Produire local : état des lieux et perspectives

par Alain Maurin, maître de conférences en économie à l’Université des Antilles et de la Guyane

Il y a évidemment différents angles d’analyse pour aborder la discussion sur ce sujet central que constitue la production locale d’un pays ou d’une région à la recherche d’un meilleur devenir. Toutefois, dans les DOM, nous savons tous que cette thématique est au centre des débats, et encore plus depuis notre crise sociale de 2009.

Le constat sur les réalités de la production locale en Guadeloupe

La production locale révèle de nombreuses surprises à celui qui prend le temps de parcourir tout le panel des entreprises de l’archipel ainsi que la longue liste des produits fabriqués ou transformés ici en Guadeloupe.

Il faut prendre conscience que la Guadeloupe possède une filière industrielle de fabrication de biens intermédiaires qui propose des produits phares tels que le ciment, la peinture, le béton… Il s’agit de productions qui font appel à des techniques très sophistiquées et qui sont soumises à des normes très rigoureuses.

Il est intéressant de noter que la Guadeloupe héberge des entreprises qui sont en train de constituer progressivement une filière pharmaceutique au sein de laquelle on recense des produits de types compléments alimentaires, des tisanes, des thés, des produits de beauté et des cosmétiques.

Il est important de relever que l’agroalimentaire est un secteur très large en Guadeloupe, déployé sur plusieurs segments de marché tels que les boissons rafraîchissantes, les eaux plates, les sirops ; les boissons alcoolisées en dehors du rhum… Dans ce secteur, gardons en tête que la Guadeloupe a déjà fait preuve de grandes capacités d’innovation : c’est bien sur les hauteurs de Petit-Bourg, à l’Inra, qu’ont été mises au points des inventions comme le procédé de stabilisation du jus de canne, le procédé d’obtention de produits dérivés de bananes dont le pur-jus de banane, la pomme-patate etc.

Il faut se rappeler que le secteur de l’édition et de l’imprimerie est équipé avec des appareils à la pointe du progrès et propose des produits que le guadeloupéen manipule tous les jours : journaux, livres, prospectus de publicité, panneaux publicitaires, affiches…

Comment expliquer les difficultés rencontrées par les secteurs de la production locale ?

Les raisons sont évidemment multiples. Il est bien regrettable que des dizaines de produits proposés par des entreprises locales n’aient pas rencontré le soutien des consommateurs locaux. Quelques exemples : le jus de canne Kanasao, les chips de banane, la farine de banane, la semoule de banane, la farine de dictame, la bière locale.

Le consommateur a le pouvoir du choix, même si, dans certains cas, on peut comprendre la difficulté de choisir face à des produits importés moins chers, mais c’est loin d’être une généralité. Il y a des produits locaux de bonne qualité, moins chers, et qui pourtant ne rencontrent pas le succès.

La grande distribution joue aussi un rôle : imaginons un instant toute la puissance de la grande distribution prenant fait et cause de la production locale, faisant l’effort de la soutenir véritablement. Ce serait des dizaines d’entreprises qui se porteraient mieux, ce serait de l’emploi en plus dans notre archipel. De mon point de vue, la question de la pratique du tout import de la grande distribution est une problématique cruciale. La pratique de l’import/export doit-elle perdurer uniquement sous l’angle de recherche de marges commerciales optimales, au détriment de l’intérêt collectif ? Je pense que nous avons intérêt à ouvrir la réflexion sur la perception et l’obligation de l’import/export au service du développement économique.

Les perspectives

Dans le secteur de l’agro-transformation, il faut avoir en tête que des opportunités d’émergence de nouvelles dynamiques sont largement faisables.

Citons un seul exemple, celui de la filière des boissons de type jus de fruits. Je suis persuadé que le panel de produits élaborés localement pourrait s’élargir avec des nouvelles boissons originales. Juste une illustration : les smoothies obtenues facilement à partir d’eau et de fruits et légumes mixés sans additifs et sans conservateurs ; comment ne pas s’autoriser à penser que cette gamme de jus, qui ne constitue en rien une nouveauté du coté de nos “recettes maison”, pourrait fort bien faire l’objet d’une industrialisation locale et, par la même, apporter des réponses commodes en matière de santé pour permettre la consommation des “cinq fruits et légumes par jour” ?

Autre secteur: la menuiserie industrielle. Cette filière se voit ouvrir de belles perspectives : mise en place de la réglementation thermique 2012, marché de la rénovation, marché du neuf avec des logements aux nouvelles normes de construction etc. Au sein de notre archipel, elle propose une diversité de produits déclinés en plusieurs familles : volets roulants, stores, clôtures, balcons et gardes-corps, menuiserie aluminium, portails… Il est sûr que les intrants sont importés, mais la fabrication demeure locale.

Dans le registre des perspectives, il faut à mon avis accorder beaucoup d’attention et de respect aux activités effectuées dans le champ très vaste des 200 métiers d’art et de leur gamme étendue de produits : cuvées spéciales, porte-clés, T-shirts, livres, stylos, cartes souvenirs, lampes de poche solaires, poupées, bijoux de fantaisie etc. L’archipel est en déficit d’une industrie des articles-cadeaux qui existent un peu partout à travers le monde, mais il dispose de gros potentiels qu’il s’agit de mettre en synergie et en position d’échanges inter-sectoriel avec le reste de l’économie.

Les entreprises guadeloupéennes devraient oser beaucoup plus l’exportation. D’autant plus que, en référence à l’affirmation selon laquelle la faiblesse du taux de couverture de la Guadeloupe est due essentiellement au haut niveau des importations, qui n’est vraie qu’en partie, il faut surtout dire que ce sont les flux anormalement bas de ses exportations qui engendrent ses faibles performances en matière de commerce extérieur.