Le président de la Collectivité Territoriale de Martinique fait de sa politique une ambition pour la Martinique.

Propos recueillis par Mathieu Rached

La Collectivité de Martinique est toute jeune. A peine trois ans d’existence et déjà beaucoup de dossiers emblématiques. Mise en route du TCSP, travaux du lycée Schœlcher, accessibilité numérique pour tous… les réalisations de la Collectivité sont autant de victoires qui signent la dynamique chère au Président du Conseil Exécutif. A la veille de sa quatrième année de mandat, nous avons rencontré Alfred Marie-Jeanne dans son bureau à l’ancien hôtel de Région. « Il faudrait que tout le monde sache ce que l’on fait de positif », sourit le Président quand on essaie de lui faire dresser un bilan de mi-mandat. L’homme politique qui travaille depuis 40 ans au service des Martiniquais, préside à la destinée du territoire et de « son attractivité ». Une mission qui par définition ne s’achève jamais mais qui se réalise projet après projet, 365 jours par an.

Vous entamez votre 4ème année en tant que président du Conseil Exécutif de Martinique, quelle va être la tonalité de l’année ? 

Alfred Marie-Jeanne, Président de la Collectivité Territoriale de Martinique :
Cette année sera marquée par notre engagement sur 4 thématiques identifiées comme prioritaires :

• Accroître l’accessibilité et l’attractivité du territoire en misant sur le numérique, les transports maritimes, terrestres et aériens (avec l’aérodrome Basse Pointe, le soutien à la modernisation de l’aéroport Aimé Césaire…), le soutien aux entreprises…

• Favoriser l’épanouissement de la population en travaillant au plus près des besoins et des réalités avec la création d’un centre de la promotion de la santé, le projet EHPAD hors des murs…

• S’engager dans la transition écologique grâce aux orientations du Plan territorial de maîtrise des déchets, du Plan Eau Dom ou encore de la programmation pluriannuelle de l’énergie… 

• Renforcer l’internationalisation de la Martinique dans son bassin de vie naturel en Europe et dans le monde.

A ce propos justement, la candidature de la Montagne Pelée et des pitons du Nord à l’Unesco, celle également de la Yole ronde au patrimoine culturel universel, et une consultation en cours pour un nouveau drapeau de la Martinique et un hymne… Ce sont autant de symboles qui participent à « placer » la Martinique sur la carte du monde ?

La Martinique est riche de son patrimoine matériel, immatériel, de son histoire mouvementée, sa culture, ses savoirs. Petit pays, mais grand par notre richesse ! Cette richesse, nos symboles, doivent nous permettre de rayonner dans notre bassin de vie et dans le reste du monde mais aussi nous permettre à nous Martiniquais, de faire corps, de faire peuple.

Quelle place donnez-vous justement à la politique de coopération régionale ? C’est une nécessité de se parler entre voisins ou c’est une chance ? 

La coopération est une conviction et une nécessité. Nous partageons avec nos voisins les mêmes enjeux de développement, la même histoire et la même destinée. C’est en mettant en commun nos efforts que nous parviendrons tous à construire la Caraïbe de demain. L’insertion de la Martinique dans son espace régional est une vraie opportunité pour notre épanouissement socio-économique et identitaire.

C’est aussi le sens et la portée de certains investissements comme ceux du cyclotron ? 

Cette technologie s’inscrit dans une logique de meilleure qualité de soins pour les patients atteints de cancer, de recherche également, et vise aussi à faire de la Martinique un pôle d’excellence. La technologie et notre positionnement géographique nous permettent en effet de poursuivre deux objectifs : accueillir nos voisins caribéens pour leurs examens, et leur fournir la matière première nécessaire pour des appareils de diagnostic similaires. Aussi, fin décembre, le Directeur du Centre Hospitalier Universitaire de Martinique et moi-même avons signé un deuxième avenant pour la mise en place du cyclotron dans les meilleurs délais et conditions. Il s’agissait de rationaliser la démarche en favorisant l’achat de l’équipement simultanément à la construction de l’édifice qui doit l’abriter. Ce qui nous engage à rendre le cyclotron opérationnel pour la population au plus tard en 2020.

Utilité locale et symbole régional, c’est déjà le cas du PARM qui fait figure de centre d’excellence à l’échelle du bassin caribéen…

Absolument ! Sachez qu’on nous envie cette structure capable de soutenir la valorisation des agroressources de Martinique. En mettant à disposition des professionnels du secteur de l’agro-transformation, un large panel de compétences, d’équipements, d’assistance technique et de formations professionnelles agréées, ce centre de ressources technologiques est un accélérateur d’innovation inédit. Il leur permet d’innover, d’optimiser, de tester, de caractériser leurs produits en conciliant leurs besoins, les exigences qualité des produits alimentaires et la nécessité de valoriser les productions de Martinique. A ce jour, 149 entreprises ont été accompagnées ! C’est un vrai atout pour la Martinique dans un secteur déterminant.

Vous avez récemment visité le Lycée Schœlcher de manière impromptue avec une délégation de l’école d’ingénieur INSA de Lyon. Quelle a été leur impression ? 

(Sourire) J’ai tenu à ce que notre rendez-vous se fasse sur place pour qu’ils se rendent compte par eux-mêmes de l’avancée des travaux, du type d’établissement dont nous sommes en train de doter la Martinique. La reconstruction du lycée Schœlcher est un projet qui me tient particulièrement à cœur. D’abord, comme de nombreux Martiniquais, j’y ai été élève, et ensuite des années plus tard en tant que Président de Région, j’avais été le premier à en proposer la démolition et reconstruction. Le premier et le seul… puisque soumise en séance plénière ma proposition avait alors recueilli un seul vote favorable! (rires). 


Lors de l’inauguration de la plateforme du nouveau système d’alerte, le Président de la Collectivité, le représentant du Préfet, le Lieutenant-Colonel Samuel Pereau, directeur adjoint du STIS (Service Territorial d’Incendie et de Secours) et des sapeurs pompiers, Alfred Birota, Président du STIS, et Claude Lise, Président de l’Assemblée

Et aujourd’hui le lycée est sorti de terre et sera bientôt terminé… 

C’est un bâtiment fantastique, un établissement qui force l’admiration et qui a convaincu le directeur de l’INSA de Lyon d’implanter le 1er cycle de la formation ici même dans les murs du lycée. La création de ce parcours de 2 ans conduisant au diplôme d’ingénieur, en partenariat avec une grande école d’ingénieur française, contribue au rayonnement de la Martinique et à sa politique de formation et d’enseignement, dans la Caraïbe et la zone Amérique. L’accès à un tel pôle d’excellence scientifique et technologique va encourager la réussite des étudiants et constituer pour les jeunes bacheliers, un moyen de se protéger contre un « déracinement » parfois brutal quand ils quittent leur famille, leurs amis et le lycée. Je suis très fier de cette perspective.

En matière de formation et d’éducation, pouvez-vous me parler des grandes orientations que la Collectivité souhaite poursuivre ? 

La CTM mène une politique volontariste destinée à créer les conditions de la réussite des élèves, et prévenir le décrochage scolaire. Cela se traduit aussi bien par les dotations aux établissements scolaires que par la mise en place d’actions concrètes, comme la reconstruction du lycée Schœlcher dont je vous parlais, de la cité scolaire de Sainte-Marie, et plus généralement de notre programme pluriannuel de confortement parasismique. Cela se traduit également par les actions mises en œuvre par la Collectivité dans le cadre de la lutte contre le décrochage scolaire, comme la plateforme de soutien scolaire, ou encore le dispositif d’accompagnement école-famille-quartier. Ensuite, nous entendons également démultiplier l’offre de formation en faveur des bénéficiaires du RSA. Quant au Projet INTERREG ELAN qui va débuter en 2019, il vise à impulser une nouvelle dynamique de mobilité éducative et professionnelle dans la Caraïbe. 

Le constat de la baisse régulière de la population avec les départs de 5000 jeunes chaque année est-il, selon vous, lié à la situation du marché du travail en Martinique ou s’agit-t-il d’un phénomène plus profond ?
En tant que président de la CTM quelle est votre perception de cette question de la jeunesse ?

C’est un phénomène structurel qui nous touche depuis les années du BUMIDOM. Il est révélateur de la nécessité de trouver un nouveau modèle de développement qui donne sa chance à notre jeunesse. C’est en ce sens que la Collectivité a créé le dispositif « Atout Inclusion », projet innovant salué par l’Europe et primé par Régions de France. Il a permis de fournir un accompagnement global et inclusif de 400 jeunes en difficulté pendant un an ! Le FAJ (Fonds d’aide aux jeunes) constitue lui, un des outils de la politique de lutte contre l’exclusion sociale des jeunes en situation de grande précarité. Et chaque année, la CTM vient en aide par le biais du FAJ à près de 1000 jeunes. Ces actions font partie de la politique de la CTM en faveur de la jeunesse, au même titre que notre programme de formation professionnelle. Enfin, l’avenir de l’Université des Antilles exige une vigilance accrue.


Réunis dans le cadre du Projet de Territoire qui vise à mieux accompagner le Nord Caraïbe, le Président du Conseil Exécutif et les 8 maires du Nord Caraïbe ont signé une convention et ont inauguré l’ouverture d’une antenne de la CTM de proximité, à Saint-Pierre.

Les transports ont longtemps été un point faible structurel en Martinique. Au mois d’août, le TCSP fêtera ses un an de mise en fonction, la population s’est–elle appropriée ce moyen de transport comme vous l’imaginiez ? D’autres lignes seront-elles à l’étude au cours des prochaines années ? 

Les Martiniquais et moi-même déplorons le nombre de conflits sociaux et de grèves qui ont touché le TCSP depuis sa mise en service. Malgré ces contraintes, plus de 10 jours après le lancement commercial des bus du TCSP, ce sont plus de 10 000 passagers qui ont emprunté le Bus à Haut Niveau de Service, preuve que l’outil était attendu et nécessaire. Ensuite, notre politique transports ne s’arrête pas là, c’est un point de départ. Un projet très ambitieux et innovant d’extension vers Schœlcher via téléphérique est en étude depuis la fin de l’année. Les extensions du TCSP vers le sud et le nord atlantique sont déjà à l’étude. Et à terme, nous espérons étendre le réseau sur d’autres parties du territoire.

A la fin de l’année également, la première commission régionale de stratégie numérique s’est réunie. Vous nous confirmez le calendrier qui a été annoncé : l’accès haut débit et une couverture mobile de qualité généralisée en 2020, et l’accès très haut débit pour tout le territoire en 2022 ?

Notre projet public est déjà en déploiement, il est estimé à près de 140 millions d’euros et vise à couvrir tout le reste du territoire en dehors des zones câblées, c’est-à-dire Fort-de-France et Schœlcher. Les premières commercialisations interviendront en 2019 et nous espérons effectivement couvrir tout le territoire d’ici 2022. Il s’agit d’un projet structurant, à la fois pour renforcer l’attractivité de notre territoire et améliorer la qualité de vie des Martiniquais.

Quelle perception ont les Martiniquais de leur qualité de vie et du développement de leur territoire ?
En matière de politique sociale, qu’est ce qui a été accompli et quels sont les besoins clés qui persistent ?

Notre politique sociale représente un tiers de notre budget (près de 400 millions d’euros), dont une part importante constitue des dépenses incompressibles. Nous devons poursuivre nos efforts sur la structuration du territoire et les Martiniquais sont conscients que tous les investissements que nous réalisons ont pour finalité leur progrès social. La modernisation et l’optimisation des structures d’accueil sont un des défis majeurs de la politique sociale de la Collectivité. La CTM, en partenariat avec l’ARS, a autorisé la création de 8 Services Polyvalents d’Aide et de Soins à Domicile, et un centre d’accueil de jour pour adultes handicapés mentaux (au Saint-Esprit) a été ouvert. Restent des besoins clés en matière de politique sociale, avec l’enjeu du vieillissement de notre population et de la prise en charge de nos ainés, de même que le chantier de l’inclusion des jeunes les plus éloignés du marché de l’emploi. 

A propos des Fonds européens, le préfet Franck Robine émettait comme objectif en 2019 celui « d’être capable d’accompagner un peu plus les petits porteurs de projets ». C’est l’enjeu des 2 prochaines années : simplifier les démarches pour que chacun puisse de façon très naturelle y recourir ?

Des efforts considérables ont été déployés dès le départ pour optimiser la consommation des fonds européens, outil indispensable au développement du territoire. A cet effet, 80 personnes ont été recrutées pour faciliter, améliorer et optimiser le traitement des dossiers de financements, un site leur a été dédié, les processus ont été retravaillés. Grâce à ces mesures, la Martinique a pu éviter le dégagement d’office en 2016, 2017 et 2018. En 2018, ce sont 417 dossiers représentant un volume d’investissement global de près de 260 millions d’euros qui ont été programmés pour l’ensemble des secteurs d’activité (industrie, pêche, aquaculture, agriculture, investissements structurants, for-mation…). Je vous informe très officiellement que les objectifs fixés à la CTM en termes de remontées de dépenses (afin d’éviter le dégagement d’office) ont été tenus et même dépassés ! A titre d’illustration s’agissant du FEDER qui est le fonds structurel le plus important, c’est près de 20 millions d’euros d’avance qui sont pris au titre de l’année prochaine. 

Et l’objectif pour les deux prochaines années est de renforcer l’accompagnement aux porteurs de projets. Pour ce faire, du côté Etat, la DIECCTE a intégré une personne dédiée à l’accompagnement des porteurs de projets dans le cadre du PO FSE Etat non délégué. En ce qui concerne la CTM, nous poursuivons nos efforts d’accompagnement avec nos équipes de la Direction des Fonds Européens, puisque nous avons trois personnes dédiées à l’appui aux porteurs de projet en interfonds, qui interviennent toute l’année auprès d’eux.

Cela suffira ? 

Il faudra aller plus loin. Les grands chantiers 2019 sont de faire aboutir un marché lancé récemment, relatif à l’accompagnement des porteurs à la compréhension et à la réalisation du bilan d’exécution sur le FSE Inclusion. Nous menons la même dynamique sur le FEAMP pour lancer un marché d’accompagnement à la préparation des dossiers de demande d’aide (lancement au premier trimestre 2019, ndlr).

Enfin, il convient de rappeler que les dépenses d’appui aux porteurs de projet (appels à des cabinets privés) sont éligibles et régulièrement financées dans le cadre des dossiers de demande d’aide. La Collectivité Territoriale de Martinique ne ménage pas ses efforts pour dynamiser la programmation et la rendre efficace pour ses utilisateurs. C’est une de nos responsabilités.

Prévention et sécurité 

« La collectivité va au-delà de ses obligations » 

À l’occasion de la signature d’une convention entre la CTM et le STIS (Service Territorial Incendie et Secours), le 13 décembre dernier, le Président Marie-Jeanne a tenu à revenir sur les actions entreprises dans le domaine de la sécurité de la population. Parmi les réalisations à créditer à la CTM, on peut retenir la construction d’« un site stratégique en cas de séisme majeur » (le lycée Schœlcher, ndlr), la construction du nouvel observatoire volcanologique, des équipements parasismiques pour tous les établissements scolaires, une campagne de sensibilisation aux risques naturels, la reconstruction du laboratoire territorial d’analyse, seul laboratoire accrédité Cofrac dans la Caraïbe… ». A cette liste, s’ajoute donc l’inauguration du nouveau système d’alerte, une avancée majeure, technique, pour la gestion des appels d’alerte et le déploiement des équipes de secours. Une modernisation des outils (réponse plus rapide, meilleure localisation, meilleure communication des services) qui se traduit par une meilleure efficacité dans la toute la chaîne d’alerte. Concrètement ? Un gain de 3 à 4 minutes entre l’appel et le départ de véhicules d’urgence… un délai inestimable pour toute urgence vitale n’importe où sur le territoire.

Au total, l’an dernier, la Collectivité a alloué plus de 20 millions d’euros au STIS pour son fonctionnement, la mise en place du nouveau dispositif d’alerte, la construction de casernes (Trois-Ilets en janvier, le Lamentin en octobre, et celle de Rivière-Salée), ainsi que la modernisation du parc de véhicules du STIS.