À Capesterre-Belle-Eau, chez les Minatchy, il y a tout d’abord le père. Roland, professeur de biologie et militant nationaliste guadeloupéen. Il y a aussi Nathalie, la fille ainée de la fratrie. « Notre famille est très attachée à l’agriculture. Mon père a toujours voulu produire. Sur le bout de terrain que nous avions, il avait des vaches et nous faisions du lait. Une trentaine de litres par jour. Le matin, avant d’aller à l’école, nous le mettions en sachet. » Un souvenir d’enfance qui a façonné une carrière et bâti un engagement pour un territoire. Son territoire. « Avec mes parents, nous avons toujours eu des discussions de curiosité scientifique. C’était parfois animé mais, au fond, nous étions d’accord car nous souhaitions faire avancer la Guadeloupe. »

« Avec mes parents, nous avons toujours eu des discussions de curiosité scientifique. C’était parfois animé mais, au fond, nous étions d’accord car nous souhaitions faire avancer la Guadeloupe. »

Avril 1995. Sur le point de rentrer au pays avec son diplôme d’ingénieur agro-alimentaire en poche, Nathalie se voit proposer un stage à Gruissan, dans l’Aude. Six mois dans une unité expérimentale de l’INRA, en plein milieu d’un vignoble. « J’y suis allée à reculons. Mais l’idée me séduisait, un projet de transformation de la banane pour obtenir un pur jus, sans eau, sans sucres ajoutés. » Elle y restera finalement neuf ans avec l’ambition de l’industrialiser en Guadeloupe. « C’était innovant pour l’époque. L’idée était de commercialiser ce jus en Europe car ce type de produit, chez nous, n’est pas forcément apprécié… Là où règnent les sodas sur notre marché local. » C’est dit.

Le défi est plus compliqué que prévu. Nathalie se rend à l’évidence : aucun industriel de la place ne transforme de matière première. « Je n’ai jamais entretenu de rancœur vis-à-vis de ce projet. Mais il faut s’avouer, qu’en Guadeloupe, la transformation à l’échelle industrielle ne concerne que la canne. On a beau avoir toutes sortes de jus de fruit péyi, c’est de l’import. J’ai changé ma façon de voir les choses depuis. L’agro-industrie, en termes de transformation de fruits locaux en jus, n’est pas adaptée à notre territoire. » Un passage qu’elle analyse avec recul aujourd’hui et qui l’a aidée à faire ce qu’elle appelle « sa mue ».

« Tout le monde me disait : pourquoi tu ne fais pas une thèse ? » L’idée lui paraît, de prime abord, saugrenue. Mais l’unité de recherches zootechniques, à l’INRA de Petit-Bourg, cherchait des compétences en transformation des produits. Nathalie est la candidate idéale. Durant sept ans, elle jongle entre son emploi au CFA des Abymes et sa thèse.

« Là où nous sommes, nous devons nous débrouiller avec ce que nous avons. »

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Prendre conscience

« L’unité travaillait sur la valorisation des ressources non-conventionnelles pour l’alimentation des ruminants. L’idée, c’est de dire : on va leur donner de l’herbe, mais aussi des feuilles de manioc ou de pois d’angole, par exemple, car riches en protéines, sous forme de granulés. » Le sujet est fait pour elle : valoriser la biodiversité et réduire les imports, deux enjeux auxquels elle tient fortement.

« Ma thèse ne se résume pas en un sujet pointu, nous avons pris en compte plusieurs éléments. C’est une nouvelle approche de la science où nous n’essayons pas d’être spécialiste dans quelque chose. Ce qu’on a fait est tout à fait applicable dans le contexte guadeloupéen et répond à des questions scientifiques majeures. Là où nous sommes, nous devons nous débrouiller avec ce que nous avons. » Cette vision, Nathalie aimerait que tout à chacun y prenne part, laissant ainsi, autant que possible, le réflexe supermarché et la dépendance vis-à-vis des matières premières.

Directrice de l’unité PTEA depuis février 2021, un an après avoir validé sa thèse, Nathalie entend désormais prendre le temps de convaincre pour faire changer les pratiques durablement. « J’ai envie que les Guadeloupéens se responsabilisent, qu’ils prennent conscience petit à petit. » Elle explique que depuis 2009 elle a arrêté sa consommation de riz car « ma source énergétique ne peut pas être aussi extérieure à mon territoire ». « Nous sommes pieds et poings liés. Notre culture gastronomique a été construite sur de l’import. Puisons dans nos ressources propres sans céder à la facilité pour se réapproprier notre environnement. » Un discours qui fait sens aujourd’hui, au nom de la Terre.

« Notre culture gastronomique a été construite sur de l’import. Puisons dans nos ressources propres sans céder à la facilité pour se réapproprier notre environnement. »

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