Le pays est confiné depuis le 17 mars, ça n’était jamais arrivé. Dès l’annonce, tous les habitants ont eu pour réflexe de se rendre dans leur supermarché acheter le nécessaire et un peu plus. Comment a été géré cet afflux spontané par les acteurs de la grande distribution ?

Dans l’Hexagone, la perspective de la crise a jeté les foules dans les supermarchés dès l’annonce du confinement par le Président de la République, au prix de quelques empoignades et aberrations.

Le vent de panique irrationnel qui saisit les consommateurs métropolitains n’a pas complètement épargné les clients des Antilles-Guyane. En Martinique, Guadeloupe, Guyane, dans les premiers jours de la crise, nous avons aussi copieusement rempli nos caddies et fait des stocks avec, en fond, l’espoir secret d’éviter une pénurie de lait, de farine, de riz.

Face à ces achats imprévisibles, le spectre de pénurie n’a pas fait frémir les professionnels de la grande distribution, l’enjeu, pour eux, était tout autre : réussir à sécuriser le travail de leurs salariés, réorganiser la logistique et s’adapter aux nouveaux comportements d’achat.

Entretien croisé avec François Despointes, président du Groupe SAFO et du SDGA, Syndicat de la Distribution et des Grossistes Alimentaires de Martinique et Fabrice De Reynal, directeur de Carrefour Guadeloupe et Guyane.

Dans les premiers jours de la crise sanitaire, craigniez-vous un risque de pénurie alimentaire ?

Fabrice de Reynal directeur de Carrefour Guadeloupe et Guyane : Objectivement non, ça n’a pas été un risque sérieux sur la Guadeloupe ou la Guyane, les bateaux ont continué à faire leurs rotations hebdomadaires, et les producteurs locaux étaient toujours à leur poste.

François Despointes président du SDGA : En Martinique non plus, il n’y a pas eu de risque de pénurie alimentaire pour au moins trois raisons :

  • Les distributeurs ultramarins sont habitués à fonctionner en cycles de plusieurs semaines et détiennent plus de marchandises que leurs homologues métropolitains 
  • Les fournisseurs locaux sont complémentaires et permettent de fonctionner en cycles courts, sans délais d’approvisionnement 
  • Les grossistes jouent un rôle clé : en plus de celui des distributeurs, leur stock permet de faire “tampon” et d’absorber des volumes exceptionnels

Quelle part de notre alimentation provient des importations ?

François Despointes : En Martinique, les chiffres varient selon chaque distributeur, mais nous achetons “localement” environ 60% des marchandises que nous vendons. 30% sont produites localement, 30% sont déjà importées par des grossistes ou agents de marques.

Cela représente environ 300 acteurs en Martinique avec qui nous travaillons (agriculteurs, éleveurs, pêcheurs, industriels locaux…). Les importations directes des distributeurs représentent environ 40% de leurs achats.

Fabrice de Reynal : En temps normal, l’essentiel des produits alimentaires secs et frais vendus en Guadeloupe et Guyane viennent de métropole. Néanmoins dans certaines familles de produits comme l’ultra frais, les fruits et légumes, le sucre, la farine, les œufs… la production locale est privilégiée et majoritaire.

Les producteurs locaux sont-ils en capacité de continuer à produire et à vous livrer ?

Fabrice de Reynal : Au total, nous travaillons avec plus de 120 fournisseurs locaux sur plus de 2000 références, sur toutes sortes de produits, agricoles, industriels ou artisanaux.

Ils sont tout à fait en capacité de produire et livrer, même si les rotations anormalement hautes ont modifié soit le rythme, soit les gammes, soit les volumes de production.

A l’inverse, les producteurs de fruits et légumes et de viande se retrouvent en surproduction à cause du changement de comportement des consommateurs.

« Les producteurs locaux sont des partenaires précieux pendant cette période inédite. »

François Despointes

François Despointes : D’abord, les productions des industriels locaux sont accessibles immédiatement et peuvent s’adapter en terme de rythme et de type de produits. Ces adaptations permettent la fourniture de produits à forts volumes.

Ensuite, il faut saluer l’initiative de plusieurs d’entre eux qui ont adapté leurs outils pour produire du gel hydro-alcoolique ou des équipements de protection individuels.

Concernant la production agricole locale, qui a vu disparaître plusieurs de ses débouchés (restauration collective, restauration privée, marchés de plein air…), les distributeurs se sont engagés à participer à l’écoulement de leurs produits et à mettre gratuitement leurs parkings à disposition des agriculteurs.

Comment ont réagi les consommateurs une fois les mesures de confinement annoncées ?

François Despointes : Les comportements d’achat ont évolué selon trois phases.

De janvier à fin février, la couverture médiatique du Covid-19 a augmenté avec les premiers cas avérés dans l’Hexagone, entraînant localement une légère hausse des ventes de produits alimentaires de base : pâtes et riz.

Ensuite, pendant la première quinzaine de mars, les premiers cas avérés localement et les mesures gouvernementales ont rendu la crise concrète (limitation des rassemblements, fermeture des écoles, des commerces “non essentiels”) et les consommateurs ont “stocké” en particulier sur les journées des 13, 14, 16 et la matinée du 17 mars.

Pendant la phase de confinement en cours, les consommateurs constituent des chariots plus importants pour limiter leurs passages en magasin.

Fabrice de Reynal : Pour ce qu’on peut en dire après 3 semaines de confinement en Guadeloupe et Guyane, le comportement des clients a en effet changé.

Ils viennent moins souvent pour limiter les déplacements et cherchent donc des produits qui se conservent plusieurs jours, ils vont au plus proche de leur domicile et évitent les longs trajets ; ils vont à l’essentiel et se privent des petits plaisirs gourmands ; ils cuisinent plus et recherchent des produits de base et moins de produits transformés.

Cela a donc des incidences sur les rotations des produits, sans toutefois que l’on puisse parler de problème durable. Certains rayons comme la farine, les œufs, les pâtes, le riz par exemple sont quelques jours en rupture, le temps de produire.

Avec la crise du Covid-19 et le confinement, qu’est-ce qui a changé dans votre organisation ? Dans votre offre ?

Fabrice de Reynal : Dans la logistique, seul le circuit avion a été modifié. La gamme avion a été largement réduite à cause d’une part de l’évolution de la demande des clients et d’autre part de la raréfaction des offres de fret.

La conséquence est une petite baisse de l’offre sur quelques produits. Pour le reste, certains rayons ne sont pas ou très mal livrés comme le poisson ou la pâtisserie qui souffre beaucoup de la faible demande pendant la crise.

François Despointes : L’expérience client en magasin a aussi pu être perturbée du fait d’une série de mesures qui donnent la priorité à la sécurité : filtrage aux entrées, consignes d’espacement,  nettoyage des chariots, aménagement des horaires de remplissage et d’ouverture, limitation ou fermeture de rayons traditionnels, comptoirs d’accueil…

Tous vos salariés restent-ils mobilisés ?

François Despointes : Notre responsabilité est d’intérêt général et, en dépit de contraintes nombreuses, nos équipes sont mobilisées pour garantir à nos clients une continuité de service pendant cette crise. Chacune et chacun d’entre eux accomplissent un travail formidable.

Fabrice de Reynal : Dans la grande distribution, nous faisons un métier de passion, avec des équipes impliquées et passionnées. En Guadeloupe comme en Guyane, l’essentiel de l’équipe est à son poste, très consciente du rôle important que nous avons à jouer pendant le confinement.

C’est « la priorité » de la Ministre du travail, quels sont vos dispositifs pour la sécurité des salariés ?

François Despointes : En premier lieu, nous nous sommes assurés de l’application de l’ensemble des mesures préconisées par les autorités sanitaires, consistant notamment à promouvoir les gestes « barrières » et inciter au lavage intégral et fréquent des mains.

Nous avons en surplus, demandé à nos salariés fragiles et/ou qui ont dans leur famille une personne fragile, de rester chez eux.

Par ailleurs, gants, gels hydro-alcooliques, lingettes, sprays désinfectants sont fournis aux équipes, de même que des vitres en plexiglas ont été placées au niveau des caisses, des marquages placés au sol, la signalétique rappelant les gestes barrières installée…

Cette liste évolue chaque jour pour améliorer le quotidien.

Fabrice de Reynal : C’est en effet une priorité. La sécurité de notre équipe sur les deux territoires est au cœur de nos préoccupations depuis le début de cette crise. Aussi, dès le deuxième jour de confinement nous avons radicalement changé notre fonctionnement.

Plexiglas de protection pour tous ceux qui sont en contact avec les clients, masques au fil des approvisionnements, gel hydro-alcoolique, respect des distances aux postes de travail, désinfection régulière…

Notre organisation s’est adaptée un peu plus tous les jours avec pour principal objectif de protéger notre équipe et assurer la continuité de service qui est attendue par la population.


Cet article a été initialement publié dans l’e-magazine “Les territoires se mobilisent” créé par EWAG. Découvrez le magazine complet et son contenu interactif en cliquant ici.