Jacques Gillot : Pour une nouvelle société guadeloupéenne

 Président du Conseil Général de la Guadeloupe depuis 2001, Jacques Gillot détaille les prochaines orientations de sa mandature et passe en revue la situation économique du Département. Une interview où il est question de développement, de réforme institutionnelle et de politique.

Quelles sont les grandes orientations du Conseil Général de la Guadeloupe pour les années à venir ? Quels seront les projets phares et les investissements majeurs consentis par l’Assemblée départementale ?

Dans le cadre de cette mandature et avec le soutien de l’Assemblée départementale, il sera principalement question de mener à bien de vastes chantiers ayant trait notamment à l’action sociale car nous devons accompagner au mieux les familles guadeloupéennes déjà fragilisées, face aux effets de la crise financière et économique actuelle, et nous devons en même temps accompagner le développement économique par le biais de la commande publique.

Car nous souhaitons apporter une réponse adaptée à tous et dans chaque sphère du quotidien. C’est pourquoi nous poursuivrons avec abnégation le chantier de réorganisation du transport interurbain de voyageurs avec notamment une politique tarifaire simplifiée de réduction des coûts qui sera mise en place tout comme la création d’une aide sociale à la mobilité pour les jeunes à la recherche d’emploi.

De même, pour créer les conditions de l’épanouissement de notre jeunesse par l’éducation, nous remettrons aux normes les établissements scolaires qui relèvent de notre compétence, les collèges, avec l’urgence prioritaire du confortement parasismique partout.

Il en va de même dans les domaines de l’irrigation et de l’accompagnement des jeunes agriculteurs : nous favoriserons l’essor d’une politique de soutien aux vrais projets agricoles.

Et en termes de développement économique ?

S’agissant du développement économique, c’est également la politique touristique que nous mettrons en œuvre en partenariat avec les professionnels du secteur dans le cadre de l’action du Comité de Tourisme des Iles de Guadeloupe afin notamment de favoriser le tourisme de croisière, l’accompagnement des grands projets touristiques, et la promotion d’un hébergement de qualité. Je veux aussi parler de soutenir le tissu économique par le biais de la commande publique en maintenant un niveau d’investissement de 100M€ annuels pour nos grands équipements.

Bien entendu, la dimension environnementale est au cœur de notre vision du pays lorsqu’il est question de l’organisation de la collecte sélective, de l’accompagnement de la construction des déchetteries et centres de transfert, et de la mise en place des unités de traitement.

Enfin, je tiens à mentionner le renforcement de notre dispositif d’Aide aux Communes que nous entendons conforter en l’adossant désormais à la mise en œuvre d’une logique innovante de contractualisation pluriannuelle visant à soutenir avec une lisibilité renforcée leurs projets structurants.

Mais aussi bâtir une Guadeloupe nouvelle au service de tous les Guadeloupéens… C’est une profonde conviction qui m’a conduit à proposer à l’ensemble des forces vives d’apporter leur contribution à l’élaboration du Projet Guadeloupéen de société. Nous, élus, souhaitons qu’il soit un projet fédérateur, qui tienne compte de nos réalités, de nos racines et de notre identité plurielle et qu’il mette avant tout en exergue le débat démocratique avec tous les Guadeloupéens.

Quels seront les effets au niveau de la collectivité du resserrement des finances publiques lié à la crise de la dette ?

Face aux attentes, aussi nombreuses que légitimes de la population, il s’agira de faire davantage et mieux avec moins de moyens. Pour l’instant nous ne pouvons pas parler de resserrement des finances départementales, mais nous pouvons supposer qu’il existera des dépenses de solidarité nouvelles.

Notre soutien du pouvoir d’achat se manifeste à travers la masse salariale de notre collectivité, par nos actions d’insertion et notamment le paiement du RSA, par la prise en charge des personnes âgées dépendantes et de celles porteuses de handicap, par nos interventions d’aide sociale à l’enfance, nos aides au transport et au développement économique. Au total ce sont 518 millions d’euros que nous injectons indirectement dans l’économie guadeloupéenne et pour le maintien du pouvoir d’achat.

Malgré la possible raréfaction des ressources, nous avons tenu à maintenir le niveau des dépenses d’investissement : 26 millions d’euros pour les routes, 17 millions d’euros pour les collèges, 11 millions d’euros pour les bâtiments départementaux, 16 millions d’euros pour les équipements ruraux, 8,4 millions d’euros pour les ports de pêches et aérodromes, 10 millions d’euros de Fonds d’Aide aux communes… Des investissements qui s’élèvent au total à 88,4 millions d’euros.

En conclusion, la fluctuation des finances publiques peut affecter le Département, mais nous ferons tout pour que notre rôle de répartition de la richesse soit assuré.

Comment le Conseil Général peut-il mener à bien ses missions dans un contexte de crise ?

Tout en cherchant à maintenir le cap de la solidarité entre les personnes et entre les territoires, le contexte de crise nous impose de questionner chaque jour nos politiques publiques pour nous assurer que chaque euro dépensé soit un euro utile. Il s’agira aussi d’opérer des choix, parfois douloureux, la collectivité départementale ne pouvant plus être sur tous les fronts. En effet, la situation actuelle nous convie surtout à nous recentrer et être plus efficaces dans l’exercice de nos propres compétences.

Quel doit être, selon vous, l’avenir institutionnel de la Guadeloupe ? La collectivité unique n’est-elle pas le meilleur moyen d’exister dans la grande Caraïbe ?

En matière institutionnelle il n’y a pas de panacée, car les institutions ne peuvent pas être une finalité, elles ne sont que des outils au service d’un projet politique. Mais, à titre personnel, j’ai le sentiment qu’une collectivité unique avec une assemblée aux pouvoirs élargis, rassemblant les compétences du Conseil Régional et du Conseil Général, serait plus lisible pour les Guadeloupéens et pour nos voisins de la Caraïbe.

Selon vous, les électeurs guadeloupéens doivent-ils être consultés de nouveau ?

Nous avons assez reproché à la France et à l’Europe d’avoir ignoré l’avis de notre population sur les accords de partenariat économique pour ne pas tomber à notre tour dans ce travers.

La consultation sera de toute façon nécessaire quelle que soit la teneur du projet qui aura été bâti.

C’est dans cette perspective que le Comité Guadeloupéen du Projet organise des débats publics qui ont débuté dans toutes les communes de l’archipel à compter de la fin du mois de mars. Le groupe de pilotage a dès lors lancé un appel à la mobilisation de toutes les associations et tous les citoyens désireux de participer à cette démarche.

Selon vous, quel est l’enjeu majeur, en Guadeloupe, de l’élection présidentielle ? Que devra-t-elle permettre de changer ? (Interview réalisée entre les deux tours de l’élection, ndlr)

L’enjeu est fondamental. Pendant ce dernier quinquennat nous avons assisté à la mise en œuvre de la logique libérale avec tout ce que cela comporte d’iniquités et d’injustices.

Il y a une véritable dichotomie entre politique de gauche et politique de droite. Lorsque certains pensent “crise économique”, moi je pense “compatriotes qui souffrent” ; d’aucuns évoquent les délocalisations, je pense alors au sentiment de trahison ressenti par des salariés dont la vie bascule ; lorsque certains parlent de familles en difficulté je veux agir pour sauver les enfants en danger.

C’est ce sentiment exacerbé d’injustice et cette empathie à l’égard de leurs concitoyens qui poussent les femmes et les hommes de gauche à s’engager aux côtés de leur peuple. Nous savons que les marges de manœuvre seront étroites et que, a fortiori, un Président de droite ne sera pas enclin à mener une politique qui replace l’homme au centre de nos préoccupations, et qui vise à mieux partager les richesses et les pouvoirs.

Le sort de la Guadeloupe est indiscutablement lié au choix de la politique que décidera de mener le chef de l’État. Mais cela n’empêche pas aux élus que nous sommes de travailler localement ensemble, au-delà des clivages, une fois que la période électorale sera passée et que le peuple aura fait librement le choix de ses représentants.

Quel bilan pouvez-vous faire de votre action politique après onze années passées à la tête du Département ? Vos réussites mais aussi vos échecs ?

Peut-on parler de réussites et d’échecs ? Personnellement je ne vis pas la vie politique comme cela. Lorsque, avec ma majorité, un projet nous paraît prioritaire, nous sommes arcboutés vers sa réalisation. Mais nous sommes conscients que tout ne dépend pas de nous… Nous avons fait des progrès significatifs dans nos domaines de compétence liés aux solidarités : enfance, handicap, personnes âgées…

Dans d’autres domaines l’évolution fut plus lente que prévue : les transports interurbains étaient un vrai problème, avec un corporatisme évoluant parfois au détriment de l’intérêt général. Là aussi, même si nous avons hérité d’une situation chaotique dans laquelle l’obligation de service public n’était pas clairement identifiée, les choses avancent pas à pas. Nous pouvons aussi nous enorgueillir d’avoir rattrapé le retard que connaissaient les collèges en matière de construction et d’équipement.

Bref, nous avons pensé Guadeloupe et œuvré à privilégier la synergie des institutions et, ce faisant, nous avons assuré à chaque fois une situation financière saine de la collectivité… Je crois qu’en cela nous sommes fidèles à la mission que nous ont confiée nos mandants.

Propos recueillis par Mathieu Carbasse