Pourquoi tant d’enfants asthmatiques ?

La Guadeloupe, la Guyane et la Martinique sont les départements français où les cas d’asthme chez l’enfant sont les plus sévères. Sur nos territoires, des facteurs spécifiques rendent plus difficile la lutte contre la maladie.

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Pourquoi tant d’enfants asthmatiques ?

La Guadeloupe, la Guyane et la Martinique sont les départements français où les cas d’asthme chez l’enfant sont les plus sévères. Sur nos territoires, des facteurs spécifiques rendent plus difficile la lutte contre la maladie.

Texte : Ludovic Clérima

Des chiffres alarmants

En Guadeloupe comme en Martinique, la part de la population touchée par l’asthme est plus élevée qu’en France hexagonale, notamment chez les enfants. En Martinique, selon les travaux du Dr Morgane Dervaux, du service de pédiatrie de la Maison des femmes et de l’enfant, si 8 à 10 % des enfants dans l’Hexagone font de l’asthme, la maladie touche près de 20 % des enfants de l’île. En Guadeloupe, les résultats de l’enquête Kannari 1, menée en 2013, révèlent que 18 % des enfants de 3 à 15 ans sont asthmatiques et 27 % des 16 à 24 ans. La Guyane, faute d’études précises du fait de la sous-détection des cas, ne distingue pas les enfants des adultes dans ses travaux. Mais la Collectivité territoriale affirme que 30 % des Guyanais sont concernés par cette pathologie respiratoire.

Repérer les signes

La prise en charge précoce de la maladie est primordiale ! Certains signes doivent alerter et pousser à la consultation, comme un essoufflement brutal au niveau de la poitrine. « On peut être asthmatique sans avoir de sifflement en respirant. Certaines quintes de toux, notamment lorsque l’on rit ou durant l’effort, sont à surveiller. La toux est un réflexe de défense des bronches. Si ce symptôme se manifeste systématiquement, alors il faut voir un médecin », recommande le Pr Chantal Raherison-Semjen, cheffe du service de pneumologie au CHU des Abymes, en Guadeloupe. « Nos territoires présentent davantage de cas graves qu’ailleurs. Nos patients asthmatiques sont hospitalisés plus souvent en urgence. Nous avons plus de personnes qui passent par la case réanimation ou découvrent qu’ils font de l’asthme à l’occasion d’une crise grave », constate la spécialiste.

Consultations tardives

La faute à un recours aux soins tardif. C’est notamment le cas en Guyane, où, comme le note l’ARS dans son projet de santé pour la période 2018-2027 : « Les Guyanais ont un taux de recours aux soins inférieur au niveau national. Ce renoncement peut être lié à des raisons financières (30 %), des raisons de transport (12 %), mais également en raison de l’éloignement du lieu de soin (7 %) ou du délai de rendez-vous (trop long, 22 %). »

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La faute à notre environnement ?

Sur nos territoires, trois facteurs environnementaux aggravent le phénomène.

– Les brumes de sable du Sahara

« Ces brumes ont toujours existé chez nous. Elles véhiculent de nombreux nutriments essentiels à notre écosystème. Mais le changement climatique intensifie ce phénomène naturel. Aujourd’hui, le seuil réglementaire d’alerte est fixé à 50 mg/m3 par l’Organisation mondiale de la santé. Mais il s’agit d’un référentiel utilisé en Europe et en Amérique du Nord. Il n’est pas adapté à nos territoires insulaires. Nos travaux démontrent que dès 28 mg/m3, les particules fines sont présentes dans l’atmosphère caribéenne et qu’il faut se protéger ou prendre les mesures nécessaires lorsqu’on est fragile », souligne le Pr Thomas Plocoste, du laboratoire KaruSphère, spécialisé dans la pollution de l’air et du changement climatique.

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Pr Thomas Plocoste, fondateur de Karusphère © DR

– Des acariens spécifiques

Ils s’appellent Blomia tropicalis, acarien très répandu en Amérique latine, et Mimosa pudica, une plante allergène. Ils contribuent à irriter les voies respiratoires.

– Les sargasses

Elles se sont ajoutées à la liste des facteurs susceptibles de générer de l’asthme ainsi que d’autres problèmes respiratoires. « Les données expérimentales sur le sujet montrent que l’exposition à l’hydrogène sulfuré émis par les sargasses en décomposition est un irritant. Les patients qui résident dans les zones exposées nous disent que dès que les sargasses arrivent, ils ressentent de l’essoufflement et toussent beaucoup », remarque le Pr Chantal Raherison-Semjen. En Martinique, une étude publiée en juin 2025, réalisée par le Comité indépendant d’experts du Centre hospitalier universitaire de l’île, confirme les effets nocifs de l’algue brune sur les poumons. Réalisée auprès de 154 patients suivis pendant un an, elle révèle que 80 % d’entre eux se plaignent de troubles neurologiques, digestifs (77 %), respiratoires (69 %), oculaires (64 %), ORL (53 %) et psychologiques (33 %).

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Pr Chantal Raherison-Semjen, pneumologue © Ludovic Clérima

Comment prévenir ?

Sur le terrain, les associations de prévention se font de plus en plus rares en Guadeloupe. « J’ai déclenché ma première crise en 2014, et face au manque de structures, j’ai finalement créé la mienne. Toutes les associations ont disparu », raconte Kelly Machecler, fondatrice de l’association Tropic’Asthm. « Nous faisons de la prévention et de l’accompagnement des personnes asthmatiques pour les aider à mieux vivre avec la maladie, des campagnes d’information lors de la Journée mondiale de l’asthme. J’accompagne aussi beaucoup les parents qui ont des enfants asthmatiques à mieux comprendre cette maladie », ajoute Kelly Machecler. Le Groupement d’intérêt public Réseau et Actions de Santé Publique en Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, situé à Baie-Mahault, regroupe plusieurs organismes de santé, dont certains dédiés à l’asthme. En Guyane, c’est l’association AllerGuyane, fondée par des parents d’enfants allergiques, qui tente au mieux d’informer la population. La Martinique est le seul département des Caraïbes à posséder une école de l’asthme à Fort-de-France. Une structure qui propose des séances d’éducation thérapeutique pour les enfants à partir de 7 ans afin de mieux gérer la maladie. Car l’asthme, lorsqu’il est détecté, est bien pris en charge à l’aide d’un traitement de fond qui comprend l’inhalation de corticoïdes ou d’antileucotriènes. Ils peuvent être complétés par des bronchodilatateurs comme la Ventoline. « Ce médicament agit à la minute, mais il faut le prendre très tôt, bien avant que la crise ne devienne trop forte », conseille le Pr Chantal Raherison-Semjen.

Des tisanes pour aider ?

Certaines tisanes ont également un effet positif sur l’asthme. Le marrube blanc, connu pour ses vertus expectorantes, est un anti-inflammatoire et un bronchodilatateur naturel. Le thym en tisane est anti-infectieux, et le plantain, anti-allergique. Précisons toutefois que ces tisanes ne se substituent pas à un traitement médicamenteux, mais peuvent se prendre en complément de ce dernier ou en prévention des crises, toujours avec l’avis de son médecin.