Kokiyoko! C’est dans le pitt à coq fondé par son père en 1942 que vous trouverez Dolorès Bélair. Depuis plus de trente ans, elle œuvre à la préservation du patrimoine guadeloupéen. – Texte Willy Gassion

Elle est assise au centre du pitt à coq, ses pieds sur le tapis bleu, tellement bleu qu’on dirait l’océan ou le ciel un jour de plein soleil. Dolorès semble ailleurs et rien, même pas le chant joyeux des coqs, ne parvient à l’extirper de là où elle est. À quoi rêve-t-elle ? « Je me sens bien ici, c’est aussi un lieu de recueillement, c’est la vraie Guadeloupe. » 

« Après le passage du cyclone Hugo, le pitt à coq a été terrassé, avec l’aide de mon frère et de ma mère nous l’avons fait renaître mais rien n’a été facile, il a fallu se battre, un combat continu. »

« Nou goumé mè nou rivé » 

C’est le combat d’une vie. De sa deuxième vie commencée en 1989 à son retour en Guadeloupe. Dolorès Bélair quitte la fonction publique et le département des Hauts-de-Seine pour se consacrer au gallodrome ouvert par son père René Bélair en 1942. D’abord l’euphorie du retour « il y avait beaucoup de choses à faire, à imaginer, avec le pitt à coq on peut créer quelques emplois », puis les deuils. La terrible année 1989 : la mort du père et celle aussi de la Guadeloupe ravagée par le cyclone Hugo. Reconstruire, reconstruire à tout prix l’héritage du père, consoler la mère et relever le péyi.

« J’étais fonctionnaire à la Sécurité Sociale, j’ai démissionné après douze ans de service pour rentrer chez moi, j’ai décidé de rentrer parce que dans l’Hexagone il me manquait ma culture. Après le passage du cyclone Hugo, le pitt à coq a été terrassé, avec l’aide de mon frère et de ma mère nous l’avons fait renaître mais rien n’a été facile, il a fallu se battre, un combat continu, nou goumé, nou goumé mè nou rivé. Avant la fermeture du pitt à coq à cause de la crise sanitaire, des touristes et des médias étrangers venaient nous visiter. » 

« Ce lieu a permis à ma famille de vivre, c’est lui qui m’a fait grandir, c’est une part essentielle de mon enfance et de ma vie. »

« Comme une maman porte son bébé » 

Tellement de choses à préserver. Il y a la nostalgie de l’enfance, son souvenir heureux. Une enfance rurale à l’ombre du pitt à coq dans la campagne de Morne-à-l’Eau. « Ce lieu a permis à ma famille de vivre, c’est lui qui m’a fait grandir, c’est une part essentielle de mon enfance et de ma vie. » Ensuite l’œuvre du père qu’il ne fallait pas enterrer avec lui, et enfin « préserver un pan important du patrimoine de la Guadeloupe ». Car Dolorès aime la Guadeloupe – « je porte la Guadeloupe dans mon cœur comme une maman porte son bébé » – et c’est pour elle qu’elle se bat, pour que « la Guadeloupe reste debout. »

« L’existence du pitt à coq répond à mon engagement de préservation du patrimoine mais c’est très difficile : beaucoup de propriétaires de pitt s’en vont parce qu’ils sont trop âgés pour continuer et les jeunes s’en désintéressent. Pourtant c’est de nous dont il s’agit, de notre culture, de notre mémoire, du respect de la parole donnée, de notre existence dans ce pays, de ce qu’on mange, la culture définit notre mode de vie, la Guadeloupe a derrière elle des siècles de combat de coq. » 

Les coqs vont et viennent à ses pieds, leurs ailes fouettent l’air et ce sont eux qui décident de la fin de l’entretien. Dolorès de conclure : « le passé est un enrichissement, on a besoin de lui pour avancer, il faut absolument que cette tradition perdure, si toutes les traditions s’en vont, la Guadeloupe est vouée à l’échec et à sa perte. » 

« Le passé est un enrichissement, on a besoin de lui pour avancer, si toutes les traditions s’en vont, la Guadeloupe est vouée à l’échec et à sa perte. » 

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