Une nouvelle lecture de l’océan

Et si les câbles de fibres télécom servaient aussi à mieux comprendre l’océan  ? En détournant ces infrastructures pour mesurer les variations de température, les courants marins et les déformations du sol, un groupe de chercheurs ouvre une nouvelle voie d’observation sous-marine.

Courantomètre © Sébastien Cordonnier
Courantomètre © Sébastien Cordonnier

Une nouvelle lecture de l’océan

Et si les câbles de fibres télécom servaient aussi à mieux comprendre l’océan  ? En détournant ces infrastructures pour mesurer les variations de température, les courants marins et les déformations du sol, un groupe de chercheurs ouvre une nouvelle voie d’observation sous-marine.

Sarah Balay

Utiliser les câbles télécom sous-marins qui reposent au fond l’eau pour suivre les variations de température de l’eau, les courants entre les îles de l’archipel guadeloupéen et la déformation du sol ? Pourquoi pas !

Cette avancée scientifique majeure, a été réalisée lors du projet Focus, financé par  European Research Council (ERC) et dirigé par Marc-André Gutscher, directeur de recherche CNRS.

Elle est le fruit d’une collaboration fructueuse, initiée, il y a trois ans, entre des géophysiciens de Geo-Ocean (une unité mixte de recherche : CNRS Brest-université de Bretagne Occidentale-IFREMER), des géologues de Géosciences Montpellier en Guadeloupe (unité mixte de recherche : université des Antilles – université de Montpellier – CNRS), la Région Guadeloupe (à qui appartiennent les câbles), Orange et IDIL Fibres optiques (une société de recherche et développement).

Avec une technique optique (la réflectométrie laser), les chercheurs parviennent à détecter les variations de la température de l’eau de mer ainsi que des sollicitations mécaniques des câbles (probablement dues aux courants de fond qui traversent le canyon du bassin de Marie-Galante).

« Ces câbles, en Guadeloupe, nous intéressent puisqu’ils traversent des structures géologiques importantes », explique Mélody Philippon maitre de conférences en géosciences à l’université des Antilles. « On y trouve notamment le système de  faille du Gosier et sa faille conjuguée, celle de Morne Piton. Si ces failles actives bougent, elles aussi induiraient une déformation du câble. »

Depuis trois ans, les chercheurs, grâce à des mesures effectuées tous les trois à six mois (via les armoires en bord de route), ont mis en évidence des variations saisonnières de température comprise entre 27 et 30° C, ainsi qu’un réchauffement marqué de l’eau sur la plateforme récifale au sud de la Grande-Terre, du côté de Saint-François.

Entre 2022 et 2024, la température y a augmenté d’environ 1,5° C, phénomène étroitement lié aux épisodes de blanchissement qui affectent les coraux depuis deux ans.

Alimenter la recherche

Depuis juin dernier, une nouvelle étape a été franchie avec l’installation d’un interrogateur laser dans le local Orange de Saint-François. Ce dispositif effectue désormais une mesure toutes les trois heures sur chacun des câbles reliant Saint-François à la Désirade, Marie-Galante et Capesterre-Belle-Eau.

Des mesures quasi continues, mais pas seulement.

L’équipe scientifique a également déployé cinq instruments (sondes température et courantomètres, en collaboration avec l’association Titè) au fond de la mer, entre 13 et 25 m de profondeur, entre Saint-François et La Désirade, juste à côté des câbles télécom. Ces sondes vont enregistrer les conditions au fond de la mer toutes les 30 secondes pendant un an. « Ces données viendront compléter celles transmises par les fibres optiques, en permettant une approche croisée », poursuit Mélody Philippon. « L’objectif est de mieux distinguer la part de déformation du câble liée aux courants marins de celle imputable aux variations de températures. »

Les données collectées alimenteront de nombreuses recherches et profiteront aux biologistes, modélisateurs et climatologues. Elles aideront à mieux comprendre le blanchissement des coraux, la circulation des courants profonds dans le bassin de Marie-Galante et leurs liens avec les conditions climatiques.

« L’enjeu aujourd’hui est de montrer que cette approche pourrait être reproduite ailleurs », explique Mélody Philippon. « En s’appuyant notamment sur d’autres câbles sous-marins déployés dans les océans où les données de température sont rares. »

D’autres initiatives sont actuellement à l’étude par l’équipe de chercheurs, comme l’exploitation du câble traversant la Caraïbe, qui relie Porto-Rico à la Martinique, afin de poursuivre les mesures environnementales.

Un projet vise également à installer des hydrophones sur les câbles pour capter vibrations et fonds marins, et particulièrement le chant des baleines… À suivre.

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FOCUS installé en Sicile, en 2020 Christophe Nativelle

Mayotte : une fibre optique pour mieux comprendre les séismes

Le 10 octobre 2019, un câble très haut débit et long de 400 km a été mis en service entre les Comores et Mayotte. Ce câble sous-marin en fibre optique ne sert pas uniquement à améliorer la connectivité dans l’océan Indien. Situé sur une zone sismiquement active, il permet à l’institut physique du globe de Paris (IPGP) d’écouter les mouvements sismiques de la région et notamment les volcans en formation. Ces câbles permettent de repérer les vibrations du sol sur lequel est posée la fibre. Une expérimentation rendue possible par une convention signée entre l’IPGP, Orange et les membres du consortium Fly-Lion (société réunionnaise du radiotéléphone et Comores Câbles).

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Marc-André Gutscher (chercheur CNRS et porteur du projet FOCUS) et Sarah Vitalis Simon (Conseil régional) Christophe Nativelle

Une idée récente portée par un réseau de chercheurs

L’utilisation des câbles sous-marins comme capteurs est une idée émergente, développée depuis moins de dix ans par un petit groupe de chercheurs internationaux. Les premiers essais ont été menés aux États-Unis sur la faille de San Andreas, puis en Europe, au large de la Sicile qui était également la cible principale du projet FOCUS.