Elle nous a donné rendez-vous bien avant le lever du soleil. Terre-de-Haut encore profondément endormie. Au 191, allée des flamboyants, Cillette est déjà à pied d’œuvre. « Quand j’ai beaucoup de commandes, je peux commencer à 2 heures. Il fait trop chaud après pour travailler. Et puis, pour les gens qui partent au premier bateau, il faut que mes tourments soient prêts. »  – Texte Anne-Laure Labenne

Cillette Appolinaire, pâtissière de tourments d'amour - Les Saintes
« C’est une recette que je tiens de ma maman. Elle s’appelait Émilienne. Qui l’avait elle-même de sa mère. » (Photo Jude Foulard)

Ses tourments

Nous comprenons immédiatement la valeur sentimentale que Cillette accorde à ce gâteau traditionnel qui a fait la réputation des Saintes. Dans son atelier, aménagé par l’un de ses fils sur sa terrasse, les moules sont méticuleusement alignés sur le plan de travail. Il est 4 heures du matin, Cillette a déjà déposé ses confitures sur la fine pâte brisée.

« Je ne dévoile pas mon secret », nous dit-elle d’emblée. Nous n’insisterons pas. « C’est une recette que je tiens de ma maman. Elle s’appelait Émilienne. Qui l’avait elle-même de sa mère. C’est mon héritage. Je l’ai transmise uniquement à ma fille Céline et à mes petites-filles. » Une histoire de femmes. Une affaire de famille. « Avec maman, on travaillait en silence. On était onze enfants. C’est papa qui cassait, épluchait et râpait le coco avec le couvercle d’un seau en aluminium sur lequel il y avait des clous. On n’avait pas de râpe. Et c’est mon frère qui allait vendre les tourments sur le quai. Il laissait une de mes sœurs sur place et revenait en courant chercher des paquets. » 

Râpage du coco pour les tourments d'amour - Cillette Appolinaire
« C’est papa qui cassait, épluchait et râpait le coco avec le couvercle d’un seau en aluminium sur lequel il y avait des clous. » (Photo Jude Foulard)

Cillette a toujours refusé de se mêler aux vendeuses assises au débarcadère. « Un truc à histoires… » Défendant, avant tout, une tradition et un savoir-faire. « À la fin du mois, je n’ai pas une fortune, mais je me débrouille. On ne se bat pas pour de l’argent, mais pour le meilleur. Ce que je fais, je le fais avec amour, pour les Saintes. »

Elle perpétue ainsi la tradition, sans jamais compter ses heures. « Je râpe toujours mon coco à la main. Je le fais tourner pour ne pas m’écorcher les doigts. Et quand je fais de la confiture, dès que ça bout, je ne coupe pas. Je baisse à feu doux et surveille pendant deux, trois heures… » Il est peut-être bien là, le début du secret…

« À la fin du mois, je n’ai pas une fortune, mais je me débrouille. On ne se bat pas pour de l’argent, mais pour le meilleur. Ce que je fais, je le fais avec amour, pour les Saintes. »

Avec méthode

4h45. L’heure tourne. Cillette s’affaire désormais à la génoise. Sous le plan de travail sont alignés les gros sacs de sucre et de farine. « Il faut que ça soit moelleux. » Son geste est précis, les quantités généreuses. Avec méthode, par rangée de quatre, elle enfourne la première tournée. Avant de « descendre la plaque » pour « faire croustiller la pâte », l’ancienne couturière tient à nous montrer ses photos de famille. « Ça fait 51 ans que je suis dans ma maison. Et depuis 53 ans, mon mari me réclame deux à trois tourments par jour ! Je suis diabétique, j’en mange un de temps en temps. » 

Préparation de tourments d'amour
« Quand je fais de la confiture, dès que ça bout, je ne coupe pas. Je baisse à feu doux et surveille pendant deux, trois heures… » (Photo Jude Foulard)

En bonne matriarche, du haut de ses 73 ans, la saintoise veille sur chacun de ses membres. « J’ai un petit-fils au Liban… Je demande tous les matins à Marie de me protéger… Oui, j’ai du caractère. Je dis ce que je pense. Je suis très accueillante mais franche. J’ai déjà envoyé sur les roses une touriste qui m’avait dit : “Assumez ce que vous faites”. Elle était mécontente de ne pas trouver de tourments chez moi. » La règle, c’est la règle. Et quand il n’y en a plus, Cillette n’hésite pas à mettre un petit carton sur sa porte pour ne pas être dérangée.

« J’espère que notre secret restera aussi longtemps que possible dans la famille. Mais je ne veux pas que ma fille ou mes petites-filles ne fassent que ça. C’est trop dur pour gagner une vie. »

Munie de deux torchons, elle sort maintenant ses premiers tourments du four. Une douce odeur de pâtisserie plane désormais sur toute la maison. Cillette démoule ses tourments, un par un, en les tapant légèrement afin qu’ils n’accrochent pas. Délicatement, elle les empile dans ce petit pochon sur lequel elle a préalablement inscrit l’un des parfums. Coco, ananas, banane, goyave ou mix. « C’est fragile. Je contrôle chacun de mes tourments. »

Elle répétera l’opération de fabrication plusieurs fois jusqu’au petit matin. Son rouleau à pâtisserie, scotché de part et d’autre, jamais loin. « C’est celui de ma maman. J’en ai d’autres, tout neufs, mais je préfère celui-là. J’espère que notre secret restera aussi longtemps que possible dans la famille. Mais je ne veux pas que ma fille ou mes petites-filles ne fassent que ça. C’est trop dur pour gagner une vie. J’ai 400 moules, imaginez un peu le travail. Mais ça me maintient… » Être debout, coûte que coûte, pour l’amour de la tradition.

Tourments d'amour de Cillette Appolinaire
« C’est fragile. Je contrôle chacun de mes tourments. » (Photo Jude Foulard)
À lire également | Retrouvez tous les portraits de notre Hors Série “Elles font la Guadeloupe”