Sylvia Eloidin L’O’CEAM a l’air bon
Sylvia Eloidin, Experte en Diététique et Docteur en sociologie de l’alimentation, spécialisée en Education alimentaire, prévention et promotion de la santé, est la créatrice et gérante de l’O’CEAM : Observatoire et centre d’éducation alimentaire martiniquais (www.oceamse.com)
Manger bio fait-il partie de nos traditions alimentaires ?
Rappelons ce qu’on entend par une alimentation bio : c’est une alimentation cultivée sans engrais chimiques de synthèse et sans pesticides de synthèse. Elle exclut également les OGM (organismes génétiquement modifiés). Elle est donc garante de la qualité sanitaire des aliments. Néanmoins, la qualité nutritionnelle de l’aliment ne change pas, qu’il soit bio ou non. L’équilibre alimentaire peut se faire sans forcément manger bio.
Acheter bio ne faisait pas partie de nos traditions alimentaires. Il n’existait pas d’aliments étiquetés bios en vente aux marchés ou en grandes surfaces, ni de magasins spécialisés.
Cependant, lorsque nos grands-parents cultivaient les fruits et légumes de leurs jardins sans utiliser d’engrais et de pesticides, ni d’OGM, et que nous les consommions, c’était déjà « manger bio ».
Mangeons-nous les fruits locaux de saison ?
Lors des ateliers d’éducation alimentaire que je réalise auprès de la population pour apprendre aux participants à rééquilibrer leur alimentation, ces derniers évoquent leurs pratiques alimentaires. Selon leurs dires, ils consomment beaucoup les fruits locaux de saison, ce qui est une très bonne chose. Toutefois les saisons sont aussi propices aux excès alimentaires dans la société de surconsommation. Quand c’est la saison des mangos, c’est « la bassine de bassignacs » qui est consommée ; lorsqu’arrive celle des avocats, c’est le féroce d’avocat matin, midi et soir… et ce durant toute la saison, en plus de la ration alimentaire quotidienne habituelle.
Les fêtes constituaient déjà les sièges des abus avant, pendant, et après la date de fête, et étant donné qu’elles sont nombreuses (Noel, Jour de l’An, Epiphanie, Carnaval, Pâques, Pentecôte, etc.), si en plus les saisons incitent également aux excès…
C’est pour cela que je conseille aux gens de revenir au temps de solidarité et de partage d’avant : on offrait une corbeille de fruits de saison à celui qui n’avait pas forcément les fruits de notre jardin : voisins, ou amis habitants en appartement… Il semblerait que cela se perde, sauf en temps de grève…
Pourquoi avons-nous pris l’habitude de boycotter les fruits locaux ?
Les personnes ne consommant pas les fruits locaux évoquent leurs prix exorbitants par rapport aux fruits importés. Ils sont vraiment dans l’incompréhension : « comment des aliments provenant de notre île, nous sont vendus beaucoup plus chers que des aliments venant d’ailleurs ? » C’est un exemple de leur réaction. Mais de nombreux producteurs locaux réalisent de gros efforts sur leur prix de vente en proposant à la population des circuits courts, c’est-à-dire en réduisant le parcours entre le fruit cueilli et le consommateur.
« Ne mangez pas les fruits locaux ça donne des vers », que pensez-vous de ce lieu-commun ?
Seul un fruit trop mûr et/ou détérioré, pourrait donner des vers selon moi. Mais un fruit mûr « à point » si je puis dire et non souillé, n’en contient pas normalement.
Comment expliquez ce retour aux sources qui consiste à rechercher des fruits et légumes locaux ?
Il y a un véritable paradoxe, avec d’un côté une « méfiance » vis-à-vis des produits locaux. Elle s’explique, entre autres, par les préjugés sur leur intérêt nutritionnel : « ils font plus grossir », sont « moins bons pour les diabétiques »… que les autres produits venant d’ailleurs ; mais aussi par leur coût élevé et le chlordécone.
D’un autre côté, il y a également un retour aux sources avec le désir de « consommer local ». Les participants justifient cette volonté parfois ainsi : « De toutes les façons, on ne sait pas non plus ce qu’il y a dans les produits importés, donc autant consommer les produits de chez nous… »
Ils pensent aussi que ce qui pousse chez nous est meilleur pour notre corps, étant natifs et ayant vécu sur l’île, que les aliments importés. Enfin, je crois qu’il existe une véritable quête, une recherche d’identité ces dernières années, qui passe bien entendu par l’affirmation de notre identité alimentaire et culinaire. Car n’oublions pas que l’alimentation est un véritable marqueur d’identité culturelle : elle exprime notre appartenance à la société dans laquelle nous sommes profondément ancrés.