Sur la base de mes propres observations et de celles empruntées à mon environnement immédiat  – la pratique de la yole – j’aimerais démontrer comment la gouvernance des hommes repose sur quelques fondamentaux.

Comment, à partir d’une multitude, créer une personnalité collective ? Comment passer d’un empilement de ‘’je’’ à un ‘’nous’’ ?

La course de yole est devenue le sport le plus populaire de Martinique mais aussi un enjeu sportif, un produit culturel et touristique avec des retombées en termes économiques.

Pendant le tour, toute la Martinique retient son souffle et vit au rythme des étapes. La dimension sportive, mais aussi les qualités et compétences requises pour être le meilleur, m’intéressent.

La yole est une embarcation de 10,50 m de long, dans laquelle doivent cohabiter jusqu’à 16 équipiers. Elle est dirigée par un patron secondé. Chaque membre de l’équipage a une activité et des tâches précises. Pour gagner, il faut franchir le premier la bouée d’arrivée. Mais la yole ne possède pas de quille, ce qui rend l’équilibre instable et les manœuvres compliquées, du fait que l’on est à la merci du sens du vent. Il convient de faire les bons choix en matière de cap, de bord, de nombre d’équipiers, tout en gardant l’équilibre. Exercice périlleux qui demande une synchronisation parfaite entre le « patron » et l’équipage, où il est interdit de jouer personnel, car la sanction est immédiate : le dessalage… Et la défaite.

Chacun, sous la houlette du patron, tient son rôle. Avant le départ, il y a eu un travail de préparation dans les domaines physique, psychologique, stratégique : le choix des équi-piers et équipières, et le choix de la voile.

Tous ces paramètres sont pris en compte et discutés, les options sont arrêtées. Le « patron » les fait appliquer et tire la meilleure cohésion possible de son équipe. Il sait que son autorité naît de sa capacité à écouter son équipage et à faire respecter la règle du jeu, voire à sanctionner positivement ou négativement si nécessaire.

La yole qui gagne est celle où les meilleures combinaisons ont été mises en place, sachant que le facteur chance a aussi un rôle.

Quelles leçons tirer de cette pratique de la yole et de mon expérience ?

L’autorité a souvent été caractérisée par la domination, la contrainte. De plus en plus, elle mue en négociation et persuasion.

La société est sensible à ce phénomène, avec le déclin de l’autorité dans la famille, dans l’école, dans l’entreprise. On est passé du patriarcat – la puissance du maître, la toute-puissance du patron – à des formes négociées, plus res-pectueuses de l’autre. Ce qui ne supprime ni les contrain-tes, ni les normes, ni l’autorité. Seule la façon de l’exercer a évolué et va encore changer.

Dans le cas de l’entreprise, le dirigeant est en équilibre ins-table : son environnement change en permanence et il doit quitter quelquefois le cadre formel de la partition déjà écrite pour s’adapter, et ne pas couler, comme dans la yole.

Retrouvez l’intégralité des propos d’Alain Jeanville, recueillis le 15 septembre 2014, sur le site de Madinmag :

http://www.caribmag.fr/tag/madinmag/