Longtemps montré du doigt pour sa vétusté, le port de commerce de la Guyane semble aujourd’hui à un tournant décisif. Entre les travaux de rénovation entrepris à hauteur de 120 millions d’euros, le projet de Zone Franche Industrielle d’Exception (ZFIE) ou les nouvelles perspectives que laisse entrevoir l’exploitation pétrolière, jamais son activité n’aura été à ce point liée au développement économique de la Guyane.

Alors que les spéculations concernant le développement des infrastructures guyanaises grâce à la manne pétrolière vont bon train, le port de Dégrad des Cannes continue lentement sa mue et accélère son passage à la modernité. Parce qu’avec ou sans pétrole, son importance demeure capitale : le Dégrad des Cannes représente aujourd’hui près de 97% des échanges commerciaux de la Guyane avec l’extérieur.

Une place prépondérante dans la vie économique de la Guyane certes, mais une activité qui ne s’opère pourtant que dans un sens. En effet, sur les 36.000 mouvements de conteneurs qui s’opèrent chaque année, 18.000 concernent l’arrivée de marchandises alors que les 18.000 autres mouvements vers l’extérieur se font le plus souvent à vide faute d’exportations suffisantes. Du coup, seuls 2.000 conteneurs repartent remplis du Dégrad des Cannes et ils concernent en majorité le déménagement des fonctionnaires ou les exportations de déchets et de ferrailles… Un paradoxe de plus pour une économie guyanaise qui repose avant tout sur la consommation des ménages.

Un programme de 5 ans de 120 millions d’euros

Depuis plusieurs années maintenant, la Chambre de Commerce et d’Industrie de la Guyane (CCIG) qui a obtenu la concession du Dégrad des Cannes en 1988, a ainsi entrepris de très vastes travaux de rénovation dans le but de stimuler l’activité du cœur économique de la Guyane.

Engagé en 2007, un programme de cinq ans, financé conjointement par la CCIG, l’État, la Région et l’Europe, a été entrepris pour un montant de plus de 120 millions d’euros. Il concerne notamment la rénovation du quai n°3 achevé en 2009, celle du quai n°1 qui sera livré à la fin de l’année 2011, et  enfin, la rénovation du quai n°2 à l’horizon 2012. Des travaux de remise en état et de modernisation auxquels il convient de rajouter le dragage du fleuve sur quinze kilomètres, le maintien à la côte (élargissement de 90 à 120 mètres et approfondissement de plus de 50 cm) ainsi que l’aménagement des terre-pleins tout autour. A marée haute, le tirant d’eau est désormais de 4,50 mètres dans le chenal et de 6,50 mètres dans le bassin, de quoi accueillir des porte-conteneurs de plus grande capacité. « Avant, le transbordement des conteneurs se faisait à Trinidad-et-Tobago faute d’infrastructures adaptées en Guyane, précise Marie-Joseph Pinville, le Directeur général de la CCIG. Avec ces travaux de rénovation, nous avons l’espoir de favoriser l’activité économique autour du port en accompagnant au mieux les différentes filières. Cependant, une infrastructure comme le Dégrad des Cannes nécessite des investissements permanents qui ne sont jamais suffisants…

« Le Dégrad des Cannes doit bénéficier de l’argent du pétrole »

Et c’est peut-être de l’or noir que jailliront les nouvelles infrastructures nécessaires à la totale modernisation du port. En effet, si la présence du gisement découvert à 250 km des côtes guyanaises venait à être confirmée, l’exploitation pétrolière entraînerait vraisemblablement un développement logistique avec la construction d’un terminal pétrolier pour l’acheminement du brut. Et impliquerait également la construction de pipelines et de toutes les infrastructures nécessaires à l’acheminement du carburant depuis et vers la plateforme. « Nous souhaitons bien entendu bénéficier des retombées de l’exploitation pétrolière qui passera inévitablement par le Dégrad des Cannes, poursuit le directeur général de la CCIG. Nous avons l’espace, les possibilités existent, mais nous voulons avant tout que les projets futurs d’extension soient supportés par les pétroliers. D’ailleurs, nous leur avons déjà formulé une demande afin de savoir quelles seraient les contraintes techniques liées à leur activité, quels seraient leurs besoins. Une chose est sûre : le Dégrad des Cannes doit bénéficier de l’argent du pétrole et de ses retombées économiques. »

Jusqu’à 1.500 emplois créés grâce à la ZFIE

Si l’avenir du Dégrad des Cannes se trouvera certainement transformé par l’exploitation du pétrole, un autre projet devrait permettre de stimuler l’activité économique de l’arrière-port, et d’offrir de nouvelles perspectives d’exportation vers l’Union Européenne : la création d’une Zone Franche Industrielle d’Exception (ZFIE). Ce dispositif qui devrait voir le jour à l’horizon 2013-2014 permettra de fournir du bâti aux entreprises industrielles désireuses de s’installer à proximité du port avec pour seul impératif de valoriser sur place, à hauteur de 20%, des produits liés à l’export. Un dispositif innovant qui a déjà fait ses preuves à Madère ou en Irlande.

Pour Vania Lama, 
responsable du service Aménagement et Urbanisme à la CCIG, « les retombées en termes d’emplois seraient importantes puisque que l’on estime entre 300 et 500 le nombre d’emplois de haute qualification requis pour la transformation des produits dans la ZFIE, sans compter le nombre d’emplois indirects induits, de 900 à 1.500. »

Par ailleurs, la première ZFIE permettrait de réduire le coût du fret d’environ 40% en 3 ans, par un doublement de l’activité portuaire import/export sur la période, qui serait majoritairement issue de la valorisation de produits brésiliens en vue de leur européanisation (452.000 tonnes à l’horizon 2020 – Etudes Groupement ZFIE Expert – Nov 2007). La ZFIE permettrait également à des opérateurs européens de se rapprocher de leurs clients ou fournisseurs sud-américains.

Structurante pour les filières productives et de services, sécurisante pour les approvisionnements, créatrice de valeur ajoutée et d’expertise locale, la ZFIE devrait contribuer également à limiter l’immigration clandestine par la fixation des populations sur leurs territoires.

Tous ces projets en cours de réalisation ou en passe de l’être dans un avenir proche pourraient ainsi changer, durablement, le paysage du Dégrad des Cannes. Et dans les prochaines années, c’est l’ensemble même de l’économie guyanaise qui pourrait se voir transformée par les mutations en cours. A tous les décideurs politiques et à tous les acteurs économiques de ne pas les laisser passer.