Production locale & Agro-transformation. C’est aux côtés de Tony Mohamedaly, gérant de Caraïbes Croc Saveurs et de l’IGUAFLHOR que nous ouvrons ce mois-ci la rubrique « La Guadeloupe dans l’assiette ». – Photo Pierre de Champs 

Vous êtes ce qu’on appelle un agro-transformateur. Pour ceux qui n’auraient jamais entendu parler d’agro-transformation, pourrions-nous en donner une définition ? 

Tony Mohamedaly : L’agro-transformation est l’ensemble des activités industrielles qui transforment des matières premières alimentaires issues de l’agriculture ou de la pêche en aliments industriels destinés essentiellement à la consommation humaine.

Dans notre cas, nous sommes spécialisés sur la transformation de matières premières issues de l’agriculture et membres de l’interprofession IGUAFLHOR qui rassemble les producteurs de fruits et légumes de Guadeloupe.

Usine agro-transformation Guadeloupe

Notre première mise sur le marché a été une gamme de salade en 2006. Depuis, nous déployons une trentaine de nouveaux produits conçus à partir de la production locale.

« Travailler avec le géant McDonald’s m’a permis d’acquérir rapidement une légitimité auprès des acteurs du territoire. Aujourd’hui, nous travaillons avec les hôpitaux et les établissements scolaires. »

Comment expliquez-vous que le secteur de l’agro-transformation soit encore si peu développé en Guadeloupe ? 

C’est principalement dû aux coûts. Investir dans une usine, c’est engager des millions d’euros dans des machines qui risquent d’être rapidement obsolètes si vous n’avez pas contractualisé avec un réseau d’approvisionnement solide et planifié en amont la production de votre année.

Le deuxième argument est la petitesse du marché. Contrairement aux usines de France hexagonale qui peuvent amortir sur des millions de consommateurs, notre marché est restreint et de surcroit concurrencé par des entrants extérieurs.

Ananas transformé - Iguafhlor Guadeloupe

Aujourd’hui, notre grand défi est à la fois de mieux anticiper la production avec les organisations de producteurs (OP) et de mieux planifier avec elles les mois et années à venir.

Notre objectif est de faire en sorte que l’agro-transformation ne reste pas seulement la soupape d’écoulement de notre surproduction locale mais bien de vrais produits réfléchis en amont avec les capacités des producteurs.

« Lorsque les réseaux de grandes distributions nous disent « Voilà, ce que j’importe. Pourriez-vous faire l’équivalent ici ? », la réponse doit être « oui ». »

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Il y encore quelques années, le choix du consommé local n’était pas aussi automatique de la part des consommateurs. Comment expliquez-vous ce retournement de situation ?  

Par une somme de plusieurs facteurs ! Je dirais que les nombreuses campagnes de sensibilisation réalisées auprès des Guadeloupéens ont permis une meilleure compréhension de la valeur des produits péyi et de la richesse des goûts locaux.

Il y a encore une dizaine d’années, tout ce qui était produit localement était déconsidéré. Aujourd’hui, manger local, c’est gage de qualité.

D’une part, parce que nous sommes soumis à une réglementation très encadrée qui garantit la qualité et la traçabilité des produits.

D’autre part, parce que nos produits frais cultivés ici au soleil ont une plus grande valeur nutritive que les produits importés d’ailleurs. Je reste persuadé que le savoir-faire bleu blanc rouge pourrait davantage s’exporter dans la Caraïbe.

Agro-transformation ananas - Iguafhlor

Nous venons de vivre une année particulièrement intense. Après la crise Covid, les agriculteurs ont souffert d’une grande période de sécheresse, puis d’inondations. Tout cela a des conséquences directes sur la production et donc sur l’agro-transformation.  Est-ce compatible avec l’idée d’une plus grande autonomie alimentaire ? 

Oui, l’année a été particulièrement difficile pour l’interprofession. Les producteurs ont souffert de la difficulté d’écouler leurs stocks durant le premier confinement et ensuite, de la perte de nombreuses cultures.

Nous sommes dépendants à la fois des uns et des autres, mais aussi de la réalité climatique, comme partout ailleurs. C’est la raison pour laquelle nous devons réfléchir au meilleur équilibre à avoir sur notre territoire.

« La dépendance envers l’extérieur telle qu’elle existe aujourd’hui est aussi peu pertinente que l’idée de produire tout ce que nous consommons sur place. »

C’est vers un équilibre plus judicieux que nous devons tendre. Tout ce que nous pouvons produire ici doit être consommé ici. Notre objectif est aujourd’hui de concurrencer ce qui vient de l’extérieur.

Gagner des parts de marché et offrir aux Guadeloupéens la possibilité de manger ce qui pousse en quantité non négligeable chez nous. L’import doit devenir la variable d’ajustement de la production locale. Pas l’inverse.

Je me souviens qu’à un moment, nous parlions de la Guadeloupe comme « d’une terre de champions ». Cela fait un moment que je ne l’ai pas entendu. Ce serait pourtant bien de le redire.

IGUAFLHOR 
FB @Iguafhlor