Elle veut en finir avec les stéréotypes, en finir d’attirer de la sympathie dès lors qu’elle se présente en professeure de créole, en finir avec le poids imposé de l’histoire. Corinne Famibelle veut susciter une émulation pour sa langue qu’elle enseigne. Pour cette langue malmenée jusque dans ses entrailles. Son combat est une opération séduction à destination de la jeunesse et pour la Guadeloupe toute entière. – Texte Anne-Laure Labenne

« La langue est bien outillée pour son expansion. Ce n’est pas parce que j’utilise la langue créole que je suis une femme vulgaire, que je n’ai pas suivi d’études. »

LÉRITAJ.

« Beaucoup de représentations liées à la langue sont encore très ancrées de nos jours. » Corinne pose ici le point de départ de tout un peuple réticent. « À l’origine, le créole est une langue qu’on attribuait aux personnes qui n’avaient pas d’éducation. Quand on disait “palé a vyé nèg”, ce n’était pas très flatteur.Le créole était lié au monde de l’habitation, de la plantation, au travail de la terre. »

Difficile de faire évoluer les consciences quand toute une génération ne voit pas l’intérêt d’un tel apprentissage. « La langue est pourtant bien outillée pour son expansion. Pour les élèves, les parents voire même des chefs d’établissement, l’image du bitako, cette personne rustre, sans bonne manière, est encore trop présente. Ce n’est pas parce que j’utilise la langue créole que je suis une femme vulgaire, que je n’ai pas suivi d’études. »

« Je n’ai pas eu le traumatisme de certains qui ne se faisaient réprimander qu’en créole. Ce qui explique sûrement mon approche avec la langue, que je considère vraiment comme une langue. »

KONTRÉ.

Née en mars 1977, la Capesterrienne qui dit avoir été élevée an lakou, a toujours jonglé, de manière naturelle, entre deux langues. « On ne parlait créole que dans mon environnement maternel. Du côté de mon père, on s’exprimait toujours en français. Je n’ai pas eu le traumatisme de certains qui ne se faisaient réprimander qu’en créole. Cette relation d’utilisation de la langue, que pour des injonctions, je ne l’ai pas connue. Ce qui explique sûrement mon approche avec la langue, que je considère vraiment comme une langue. »

Le déclic pour sa vocation s’appelle Sylviane Telchid. Alors surveillante d’externat au collège de Capesterre-Belle-Eau, Corinne suit les cours de créole dispensés par l’enseignante. « Ce fut une révélation. Nous avons toutes les deux tissé des liens très forts dès le départ. » La musicalité de la langue et l’utilisation des mots pour exprimer des choses profondes transporteront l’étudiante au point d’abandonner sa licence d’espagnol.

« Quelle motivation a un élève à faire du créole sur l’heure du midi, après 16 heures ou le samedi matin ? »

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TRANSMISYON.

Après l’obtention de son CAPES, il y a onze ans, Corinne s’est battue pour imposer l’enseignement du créole en langue vivante obligatoire, au même titre que l’anglais ou l’espagnol. Elle instaure même une résidence d’écriture afin que ses élèves prennent conscience de l’archipel. « Ils ont découvert la littérature caribéenne au contact direct des auteurs : Gisèle Pineau à Marie-Galante, Max Ripon à Terre-de-Bas, TiMalo à Bouillante. Je suis convaincue que la salle de classe ne convient pas à tout le monde. Des élèves se révèlent dans de tels projets. »

Rejetant fermement l’image de « l’élève couillon qui peut faire du créole parce que ça lui ira bien », la professeure ira même jusqu’à changer les heures d’enseignement placées de manière ingrate sur un emploi du temps. « Quelle motivation a un élève à faire du créole sur l’heure du midi, après 16 heures ou le samedi matin ? »

« Il faut dire stop à cette prosodie, à cette culture du bwabwa pour parler de nous. C’est une forme de médiocrité. Le créole demande un effort intellectuel pour utiliser les mots appropriés. »

IZAJ.

Au risque d’être lue avec de grands yeux, Corinne est révoltée de l’usage du créole fait dans les médias, dans les publicités ou encore au travers des discours de syndicats. « On utilise toujours le stéréotype de l’Antillais, ce boloko. Il faut dire stop à cette prosodie, à cette culture du bwabwa pour parler de nous. C’est une forme de médiocrité. Le créole demande un effort intellectuel pour utiliser les mots appropriés. »

Sa « lang an nou » qu’elle enseigne est la langue de la terre sur laquelle elle vit. Cette langue qui lui transpire. Sans agressivité. « Quand j’ouvre ma bouche pour émettre des mots, je pèse mes mots. Je cherche à les rendre avec le sens du pays. » Un travail d’équilibriste au quotidien, que Corinne Famibelle associe à desalé-é-vini entre les deux langues, ni trop français, ni trop créole. Un travail au quotidien fait avec conviction et sincérité, résumé parfaitement par ce proverbe « A pa jou chat maché i kenbé rat ».

« Quand j’ouvre ma bouche pour émettre des mots, je pèse mes mots. Je cherche à les rendre avec le sens du pays. »

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