cette réussite ?

On est dans la Caraïbe. Je pense qu’il y a une génétique extrêmement propice à l’explosivité. La météo contribue aussi à cette réussite sans oublier, à l’époque, la prédominance de l’activité sportive dès le plus jeune âge. Les gamins n’avaient pas grand-chose d’autre. Alors, ils lançaient, couraient, sautaient. Toutes ces conditions réunies ont donné des athlètes exceptionnels. Le problème a ensuite été de survivre à l’hiver et au déracinement une fois à Paris, à l’Insep. Marie-Jo a réussi. C’est d’ailleurs la seule athlète que je connaisse qui a résisté à la Métropole et qui est aussi revenue bonifiée de son passage aux États-Unis.

Quel regard portez-vous justement sur le rêve américain, que beaucoup de jeunes athlètes antillais nourrissent ?

Tous ou presque se sont cassé les dents. C’est une école de la vie où il faut être très fort mentalement. Jimmy Vicaut, Christine Arron et d’autres ont bien tenté l’aventure… Mais il y a un tel réservoir d’athlètes et tu n’as pas de passe-droit. Tu dois tout payer : ton coach, ton kiné, c’est compliqué. Honnêtement, à part Marie-Jo, je ne vois pas d’autres athlètes qui ont vraiment passé ce “cut”.

Quel exploit antillais vous a procuré le plus d’émotion ?

Je vais encore parler de Marie-Jo, aux Jeux d’Atlanta (1996) ! Mais je choisis sa victoire sur le 200 m car, contrairement au 400, elle n’avait encore aucune légitimité mondiale. L’ambiance était électrique, le stade plein, avec cette lourdeur qui accompagne toujours les épreuves de sprint. J’avais l’impression d’être transporté aux Carifta Games. On a assisté à une confrontation entre deux reines qui ne se sont fait aucun cadeau. Une passation de pouvoir sublime entre la Jamaïcaine Merlene Ottey (36 ans) et Marie-Jo (28 ans), qui est venue lui donner la leçon sur son terrain et couronner l’athlétisme antillais.

Finalement, ce sont surtout des athlètes féminines qui ont marqué votre carrière…

J’ai pourtant croisé beaucoup d’hommes antillais, mais ils n’ont jamais eu le charisme des femmes. Dans les stades, elles avaient le pouvoir. Marie-Jo, Christine Arron, Patricia Girard, toutes les relayeuses tricolores… À chaque fois que j’ai eu affaire à une femme antillaise, ce fut une femme de caractère. Avec laquelle je m’entendais d’ailleurs plus ou moins bien ! Je me rappelle aussi de la sprinteuse martiniquaise Emma Sulter, dans les années 70, qui avait sonné la révolte : “Vous ne nous considérez pas, nous les Antillais, nous ne sommes pas des m….” Aux Jeux de Montréal, je crois, en 1976, elle se plaignait aussi d’avoir été écartée du 100 m individuel et reléguée au relais, car Antillaise. Ces femmes ont toujours eu le verbe haut. Pour moi, ce sont des leaders d’opinion, qui ont porté très haut le combat des femmes et la lutte contre le racisme. Marie-Jo y a été confrontée, notamment à Rostock, en Allemagne, pour préparer les Jeux de Sydney. Elle a dû encaisser.

Quel athlète antillais vous a le plus déçu ?

Je pense au Martiniquais Georges Sainte-Rose. Un formidable triple-sauteur et un garçon adorable, qui avait sauté au-delà des 17 m. Malheureusement, il a terminé en prison pour trafic de drogue (condamné à huit ans de prison ferme en 2004, NDLR). Je l’ai revu récemment, mais je n’ai jamais osé aborder ce sujet-là avec lui, je ne sais pas comment il s’est retrouvé dans cette spirale délinquante.

On imagine que le départ précipité de Marie-Jo aux Jeux de Sydney (2000), harcelée avant sa course, vous a aussi beaucoup marqué…

Évidemment, car elle a été traitée comme un vilain petit canard. Elle allait défier Cathy Freeman, qui avait allumé la flamme et représentait le peuple aborigène, tout un symbole. Mais l’Australienne n’avait aucune chance. J’ai appris le départ de Marie-Jo à l’aéroport en me réveillant. Je ne dis pas que j’aurais pu l’empêcher de partir… mais je me serais quand même allongé sous les roues de l’avion.

Après les années Pérec, Arron, Girard, peut-on évoquer un trou générationnel ?

Je parlerais plutôt d’une tendance lourde. Les conditions dans lesquelles s’épanouissaient les jeunes Antillais ne sont plus les mêmes et ressemblent davantage à la Métropole. Les écrans ont remplacé les parties spontanées de foot ou les séances de course à pied. La manière de consommer les loisirs a changé. L’athlé est un sport très ingrat qui demande énormément d’investissement pour des résultats pas toujours probants.

Pourtant aux USA, ou en Jamaïque, la société a aussi évolué…

Oui, mais les Américains ont un vivier exceptionnel grâce à un système universitaire très efficace. En Jamaïque, par contre, comme dans d’autres pays émergents, le niveau de vie ne permet pas toujours d’accéder à d’autres pratiques que l’athlé, où il suffit d’avoir un short et une paire de pompes pour pouvoir exister. On connaît vraiment une redistribution des cartes. En fait, soit on rentre dans un système professionnel comme aux Pays-Bas, soit on se réfère à la masse et donc au niveau de vie d’une population.

Quel regard portez-vous sur la génération actuelle, comme le Guadeloupéen Wilhem Belocian, qui a décidé de quitter la Guadeloupe pour tenter de franchir un palier ?

Wilhem, c’est un talent pur, mais qui vit une carrière en dents de scie à cause des blessures. Il faut avoir les reins solides pour vouloir tout changer. D’autant qu’aujourd’hui, les pépites sont extrêmement sollicitées. On leur demande de gérer leur communication, leurs réseaux sociaux, il y a les agents, etc. On ne leur en demandait pas autant avant. Marie-Jo ne communiquait pas, certains confrères ne pouvaient d’ailleurs pas l’approcher !

Quel a été l’athlète antillais qui vous a laissé le plus beau souvenir ? On parie sur Marie-Jo…C’est une grande histoire d’amour avec elle mais, vous savez, elle n’était pas tendre ! Celle qui me touche le plus, la reine, c’est Muriel Hurtis. Elle est belle, douce, accessible et fut une magnifique athlète, d’ailleurs souvent barrée par des filles dopées. C’est peut-être la femme idéale, celle qu’on idéalise dans ses rêves.

A SAVOIR

Journaliste sportif de 1983 à 2019 à France Télévisions, Patrick Montel a lancé son média « Radio Montel » sur le web et les réseaux sociaux, pour « donner la parole à ceux qui ne l’ont pas ».


Retrouvez cet article dans le hors-série D’entrée de jeux, édition 2023