La situation est sans précédent, les mesures du gouvernement aussi. Comment cette stratégie du #restezchezvous est-elle comprise et respectée dans les Antilles ? Éléments de réponse avec Jocelyn Raude de l’EHESP (l’École des Hautes Études en Santé Publique).

Psychologue social, enseignant-chercheur à l’EHESP, Jocelyn Raude travaille depuis une dizaine d’années sur les maladies infectieuses émergentes (Chikungunya, Zika, Dengue) en Outremer (Guyane, Réunion, Martinique, Mayotte).

Né en Guadeloupe et avouant « un attachement tout particulier pour les Antilles », il a placé au cœur de ses recherches, la perception des populations et leur adaptation face aux risques et aux incertitudes de ces maladies transmises par les moustiques.

A l’heure de la crise mondiale de la propagation du virus Covid-19, nous avons souhaité l’interroger sur comment nous, populations d’Outremer, acceptons-nous de vivre et de nous conformer aux consignes de confinement prolongé.

Dans une interview au Monde vous décriviez le fait que « les mesures de distanciation sociale ne sont pas bien comprises par les Français… »

Jocelyn Raude, EHESP : Dans l’urgence de l’annonce et de la mise en confinement du pays, nous avons mené des enquêtes téléphoniques sur des panels de citoyens sur le territoire hexagonal et effectivement, on s’est aperçu que la population comprenait mal les mesures appliquées.

C’étaient les premiers jours de confinement, tout était nouveau, la terminologie, les consignes et le concept même de « distanciation sociale ». Mais paradoxalement, cela n’a pas empêché les Français de bien respecter les consignes gouvernementales : plus de 90% de la population approuve les mesures prises.

C’est le propre de telles situations de crises.

« Notre perception et nos comportements évoluent rapidement en fonction du sentiment d’urgence, des messages des autorités, des comportements de ceux qui nous entourent, etc. »

Faites-vous le même constat concernant la perception et l’application de ces consignes au sein des territoires ultramarins ? 

A l’échelle des Antilles-Guyane, les habitants ont connu des épisodes de Zika, de Chikungunya, une circulation endémique de dengue… ils sont, de fait, beaucoup plus habitués aux maladies émergentes et aux enjeux de mobilisation au niveau d’une population.

Ce qui se traduit par une appréhension sans doute plus sereine et plus disciplinée qu’en Métropole de la crise sanitaire actuelle. Les enquêtes en cours nous permettront bientôt d’analyser plus précisément le vécu des habitants des territoires ultramarins.

Pour comprendre les réactions collectives, l’habitude de l’exposition au risque compte finalement davantage que le risque en lui-même ?

Les deux comptent bien sûr. Cependant, la perception des risques par une population, notamment en début de crise, varie beaucoup selon son expérience en la matière.

A titre d’exemple, en 2006, lors de l’épidémie de Chikungunya à la Réunion, 4 personnes sur 10 étaient atteintes, une situation inconnue dans l’Hexagone.

D’ailleurs, il est intéressant de voir que les études des premiers jours dans l’Hexagone montrent une perception du risque et une inquiétude vis-à-vis du Covid-19 équivalentes à celles ressenties aux Antilles ou en Guyane lors des épidémies de Chikungunya et de Zika. 

Emmanuel Macron a finalement prolongé le confinement jusqu’au 11 mai. Le prolongement du confinement peut-il influencer l’adhésion aux consignes sanitaires ?    

Dans une situation de crise, il existe plusieurs phases. La première est toujours celle de panique, pendant laquelle on observe une coexistence de deux types de comportements « irrationnels ».

On trouve d’une part, ceux qui, en réponse à la peur, cherchent à maximiser leur intérêt personnel et font par exemple des réserves excessives et d’autre part, ceux qui minimisent le danger et réalisent une « mise à distance » du risque pour se protéger du sentiment de peur.

Entre les deux, se trouve la majorité de la population, qui va adopter un comportement plus rationnel et adapté à la menace.

Pendant cette première phase, le principal risque consiste à ce qu’une majorité de personnes soient également sujettes à la panique simplement par peur de la réaction des autres… Phénomène bien connu dans l’histoire : on crée des pénuries en cherchant à s’en protéger.

Passé cette phase de sidération des premières semaines, on s’habitue à la situation. S’opère alors un phénomène d’accoutumance où le risque infectieux petit à petit fait partie, sinon de la normalité, en tout cas de quelque chose de plus familier.

Avec le risque de se lasser d’une application stricte des consignes sanitaires. 

Peut-on mesurer l’impact de la communication ? Les médias, les points presse du gouvernement, des ARS, les messages des hôpitaux etc. peuvent-ils influencer les comportements de nos concitoyens ? 

« A l’échelle de la couverture médiatique, une chose est connue : plus il y a d’informations disponibles, plus la menace est perçue comme importante. »

Autrement dit, après 15 jours de couverture appuyée de la situation, le niveau d’anxiété de la population est indubitablement très élevé.

Ensuite les journalistes s’accoutument eux aussi au risque, comme tout le monde et changent leur niveau d’intérêt pour la crise et donc la couverture qu’ils en font. 

Quid du rôle des réseaux sociaux, étrange pays où prospèrent les fake news et les experts auto-proclamés ? Sont-ils au final un relais important et immédiat des informations importantes ou une source intarissable de désinformation et d’inquiétude ? 

C’est le terrain idéal pour les fake news mais pas seulement en réalité ! Ils se révèlent, à mon sens, un extraordinaire moyen de rompre l’isolement social.

Sur ces plateformes d’échanges et de communication, on observe beaucoup de messages humoristiques ou de solidarité qui permettent de mieux supporter la situation ; d’entraide, de même que des critiques sociales à travers, par exemple, les témoignages des professionnels de santé ou encore la dénonciation de comportements ridicules dans les supermarchés…

Alors quel impact auront eu les réseaux sociaux sur la crise, sa perception, le comportement des Français ? Il est encore trop tôt pour le dire, une telle omniprésence des réseaux sociaux conjuguée à une épidémie de cette envergure, c’est, là aussi, une première.


Cet article a été initialement publié dans l’e-magazine “Les territoires se mobilisent” créé par EWAG. Découvrez le magazine complet et son contenu interactif en cliquant ici.