Depuis les soulèvements sociaux de 2009 qui ont assombri encore un peu plus le ciel de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane ou de la Réunion, tout a été dit ou presque sur les problématiques des Outre-mer et sur les freins qui empêchent encore ces territoires de se construire un futur durable, qu’il soit économique ou social. Bien plus que l’absence des Outre-mer sur les cartes météorologiques ou dans les journaux télévisés (hormis au lendemain du passage d’un cyclone, après une performance sportive ou pendant le carnaval), c’est l’impossibilité pour ces petits bouts de France à trouver une route à suivre qui doit interroger.

En dépit de certains atouts de premier plan (richesse des sols et sous-sols, large territoire maritime, haut niveau d’éducation qui doit permettre aux Outre-mer de se différencier par rapport à l’économie à faible valeur ajoutée de certains de leurs voisins, très bonnes infrastructures qui devraient permettre aux entreprises d’utiliser ces territoires comme base de développement dans la région) les Outre-mer français souffrent encore et toujours des handicaps que leur impose leur caractère ultrapériphérique reconnu par le droit européen : l’éloignement, l’insularité (ou quasi insularité pour la Guyane) qui est facteur d’isolement, l’exiguïté territoriale et sa conséquence directe : l’insuffisance de débouchés locaux…

Autant de problématiques propres aux Outre-mer qui se transforment en contraintes considérables dès lors qu’il s’agit de créer des richesses et des emplois : coûts de production plus importants (notamment la main d’œuvre) que dans les pays voisins, coûts de transport à l’entrée (matières premières, biens de consommation plus chers en Outre-mer qu’en métropole) et à la sortie (perte de compétitivité des productions ultramarines sur le marché communautaire), étroitesse des marchés locaux qui ne permet pas aux entreprises de faire des économies d’échelle, environnement de pays généralement peu développés qui sont très concurrentiels pour les productions mais ne peuvent pas constituer de véritables débouchés pour les départements d’Outre-mer car leurs revenus sont peu élevés (ex : Madagascar, la Dominique, le Surinam, etc.), climat social parfois tendu ce qui ternit l’image de ces territoires notamment en matière touristique et génère des ralentissements économiques, absence d’alternatives économiques viables pour remplacer les activités traditionnelles, relations économiques trop étroites entre les différents secteurs : en cas de disparition du secteur de la banane ou de la canne, c’est toute l’économie des territoires insulaires ou quasi-insulaires qui serait ébranlée, sans possibilité de retrouver un emploi pour les habitants à moins de quitter le territoire…

Pour toutes ces raisons, les murs doivent tomber en Outre-mer, mais aussi entre la France et ses Outre-mer. Et voici comment ils pourraient tomber plus vite que prévu.

A toute chose malheur est bon. Alors que la quasi-totalité des pays occidentaux est plongée dans une crise sans précédent (crise économique, crise de la dette, crise sociétale, crise de développement…), c’est justement de cette crise que peut venir le salut des Outre-mer français. Période de mutation par définition, la crise doit permettre de se réinventer, de se trouver un nouveau modèle de développement économique. Les Outre-mer ont ainsi, “grâce” à la crise, une chance unique dans leur histoire : s’approprier une bonne fois pour toute leur destin. C’est la première vraie opportunité de leur histoire complexe et une chance à ne pas manquer.

Si les murs doivent tomber peu à peu, c’est aussi pour que les Outre-mer français puissent enfin s’émanciper d’un développement axé exclusivement vers l’Europe, en affirmant leur dimension d’interface entre la France et les continents auxquels ils appartiennent. L’enjeu majeur ne réside donc plus dans le seul fait de produire telle ou telle richesse, mais de produire une richesse qui porte en elle les fiertés et les ambitions du territoire sur lequel elle est produite. Au vu des niches prometteuses que représentent certaines industries dans l’agro-alimentaire notamment, ce n’est pas insurmontable.

Si les départements français d’Outre-mer sont restés trop longtemps tournés vers Paris, ils ont perdu de vue leur environnement régional. La Guadeloupe, la Martinique et la Guyane ont par exemple longtemps oublié qu’elles appartenaient au même continent, le contient américain, qui abrite pourtant nombre de francophones, du Québec à la Louisiane, en passant par l’Acadie, le Nouveau-Brunswick et les trois départements français d’Amérique ! Dès lors, le marché potentiel pour le développement de leurs économies ne serait plus si exigu. Il deviendrait même sans limite. Et pour cela, il suffit juste de penser différemment, de prendre conscience par exemple de la chance que représente le fait de vivre sur le même fuseau horaire que New York…

La création d’un marché unique entre les trois départements français d’Amérique n’a lui aussi plus rien d’utopique. Il deviendrait plus facile pour les entreprises d’atteindre leur seuil critique sur un marché d’un million d’habitants où la circulation des hommes et des marchandises serait favorisée (subventionnée ?) par les pouvoirs publics, ce qui permettrait à ce nouveau marché d’être une vraie force dans la Caraïbe mais aussi à Bruxelles, où les voix des Régions Ultrapériphériques ont le plus de chance de se faire entendre.

Pour que les mutations s’opèrent, que les murs se fissurent et finissent par s’écrouler, le monde économique doit bien entendu bénéficier d’un soutien fort de la part des politiques nationales et régionales. Des efforts doivent être consentis afin de soutenir des domaines prioritaires (éducation et formation, vieillissement de la population, tourisme) et des dispositifs tels que l’octroi de mer, l’aide à la mobilité ou encore la défiscalisation ne peuvent être remis en question mais plutôt redéfinis et, le cas échéant, renforcés.

Enfin, last but not least, l’avenir des Outre-mer appartient aussi à tous les ultramarins sans exception, qu’ils vivent à Paris, à Montréal ou à Cayenne. La diaspora doit désormais être impliquée dans les transformations qui s’opèrent en Outre-mer : son rôle est plus que jamais essentiel dans l’intégration de ces territoires à l’ensemble national.

Les Outre-mer français ont désormais rendez-vous avec leur histoire à condition que la France se montre à la hauteur des responsabilités qui sont les siennes. Sinon, elle risque de provoquer la mort lente de tous ces territoires : départs des talents, baisse de la population, chômage des jeunes, troubles sociaux… En Tunisie, en Lybie, ou en Egypte, les récentes révolutions reposaient sur ces mêmes problématiques. A la France donc, mais aussi à tous les territoires ultramarins, de faire en sorte qu’une autre révolution se mette en marche et que les murs tombent enfin dans tous les Outre-mer.

Mathieu Carbasse