Bernard Sinitambirivoutin, président de l’Interprofession Guadeloupéenne des Fruits et Légumes et de l’Horticulture (IGUAFLHOR) nous répond.

Pouvez-vous nous décrire les effets de la crise géo-sanitaire sur la production de fruits et légumes ?

Bernard Sinitambirivoutin, Président de l’IGUAFLHOR : Les premiers temps du confinement ont été compliqués pour la filière. Nous avons observé une diminution des volumes d’activités compte tenu des mesures de confinement.

Les fermetures de nos nombreux partenaires comme la restauration collective, les établissements hôteliers ou les restaurants ont engendré une forte baisse de nos volumes de transactions.

Nous avons dû trouver les moyens de stocker tous les fruits et légumes entre le 15 et le 22 mars. Mais les capacités de stockage des chambres froides ne sont pas extensibles et les fruits et légumes sont des denrées périssables. Cela ne pouvait être que provisoire.

Trouver des réponses en un laps de temps très court a été la seule solution pour pallier la crise. Qu’avez-vous pu mettre en place ?

Oui, c’est le cas de le dire ! Il nous a fallu réfléchir rapidement aux solutions qui faciliteraient l’écoulement de nos stocks.

Les grandes surfaces n’étant pas en mesure d’absorber les volumes habituels et nos partenaires établis étant fermés, nous avons rapidement contacté la Préfecture, la Région et la Direction de l’agriculture et de la forêt pour les prévenir du risque lié à la situation.

Le Conseil Régional a été interpellé sur les problèmes de pertes aux champs, sur la saturation des capacités de stockage et la dégradation des prix. Leur réponse a été immédiate : nous avons monté l’opération « panier péyi ».

« L’idée reposait sur la distribution de paniers de fruits et légumes aux personnes les plus dépendantes, celles qui ne pouvaient pas se déplacer en voiture dans les lieux de vente ou encore celles qui étaient fragilisées. »

Nous avons confectionné plus de 6 000 « paniers péyi » au profit des 32 communes de la Guadeloupe. Cette opération a été un vrai succès !

Un vrai succès car elle a permis d’éviter la destruction de marchandises, absolument et particulièrement essentielles durant cette période…

Complètement. Alors que l’on conseillait aux populations de manger des fruits et légumes pour combattre le Covid-19, nous n’allions pas gaspiller ces sources de vitamines. Déjà qu’en temps normal, nous nous devons de ne pas gaspiller, le faire pendant cette crise aurait été vraiment paradoxal.

L’opération des « paniers péyi » nous a permis d’écouler près de 60 tonnes de marchandises en 7 jours et d’éviter des pertes sèches pour les agriculteurs.

Le confinement n’est pas terminé. Est-ce que cette distribution est un modèle qui persiste ? Et pouvons-nous imaginer un nouveau mode de commercialisation en direct avec le consommateur, en sortie de crise ?

L’opération des « paniers péyi » a tellement bien fonctionné que nous avons souhaité mettre en place un système de drive. Il existe donc des points de relais où il est possible de venir récupérer son panier de fruits et légumes en toute sécurité. Les producteurs appliquent les mesures d’hygiène et d’évitement social imposées par le gouvernement.

On se rend compte que ce format nous a permis de renouer un lien qu’on avait perdu avec les consommateurs. On a mis en place une application diffusée sur les réseaux sociaux.

Sur l’application, les 5 stations sont positionnées sur un point GPS : la personne, qui veut récupérer son panier, choisit la station qui est la plus proche de chez elle. Quand elle arrive, elle récupère son panier composé de fruits et légumes dont on dispose et donc de saison. C’est aussi simple que cela.

Le paiement ne se fait pas encore ligne, mais c’est la prochaine étape. Il n’y a pas non plus de précommande. Mais on y pensera dans quelques temps.

« On peut dire dès aujourd’hui que la crise liée au coronavirus nous aura permis de repenser nos schémas de commercialisation. »

Au point d’imaginer ne vous focaliser que sur la vente directe ? 

Non, pas à ce point. Nous considérons important de collaborer main dans la main avec nos partenaires actuels. L’objectif n’est pas de s’affranchir mais de mettre une complémentarité aux circuits existants.

On se rend compte aujourd’hui que la filière des fruits et légumes avait mis de côté tout un circuit existant qu’on avait laissé inexploré. Il a fallu cette opération inédite de survie pour nous en rendre compte.

On abreuve le consommateur de toutes sortes de volontés, tantôt compulsives, tantôt raisonnées, vis-à-vis de son acte d’achat. Que recherchent, selon vous, les consommateurs guadeloupéens ?

Selon moi, ils attendent de pouvoir avoir une garantie de traçabilité au niveau de leur produit. Aujourd’hui, nous souhaitons être certain que nos fruits et légumes sont de qualité. L’intérêt d’avoir des fruits et légumes locaux, c’est d’avoir la garantie du respect des réglementations françaises et européennes.

Toute notre filière travaille quotidiennement à l’amélioration de la certification des produits locaux. C’est comme cela qu’on arrivera à se faire une place plus importante sur le marché.

Car justement, pénétrer son propre marché reste-t-il encore compliqué en 2020 ?

Nous sommes aujourd’hui concurrencés par les importations alors que nous pourrions atteindre un taux de couverture beaucoup plus important de production sur notre territoire. Lorsqu’il s’agit de produits qu’on ne sait pas produire en Guadeloupe, la question ne se pose pas.

« Il n’est pas normal qu’en 2020, lorsque les producteurs locaux peuvent proposer une offre suffisante sur notre territoire, que nous continuions d’importer ce que nous trouvons en qualité, chez nous. »

En qualité, comme en quantité, nous sommes largement compétitifs. Sur la salade, le chou, les tomates, le concombre, le melon, la christophine, la banane plantain, nous n’avons pas besoin d’importer ! Et c’est pour cela qu’il faut réellement penser aux moyens d’inverser la tendance.

J’imagine que la décision ne dépend pas que de vous. Qui faut-il convaincre pour que cet argumentaire, qui tombe sous le sens, soit entendu ?

Nous devons, dans un premier temps, discuter avec les grandes surfaces de distribution. Les problématiques sont les mêmes pour tout le monde.

Pour pérenniser notre modèle, il faut faire évoluer notre organisation globale. Puisque ce sont chez elles que s’approvisionnent la majorité des Guadeloupéens, il nous faut planifier une réflexion d’ensemble.

De notre côté, il faut qu’on continue à sensibiliser les consommateurs sur l’importance de consommer local. Il faut qu’ils comprennent que notre travail constant de certifications et notre plan de restructuration vers l’agriculture écologique débuté en 2004, garantit une promesse du « bien manger local ».

Ensuite, il nous faut améliorer nos capacités logistiques pour mieux distribuer cette production locale. Aujourd’hui, on constate que l’atomisation des points de ventes est un obstacle à la diffusion complète des produits locaux.

Êtes-vous optimiste pour la suite ?

Oui, malgré tout, je le suis. Je suis persuadé que nous trouverons la force d’imaginer un autre modèle plus collaboratif qui ira dans le sens des idées d’une plus grande autonomie de territoire. Cela est essentiel pour notre sécurité alimentaire.

Mais pour cela, il faut mettre autour de la table, les agriculteurs, les transformateurs et les distributeurs. On a cette capacité. Nous sommes sur la bonne voie.

De notre côté, nous allons renforcer notre présence en direct avec les consommateurs et mieux comprendre leurs attentes. Nous pensons, d’ores et déjà, à mettre en place un formulaire qui nous permettrait de mieux apprécier leurs souhaits et mieux les informer. Les dés sont lancés !

IGUAFLHOR
FB @iguaflhor

Cet article a été initialement publié dans l’e-magazine “Les territoires se mobilisent” créé par EWAG. Découvrez le magazine complet et son contenu interactif en cliquant ici.