Thierry Devimeux « Par nature, ce qui fonctionne bien ne remonte pas jusqu’à moi »

Thierry Devimeux, préfet de la Région Guadeloupe, a pris ses fonctions le 1er septembre dernier. Après consultation des forces vives du territoire, en accord avec les directives de l’État, il met en place sa feuille de route, « combatif et déterminé ».

Thierry Devimeux, préfet de la Guadeloupe Lou Denim
Thierry Devimeux, préfet de la Guadeloupe Lou Denim

Thierry Devimeux « Par nature, ce qui fonctionne bien ne remonte pas jusqu’à moi »

Thierry Devimeux, préfet de la Région Guadeloupe, a pris ses fonctions le 1er septembre dernier. Après consultation des forces vives du territoire, en accord avec les directives de l’État, il met en place sa feuille de route, « combatif et déterminé ».

Anne de Tarragon

Vous avez tout récemment pris vos fonctions, comment abordez-vous votre mission ?

Je suis là pour représenter l’État et, avec les 15 000 fonctionnaires présents sur le territoire, accompagner et rendre service. Je le dis haut et fort pour rappeler ce rôle, ce rapport au territoire. Nous disposons de trois outils pour le faire : aider et financer les projets, mettre notre propre ingénierie au service des territoires, et faire respecter les règles. Car, c’est aussi rendre service que de faire respecter les règles, parfois contraignantes mais toujours utiles, qui garantissent la démocratie et qui valent pour tous.

À ce titre, la communication sur ce que fait l’État, et pourquoi il le fait, est sans doute un élément clé ?

C’est important pour que chacun en prenne la mesure. Et c’est encore plus important dans des territoires comme la Guadeloupe, du fait de la distance géographique, mais aussi de l’histoire coloniale, singulière et douloureuse, qui peuvent générer une défiance vis-à-vis de l’État. Nous nous inscrivons dans l’avenir et accompagnons la dynamique du territoire. Je m’efforce d’être très présent pour accomplir notre mission : accompagner et rendre service.

Justement, à quels constats vous ont mené les rencontres avec les acteurs locaux ?

J’ai dressé deux constats majeurs. Le premier est celui d’une société guadeloupéenne fragilisée où la démographie est en baisse, où la population vieillit, où le taux de chômage est important, les difficultés sociales et économiques nombreuses. Ce qui en fait une société où la violence est très présente. Y conforter le pacte républicain est fondamental, autrement dit faire en sorte que tout le monde ait les mêmes chances de vivre son présent et construire son avenir ici que partout en France. Le second concerne le dérèglement climatique, qui impacte fortement le territoire bien qu’il soit encore peu intégré par la population.

« Quand l’économie propose du travail, le cercle vertueux s’engage. »

Sur la question de la violence, comment abordez-vous cet enjeu et quels moyens prévoyez-vous ?

La violence de la société est bien évidemment un sujet compliqué. La délinquance fait référence à une gestion défectueuse d’une jeunesse désœuvrée, en décrochage scolaire, qui glisse vers l’oisiveté violente. La violence est aussi présente dans les familles, fragilisées par le chômage, l’absence des pères, le délitement social et sociétal, la paupérisation. Quand l’économie propose du travail, le cercle vertueux s’engage. Mais sur un petit territoire, en contraction, la création d’emploi est compliquée. Même si la délinquance est une conséquence, il faut y remédier. Nous devons rappeler le rôle de l’école, de la famille, et mettre en concordance les forces vives du territoire, car l’État seul ne peut trouver des réponses. J’ai donné des consignes très sévères aux forces de l’ordre pour mettre une pression accrue.

Notamment sur les routes, vis-à-vis des comportements au volant…

Absolument, limitation de vitesse non respectée, téléphone au volant, ceinture pas attachée… Le non-respect des règles mène à une délinquance inadmissible. 43 morts dont 50 % de gens victimes de délinquants de la route ! C’est scandaleux. J’ai demandé non seulement des contrôles sévères, une réparation des radars, mais aussi une révision des grilles de retrait de points et des modalités de suspension du permis. Je veux provoquer un électrochoc et marquer les esprits.

La violence dans la société est aussi de plus en plus liée au narcotrafic. Avons-nous les moyens d’agir sur ce front ?

La violence interne à la société guadeloupéenne est aussi alimentée, c’est vrai, par le narcotrafic qui se développe et se banalise. Par nos territoires antillo-guyanais, les grands réseaux de trafiquants entendent pénétrer l’Europe. Un gros travail est accompli en concertation et coopération avec la Martinique et la Guyane, mais aussi avec l’Europe. Concrètement, les contrôles se renforcent en coopération avec la Région et le Département, y compris dans les lycées avec des chiens policiers, comme nous l’avons déjà fait récemment. Apprendre dans de bonnes conditions, c’est aussi contribuer au développement du territoire et refuser la violence.

Ma responsabilité est de veiller à ce qu’il n’y ait pas de dysfonctionnements dans l’application des règles.

En tant que préfet de Guadeloupe, comment appréhendez-vous la question de l’accès de la population à l’eau potable ?

La situation est très grave. Il faudrait 1,6 milliard d’euros, beaucoup de volonté et 40 ans pour remonter la pente. On constate un défaut de gouvernance, une ingénierie insuffisante, une base clients pas gérée, pas plus que les aspects techniques, ou l’investissement. Le traitement des eaux usées est un sujet connexe. Aucune des 120 stations n’est aux normes. La gestion de l’eau, je le rappelle, relève de la compétence des maires qui l’ont transférée aux communautés de communes et aux syndicats, aujourd’hui un syndicat unique. Je rappelle que l’État n’a pas la main, c’est même contraire à l’organisation constitutionnelle, pourtant il a déjà investi 105 millions d’euros et mis à disposition des assistants techniques. Il contribuera donc mais ne peut se substituer aux élus, à la population, au syndicat. Le territoire doit porter un véritable plan Marshall. Je mets mon énergie à relancer la gouvernance, trouver des financements. Un espoir tout de même : la récente décision du conseil syndical de créer une régie autonome est une mesure pour aller de l’avant. J’y vois un signe positif.

La gestion des sargasses relève, elle, de la compétence de l’État. Quelle approche préconisez-vous ?

Effectivement, la responsabilité à ce sujet incombe à l’État, par solidarité avec ses territoires, et nous contribuons de toutes les manières possibles à régler le problème. Nous avons financé à hauteur de vingt millions d’euros le plan Sargasses 2. En 2026 démarre le plan Sargasses 3. L’argent n’est pas pour l’heure le facteur limitant sur ce sujet, mais plutôt les connaissances et les techniques. On se contente de gérer les effets. On apprend. Ça passe par la recherche financée par l’Europe et l’ONU pour comprendre le fonctionnement et limiter la prolifération. Ça passe par la gestion des algues échouées. On ramasse, on stocke. C’est une solution discutable puisqu’elle tend à aggraver les effets du réchauffement climatique : on enlève le sable et on abîme le trait de côte. Quant au stockage des algues, il crée des infiltrations dans le sol dont on ne connaît pas les conséquences. La mise en place de barrages déviants en mer permet d’éviter l’échouage. Même si elle est très technique à gérer, cela semble une solution d’avenir. L’autre travail de l’État est de comprendre si ces sargasses impactent la santé humaine. Nous avons des normes ou doses, des seuils d’évacuation, pour l’heure toujours en réaction pour éviter les désagréments les plus forts. Nous avons lancé un gros programme de recherche et d’étude épidémiologique. J’accorde beaucoup d’importance à cette problématique. Je tiens à rassurer la population sur le fait que ce sujet est bien pris en compte.

Une problématique qui alimente régulièrement colère et indignation au sein de la population est celle de « la vie chère ». Comment l’État peut-il se positionner pour soulager cette pression ?

Nous avons mis en œuvre le BQP (Bouclier Qualité Prix) dans les outremers pour garantir un rapport qualité/prix pour une liste de produits de grande consommation. Il est renégocié chaque année entre l’État et les acteurs économiques locaux. Cela permet de mettre en tension les distributeurs pour qu’ils veillent aux prix et à l’État de faire des contrôles. Voilà pour le volet réglementaire. Réduire le taux de TVA sur 70 familles de produits contribue à faire baisser les prix. La Martinique a supprimé l’octroi de mer sur certains produits, ce n’est pas une voie que la Guadeloupe a adoptée. Structurellement les produits coûtent plus cher ici. Faut-il imposer aux industriels un prix export plus faible que le prix national par exemple ? Cela appartient au débat parlementaire. Ma responsabilité est de veiller à ce qu’il n’y ait pas de dysfonctionnements dans l’application des règles.

Sécurité intérieure, dérèglement climatique, sargasses, déchets, gestion des risques naturels, eau propre et sale… Les dossiers sont nombreux et les attentes importantes. Dans quel état d’esprit vous levez-vous chaque matin ?

(Sourire) Je suis dans un état d’esprit combatif. Mon rôle est de m’intéresser à ce qui ne va pas bien, ma mission est de gérer les problèmes. Donc, par nature, ce qui fonctionne bien ne remonte pas jusqu’à moi ! J’en suis conscient mais pas inquiet.

Si nous nous donnons rendez-vous dans un an, quel bilan aimeriez-vous faire ?

Je souhaiterais que les indicateurs de la délinquance soient en nette amélioration et qu’on ait grimpé au moins trois des cinq cents marches vers la solution à la problématique de l’eau.

Rendez-vous en novembre 2026