Autrice du roman graphique Tropiques Toxiques, Jessica Oublié est depuis le 1er septembre 2021 la coordinatrice régionale de l’Agence Nationale de Lutte Contre l’Illettrisme (ANLCI) en Guadeloupe. Le point sur les missions de ce nouveau défi. – Texte Yva Gelin

Qu’est-ce qui vous a motivé à postuler à ce poste de coordinatrice régionale ?

L’annonce m’a été envoyée par une amie au moment où je cherchais à reprendre une activité de salariée. Le descriptif du poste m’a tout de suite attiré car l’animation territoriale et l’appui aux organisations de la société civile sont des domaines qui me tiennent à cœur. C’est un poste qui mêle ingénierie de projet, production de contenus pédagogiques, accompagnement des acteurs de terrain, dialogue institutionnel, actions éducatives et culturelles. Et puis, j’aime mettre en mouvement les gens autour d’une même problématique. C’était également l’occasion pour moi de travailler sur des politiques publiques aussi diverses que l’éducation formelle et informelle, la formation pour adultes, l’insertion professionnelle, la culture, l’action sociale, le numérique et de monter en expertise sur l’ensemble de ces sujets.

« C’est une réalité à laquelle j’ai été confrontée en découvrant les difficultés que des élèves de 3ème pouvaient avoir dans la construction de leurs phrases, d’une argumentation, d’un texte court. »

Étiez-vous déjà sensibilisée à la problématique de l’illettrisme ?

En toute honnêteté, quand j’intervenais en tant qu’auteure dans des écoles, je n’abordais jamais une rencontre en pensant à ce que les élèves ne maîtrisaient pas. Je ne m’adressais pas à eux en me disant que certains rencontraient des difficultés à lire ou à écrire. J’essayais plutôt d’identifier ce qui pouvait nous rapprocher pour faciliter le lien et la mise en route du projet… Néanmoins, c’est une réalité à laquelle j’ai été confrontée en découvrant, à l’occasion d’un projet de 9 mois dans un collège, les difficultés que des élèves de 3ème pouvaient avoir dans la construction de leurs phrases, d’une argumentation, d’un texte court.  

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Quelles sont les missions de l’ANLCI ?

L’agence intervient en direction des personnes qui, après avoir effectué leur scolarité en France, ne maîtrisent pas ce que l’on appelle les compétences de base que sont la lecture, l’écriture, le calcul et les compétences numériques. Ces compétences sont fondamentales car permettent d’être autonomes dans des situations simples de la vie quotidienne comme lire un courrier administratif et y répondre, effectuer des démarches de réactualisation en ligne, correspondre avec l’enseignant de son enfant, se repérer dans la rue, calculer des revenus et des dépenses pour gérer un budget personnel.

Les 3 mots d’ordre de l’ANLCI sont : mesurer l’illettrisme, le prévenir par des actions ciblées et individualisées et outiller les acteurs en charge de l’accompagnement et de la formation des personnes en situation d’illettrisme. 

« L’agence souhaite encourager les démarches expérimentales et collaboratives. C’est dans cette perspective qu’elle a créé la Coopérative des solutions, véritable fabrique d’expérimentations de projets. »

Localement, comment cela s’organise? 

Depuis quelques mois, l’agence déploie son action dans l’ensemble des territoires de France par le recrutement de correspondants régionaux qui sont généralement affectés au sein des secrétariats généraux des affaires régionales des préfectures.

En tant que coordinateurs, notre rôle consiste en l’animation du réseau d’acteurs en charge de la prévention et de la lutte contre l’illettrisme comme le rectorat, les établissements scolaires, les collectivités territoriales, les entreprises, le Centre National de la Fonction Publique Territoriale, la Mission locale, les bibliothèques, le RSMA, les opérateurs de compétences (OPCO), les centres de formation, Pôle Emploi  est donc l’animation et la coordination des missions publiques avec des acteurs tels que les bibliothèques, les Maisons familiales rurales, les centres sociaux, etc.

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C’est donc beaucoup de coordination ?

C’est surtout de l’accompagnement. Le but est de réunir les acteurs qui pourraient travailler en réseau pour permettre aux personnes en situation d’illettrisme de bénéficier de parcours de formation durables prenant en compte l’ensemble de leurs besoins : humains, linguistiques, numériques, sociaux, économiques, professionnels, culturels. Pour cela, il est capital que ces derniers se connaissent entre eux, identifient leurs liens de complémentarité, adaptent leurs actions avec les spécificités des publics en situation d’illettrisme, pour ensuite essaimer les actions qui démontrent leur efficacité.

L’agence souhaite encourager les démarches expérimentales et collaboratives. C’est dans cette perspective qu’elle a créé la Coopérative des solutions, véritable fabrique d’expérimentations de projets conçus dans 17 territoires de l’Hexagone et de l’Outre-mer. Ces expérimentations ont donné lieu à des projets innovants tous élaborés de façon collective par un large panel d’acteurs constitués de CFA, mairies, centres de formation, centres sociaux, entreprises… J’ai notamment pour mission en 2022 de déployer cette opération en Guadeloupe.

« J’aime mettre en mouvement les gens autour d’une même problématique. »

Auriez-vous un exemple d’accompagnement ?

Récemment dans le cadre de l’appel à projet de la préfecture intitulé “Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté”, la Mission Locale de Guadeloupe m’a sollicitée pour l’accompagner dans la réflexion qu’elle mène autour des compétences de base. Son dispositif Garantie Jeunes accueille 1200 jeunes chaque année mais nombre d’entre eux ont des difficultés face à l’écriture et à la lecture.

Nous avons mis en place un groupe de travail composé notamment d’un chargé de l’outil EVA (qui évalue les compétences de base), d’une consultante en design thinking, d’une structure proposant des visites immersives en entreprise à l’aide de casques de réalité virtuelle qui ont travaillé avec une association d’entreprises de Guadeloupe, une coordinatrice des chantiers d’insertion, une représentante d’un centre de formation et des conseillers de la Mission locale. L’objectif était de permettre à chacun de ces acteurs de comprendre les besoins des jeunes du dispositif afin de porter collectivement une réponse innovante qui leur permettent de consolider leurs compétences de base, tout en travaillant à l’élaboration de leur projet professionnel.

Si le projet est financé, l’expérimentation devrait commencer dans le courant du premier trimestre 2022 au bénéfice de 100 jeunes et, si elle est fructueuse, les résultats de l’expérimentation pourraient alors bénéficier aux publics des 32 antennes de la Mission locale de Guadeloupe.

Plus d’informations www.anlci.gouv.fr

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