En pleine épidémie mondiale, les plantes médicinales caribéennes connaissent plus que jamais un regain d’intérêt, au détour de messages Whatsapp et de publications Facebook leur prêtant des vertus particulièrement séduisantes. Alors, info ou intox ? Nos plantes médicinales pourraient-elles nous permettre de faire face aux virus méconnus ?

En 2016, Rachel Lollia, biologiste de formation, lançait Pawoka, un concept de promotion, valorisation et protection de la ressource végétale que sont les plantes médicinales caribéennes.

Nous avons échangé sur l’intérêt de la pharmacopée régionale dans notre recherche de résilience face au type de crise que nous traversons, et ainsi évoqué la place que pourrait prendre cette pharmacopée dans le développement économique de nos territoires.

Rachel a surtout mis en avant une approche écologique et spirituelle des plantes, plus que rafraîchissante. A découvrir ici.

Rachel Lollia - Créatrice Pawoka

Quel état des lieux faites-vous des connaissances et de l’utilisation actuelles de nos plantes médicinales ?

Grâce à nos ancêtres, qui avaient clairement conscience de la valeur des plantes médicinales locales, celles-ci ont été préservées et nous ont été transmises jusqu’à aujourd’hui.

Cependant, la transmission du savoir s’est essentiellement faite de manière orale ce qui fait que beaucoup de personnes ont une connaissance partielle, peu approfondie, voire inexacte, des vertus et des conditions d’utilisation de ces plantes.

Certaines ne sont également pas valorisées à leur juste valeur. Par exemple l’herbe aiguille, qui est référencée dans l’application Pawoka. Tout le monde pense que c’est une mauvaise herbe alors qu’il s’agit d’une plante médicinale reconnue dans la pharmacopée française et dont toutes les parties ont des vertus. C’est pour te dire la valeur de cette plante, et pourtant, nous n’en avons pas conscience, simplement par méconnaissance.

C’est là que Pawoka intervient, pour te dire : « Coucou, tu vois cette plante, elle est super intéressante pour plusieurs raisons ; donc la prochaine fois, ne la tue pas à la débroussailleuse, considère-la en tant que telle et tu verras qu’en contrepartie, elle pourra aussi t’apporter du bien-être ! ».

« Notre rôle est ainsi de créer de l’information autour des plantes médicinales et de les valoriser, afin de démontrer que notre pharmacopée peut être un levier de développement, autant par la science que la création de filières. »

Grâce à l’information, on peut conscientiser la population sur la valeur de la ressource des plantes médicinales et ainsi l’impliquer dans sa préservation et sa conservation.

Illustration Gros Thym

Tout type d’informations circule sur nos plantes, comment Pawoka parvient à se positionner comme une source d’information fiable ?

Le constat à l’époque de la création de Pawoka était que l’information de qualité existait, mais qu’elle n’était pas suffisamment accessible ou en tout cas, pas à la population lambda.

En tant que scientifiques et médiateurs, nous savions où trouver une information sourcée et vérifiée ; que ce soit par le biais de bases d’études scientifiques internationales ou encore réalisées dans nos universités, grâce à des connexions ou des partenariats, notamment avec le groupement de chercheurs Tramil qui, pendant une trentaine d’années, a amassé une quantité impressionnante de connaissances sur nos plantes.

« Notre ambition était donc de mettre à profit cette recherche en rendant accessible l’information, mais surtout, en la redynamisant, en la vulgarisant, en la traduisant et en la structurant de façon à ce qu’elle soit plus digeste pour la population et qu’elle puisse être mise en pratique de façon très pragmatique. »

C’est pour cela que nous avons créé l’application mobile Pawoka, afin de pouvoir combiner théorie et pratique en partageant une information vérifiée scientifiquement, des recommandations de dosage et de fréquence de prise, ainsi que des précautions d’utilisation.

Nous avons par la suite diversifié nos formats de contenu, afin de nous adapter à la mutation de la société et aux nouveaux usages, en fournissant du contenu toujours très simple, très pratique, vérifié et qualitatif.

D’abord par le biais d’un magazine papier de trois numéros dont le slogan était “Le naturel accessible à tous au quotidien” ; et dont le message est “qu’il ne faut pas attendre d’être malade pour pouvoir consommer une plante médicinale, et qu’en réalité on peut les intégrer dans notre quotidien”.

Notre dernier projet en date est la mise en place de la formation “Remèdes naturels”, qui fournit certes, des informations pratiques et des recettes, mais qui, en premier lieu, transmet toutes les notions essentielles autour du pouvoir des plantes, de l’esprit des plantes, de leur rôle global, et aborde notre propre rôle en tant qu’humain dans la protection et la préservation de cette biodiversité qui nous le rend si bien.

Illustration citron

La protection des plantes est une de vos valeurs cardinales.

Quand tu fabriques ton remède, l’idée est que tu sois conscient que l’on peut utiliser et valoriser les plantes médicinales sans en abuser.

Souvent, on est dans une relation d’exploitation, dans laquelle on se procure la plante uniquement pour un intérêt curatif. Cependant, les plantes médicinales ont beaucoup plus à nous offrir si nous les utilisons dans une logique de prévention et dans une relation d’échange équilibré.

Tu les plantes, tu montres que tu reconnais leur valeur en prenant soin d’elles et, en échange, elle te font profiter de leurs propriétés et vertus. Par exemple, à travers une petite tisane au moment de la digestion ou en assaisonnement d’un plat.

Le seul fait de cultiver des plantes médicinales chez soi permet d’en retirer des bénéfices car elles apportent de l’oxygène, mais aussi de la verdure, ce qui agit positivement sur le bien-être et donc sur la santé à long-terme.

« En cultivant nos plantes médicinales, tu leur permets de perdurer et d’être ainsi transmises aux générations futures. »

Quand tu es conscient de la valeur de la plante, tu ne l’utilises pas de façon intensive comme médicament, mais tu l’intègres à ton quotidien pour profiter de ses vertus sur le long-terme. Et, au final, tu ne tombes pas souvent malade.

Illustration citronnelle

Particuliers ou territoire : à quelle échelle se joue la préservation de la pharmacopée antillaise ?

Aux deux niveaux et dans une dynamique d’interaction. En tant que consomm’acteurs, les particuliers peuvent pousser les acteurs économiques ou institutionnels à agir en faveur de la protection de la pharmacopée et de la préservation de sa biodiversité.

Si la population, conscientisée, émet le besoin d’une offre fiable et respectueuse de nos ressources, il pourra y avoir une création de filière à l’échelle du territoire, permettant de répondre à cette demande.

Le pouvoir politique a également son rôle à jouer, en accompagnant les acteurs engagés pour la protection et la valorisation de la pharmacopée, et en participant à la structuration d’une filière respectueuse de la biodiversité.

Fondamentalement, la pharmacopée se doit d’être protégée car elle fait partie de notre patrimoine immatériel ; c’est un bien commun que personne ne peut s’approprier.

Il revient donc à l’Etat, et à tout un chacun, de protéger nos plantes des acteurs mal intentionnés ayant le profit comme unique objectif, afin que tout le monde puisse continuer à profiter de leurs bienfaits.

Car, quand quelque chose a de la valeur, tout le monde s’y intéresse et cela peut malheureusement favoriser le pillage de cette ressource et la mettre en danger. C’est presque un enjeu vital, car, en mettant en péril la nature, nous nous mettons nous-même en péril parce que nous faisons partie de cette nature. Tout est lié en fait.

« La résilience passera nécessairement par la valorisation et la préservation conjointes de nos ressources ; on ne sera jamais résilient sur le long-terme si on ne prend pas en compte la valeur patrimoniale de nos ressources, en tant qu’héritage reçu et à transmettre. »

En fait, pour travailler les plantes, il faut faire preuve d’humilité et cesser de penser que l’on est supérieur. Car la nature nous le montre tous les jours, elle n’a pas besoin de nous. Et dire cela, ce n’est ni être utopiste, ni être un écologiste extrémiste. C’est tout simplement être conscient, selon moi.

Illustration d'une grenade

La conscientisation autour de la valeur des plantes semble être un prérequis au développement de filière. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Le souci est que si tu ne parles des plantes qu’à travers leur intérêt pour la santé et qu’à côté de ça, il n’y a pas un travail d’éducation permettant de faire prendre conscience à la population ou aux acteurs économiques de la nécessité de protéger cette ressource, alors tu peux indirectement inciter à la surexploitation.

Oui, il faut que l’on prenne conscience qu’il y a un potentiel de développement économique pour nos territoires autour de la biodiversité, mais à condition qu’on en fasse un usage raisonné.

Depuis quelques années, il y a un regain d’intérêt pour la pharmacopée antillaise. Le revers de la médaille est que tout le monde veut en profiter et certaines choses sont particulièrement préoccupantes : on raconte tout et n’importe quoi sur les propriétés des plantes sans se rendre compte que cela peut se révéler dangereux pour notre santé et celle de nos compatriotes.

Le naturel n’est pas sans danger et donner de mauvais dosages peut intoxiquer voire conduire à la mort. On crée ainsi une expérience négative vis-à-vis de la plante, ce qui provoque la diffusion de fausses rumeurs — “plant la sa pa bon, i tchouyé moun” — et au final porte atteinte à la pérennité de la plante. Alors qu’elle avait  simplement été mal utilisée…

« Vendre des plantes ou des produits à base de plantes médicinales, sans études et au mépris de la réglementation, c’est mettre les gens ainsi que les plantes en danger et donc annuler tout le travail de sensibilisation, de valorisation et de protection qui est fait. »

C’est pour cela qu’il est important d’éduquer et de conscientiser avant d’encourager la création de filière dans ce domaine.

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Pensez-vous qu’il y ait une volonté politique de participer à la création de filière autour des plantes médicinales ?

Non du tout, car il y a des paroles mais malheureusement peu d’actions (concrètes). Ici on piétine si l’on compare à d’autres régions. La Réunion par exemple, où il y a un réel travail de structuration des filières et la volonté d’une bioéconomie.

Il me semble pourtant que nous avons des dispositifs similaires et des acteurs locaux engagés dans cette même direction…C’est donc à se demander s’il y a une réelle volonté.

Se pose aussi la question de savoir si nous sommes dans une dynamique d’intelligence collective. La politique locale est-elle dans une dynamique de développement territorial et peut-elle agir au-delà de la satisfaction des intérêts individuels ?

« Il faudrait des fédérations, des prises en charge, des accompagnements qui correspondent vraiment à nos spécificités. »

Il y a des choses mises en place, qu’on ne s’y trompe pas, mais elles ne sont pas toujours adaptées. Si le problème est le manque d’idées, il suffit de regarder ce qui se fait ailleurs et de contextualiser. Si l’on cherche à savoir en quoi la biodiversité peut être un levier économique, des études existent (et ce depuis l’époque de la colonisation).

Illustration piment végétarien

Où en est la recherche sur les plantes médicinales caribéennes ?

Les chercheurs, qui ont travaillé pendant des années pour faire de notre base de connaissances ce qu’elle est aujourd’hui, arrivent à la retraite. Il faut donc une relève et continuer à susciter des vocations en phytochimie ou encore en biologie végétale. Nous souhaitons d’ailleurs que notre contenu contribue à cela.

Quoiqu’il en soit, la dynamique actuelle est très positive et encourageante pour le futur de la pharmacopée antillaise. De nombreuses personnes travaillent aujourd’hui sur nos plantes, se forment dessus et il y a de plus en plus d’ingénieurs en phytochimie, d’ethnobotanistes, de toxicologues, de pharmaciens spécialisés ou encore de pharmacognostes issus de nos territoires.

Il s’agit maintenant de créer des réseaux durables et de faire émerger des acteurs fédérateurs autour de la valorisation de nos plantes médicinales caribéennes. 

Le saviez-vous ?

  • Le giraumon est une plante médicinale dont on peut consommer la fleur, les feuilles, les tubercules, les graines…
  • Vous pouvez consommer le gros thym en citronnade ou en farce de samoussas par exemple. Avant, il était également d’usage de mâcher la feuille, d’avaler le jus et de recracher la feuille, pour bénéficier des propriétés antiseptiques de la plante.
  • Les feuilles d’herbes aiguille et de bégonia peuvent être mangées telles quelles ou en salade.
Pawoka
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Cet article a été initialement publié dans l’e-magazine EWAG | Nos sociétés s’adaptent. Découvrez le magazine complet et son contenu interactif en cliquant ici.