Du 22 au 25 octobre, la Guadeloupe accueille plus de 200 experts et décideurs politiques sur son sol. Pour un événement majeur : la 2e Conférence Internationale sur la Biodiversité et le Changement Climatique. M. Braulio F. De Souza Dias, Secrétaire exécutif de la Convention sur la Diversité Biologique, a œuvré pendant 20 ans au sein du gouvernement brésilien sur l’environnement et la biodiversité, et fut l’une des chevilles ouvrières de la Conférence de Rio. Il nous livre une analyse pointue des enjeux régionaux en terme de diversité biologique.

Dans quel contexte s’inscrit votre mission?

Braulio F. De Souza Dias : Nous sommes confrontés à une perte inacceptable de la biodiversité au niveau mondial. Elle affecte les populations du monde entier : sécurité alimentaire, santé, approvisionnement en eau potable et production d’oxygène dépendent de la biodiversité. Mais les peuples les plus pauvres sont les plus dépendants de la diversité biologique. La préserver est essentiel pour combattre la pauvreté. Par ailleurs, l’interdépendance entre biodiversité et changement climatique est forte. La déforestation est res-ponsable de 25 % des émissions de gaz à effet de serre. Or l’adaptation de la nature aux conséquences du réchauffement climatique dépend de la biodiversité : un milieu naturel bien conservé absorbe le carbone. L’augmentation du CO2 cause des événements climatiques extrêmes – inondations et sècheresses – de plus en plus violents et nombreux. L’aménagement des territoires doit être pensé pour faire reculer ces risques. Un exemple : les inondations peuvent être partiellement absorbées par forêts et zones humides. À l’inverse, ces écosystèmes, en cas de sècheresse, réintroduisent l’eau dans le cycle naturel. La variété génétique – et en particulier la diversité des plantes cultivables et des animaux d’élevage – permettent de nous adapter aux changements climatiques.

La menace sur la biodiversité est la conséquence de plusieurs facteurs : d’une part, la surconsommation des ressources naturelles mondiales. D’autre part, la production non durable, les transports, et certaines formes de tourisme engendrent pollution et prolifération d’espèces envahissantes. En accélérant le changement climatique, cela provoque de lourdes pertes de biodiversité. Les océans sont particulièrement touchés : ils cumulent acidification due à l’augmentation des gaz à effet de serre, pollution, surpêche et espèces envahissantes – le poisson lion aux Caraïbes commence à modifier l’écosystème coralien. Leur niveau monte avec le réchauffement climatique. Or les îles – dont les Régions Ultrapériphériques et les Pays et Territoires d’Outre-mer – sont très vulnérables à ces changements.

S’agissant de la biodiversité, en octobre, la 12e Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique a réuni 193 pays. Son premier constat : les efforts de tous les acteurs et du secteur privé se sont accrus mais ne sont pas suffisants. La situation empire. En 2010, les “20 objectifs de Aichi” du Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020 avaient fixé un cadre d’actions échelonnées. Les pays se sont engagés à augmenter les ressources financières et à prendre des mesures pour que, d’ici à 2020, les écosystèmes soient résilients et continuent de fournir des services essentiels. Seconde conclusion : tous les ministères des gouvernements, pas uniquement celui de l’Environnement, doivent s’impliquer dans cette démarche : Agriculture, énergie, Santé, Planification, économie. En ce que concerne le climat, la prochaine étape sera la 21e Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, fin 2015 à Paris. Notre espoir est qu’y sera adopté un accord global sur les émissions des gaz à effet de serre. Finalement, à New York, nous discuterons des objectifs post 2015, qui feront suite à ceux établis à la Conférence de Rio sur le développement durable en 2012.

Quel rôle doit jouer la coopération internationale?

Elle est essentielle ! Surtout pour les pays en développement, les Régions Ultra-périphérqiues et les Pays et Territoires d’Outre-mer. Ils ont besoin de ressources et de transferts de technologies durables pour protéger leur biodiversité comme atout pour leur développement, et pour s’adapter aux changements climatiques. On ne peut pas attendre des îles et des pays en développement qu’ils résolvent eux-mêmes ces problèmes systémiques. L’objectif de cette 2ème Conférence Internationale sur la Biodiversité et le Changement Climatique est d’établir, pour 5 ans, une feuille de route de coopération internationale, européenne et régionale. Des représentants de tous les pays insulaires sont présents : nous attendons des accords concrets face à ces défis. Je suis
optimiste.

Comment préserve-t-on la biodiversité?

La Guadeloupe est un bon exemple: j’ai visité le Parc National de la Guadeloupe, les aires maritimes protégées et découvert le projet de réintroduction du lamantin. Dans un courrier qu’elle m’a adressé, Mme la Ministre Ségolène Royal annonce les prochains engagements et actions de la France en terme de biodiveristé et de changement climatique dans Régions Ultra-périphérqiues et Pays et Territoires d’Outre-mer. C’est encourageant.

Quel est votre message?

Il faut accentuer nos efforts, encore, et renforcer les plans stratégiques acceptés par tous les pays et acteurs. Pour éviter que 2020 soit l’année des excuses. Des solutions et des techniques existent, il faut les mettre à l’échelle globale via des partenariats. Ce n’est pas seulement l’affaire des gouvernements, nous sommes tous concernés. En tant que consommateurs responsables nous devons par exemple nous assurer que les produits et services que nous achetons ont une origine durable.

Quels sont les défis des Caraïbes?

En 2010 a été lancé le Caribbean Challenge Initiative: Bahamas, République dominicaine, Jamaique, Saint-Vincent et les Grenadines, Sainte-Lucie, Grenade, Antigua et Barbuda et Saint-Kitts et Nevis se sont engagés à créer ou renforcer des aires maritimes protégées à concurrence de 20% des aires marines et côtières. Malheureusement, tous les pays caribéens ne se sont pas ralliés à de telles initiatives : la conférence guadeloupéenne est une excellente occasion pour qu’ils s’y joignent, ou proposent d’autres initiatives régionales. La surpêche est importante aux Caraïbes. Quelques pays ont des programmes de protection du requin et de la raie manta. C’est trop peu. Avec la perte des ressources de pêche, des îles commencent à pêcher le poisson perroquet. Or ce poisson s’alimente des algues qui tuent le corail… Nous pouvons tous décider de ne pas manger de poisson perroquet – c’est un petit geste parmi d’autres. Il est urgent aussi de renforcer le traitement des déchets pour éviter que polluants et eaux usées affectent les zones côtières. Enfin, la plupart des îles caribéennes dépendent de combustibles fossiles. Il est essentiel qu’elles s’orientent vers énergie marémotrice, solaire et éolienne.