En s’attaquant à la dépollution de quatre cents bateaux, épaves des eaux de Martinique, une association met sur pied un modèle d’économie bleue inédit.  

par Mathieu Rached 

Initialement, l’association Martinique Course au Large avait pour mission de développer la voile sportive en Martinique et de participer à la préservation de l’environnement maritime naturel. Depuis 1997, l’association donnait ainsi la possibilité aux jeunes de découvrir la navigation au large sur des voi-liers de course, comme elle menait une action pour sensibiliser à l’enjeu et à l’état des écosystèmes côtiers en Martinique. La réalité rattrapa en quelque sorte Daniel Ecalard, géomètre topographe, président de l’association. A force de croiser et de constater la présence d’épaves le long du littoral et particulièrement au niveau des zones fragiles que sont les mangroves, les bénévoles allaient décider, en 2015, de créer un répertoire des bateaux abandonnés et des épaves nautiques en Martinique. Le croisement des données de l’association avec le dernier recensement officiel de la Direction de la Mer fait aujourd’hui état de quatre cents bateaux de plaisance hors d’usage… Des « BPHU », selon l’acronyme consacré, et un risque pour tous, pour la navigation, pour le public lors d’échouage sur les plages et pour les écosystèmes marins soumis à des sources de pollutions non négligeables. Un bateau à l’abandon contient « du gasoil, des huiles, des batteries, du plomb, des produits pyrotechniques, des eaux noires… qui vont se répandre et contaminer l’écosystème marin », égrène Daniel Ecalard. Pire, les épaves vont spontanément s’accumuler dans les mangroves, ces zones naturelles clés, précieuses ressources de biodiversité. A partir de là, de cette situation intenable, l’association s’est donnée une nouvelle mission. Désormais, la priorité serait de concentrer énergie et ressources sur ces bateaux victimes d’avarie, de cyclones ou de tempêtes qui terminent abandonnés dans la nature.

Structurer une filière adaptée 

Soit. Mais demeure un problème de taille, faute d’existence d’un centre de traitement agréé et d’une filière adaptée, le traitement d’une épave consiste jusqu’à présent à récupérer, stocker à terre et détruire le bateau abandonné. « Au mépris des règles environnementales basiques, sans tri des matériaux, sans traitement des fluides… », précise le président. C’est pour pallier ce manque structurel que l’association s’est orientée vers la création d’une unité mobile de récupération, dépollution et reconditionnement des fameux BPHU. Le process totalement innovant est adoubé par L’ADEME, la DEAL et le conservatoire du littoral, et l’association remporte même l’appel à projet du Ministère des Outremers sur l’Economie Sociale et Solidaire. 

Economie circulaire 

Un tel centre de déconstruction mobile fonctionnera en parfaite autonomie. « Tout est fait sur l’eau, au plus près du lieu de repérage de l’épave, décrit Daniel Ecalard. L’intervention terminée, les bennes contenant les déchets solides et liquides sont ramenées à terre pour intégrer leur propre voie de recyclage. » De plus, le chantier mobile mettra sur pied une filière professionnelle de déconstruction nautique, inexistante en Martinique et dans les îles voisines. « Une fois les interventions rôdées, on pourra imaginer intervenir en Guadeloupe ou ailleurs au coup par coup », prévoit le fondateur de l’association. Mieux, l’association, déjà engagée dans une demande de financement européen et en quête d’autres partenaires (assureurs et entreprises),  vise à terme la création un modèle d’économie circulaire. Chaque année, sur les quinze à vingt épaves supplémentaires, 5 à 6 % peuvent être remises en état, puis revendues 20 à 25 000 euros. Protéger l’écosystème marin, former des jeunes à des métiers techniques et créer de la richesse à partir de navires abandonnés au temps et à la mer… l’économie bleue prend des airs de petite révolution dans les Caraïbes.

Daniel Ecalard 

amclmartinique@gmail.com 

Willy Pichegrain, AMO (Cabinet PW) 

wpichegrain@hotmail.fr