Ne l’appelez surtout pas Marguerite. Personne ne la connaît sous ce prénom, celui de sa grand-mère, celui de sa mabo. Magguy a tout de suite été imposé, « pour faire la différence ». – Texte Anne-Laure Labenne

Magguy Chaulet est discrète. N’aime pas être mise en avant. « On ne doit pas me féliciter pour ce que j’ai fait. Je me suis fait plaisir. Je dis souvent que je n’ai pas travaillé. C’est un cadeau à moi-même. » Avec passion, elle raconte ce qui l’anime depuis un certain jour d’avril 1975.

Jardin de Valombreuse - Guadeloupe
Photo Judes Foulard

« Valombreuse, c’est l’association des mots vallon et ombragé »

Rien ne prédestinait la pointoise à Valombreuse. Une petite annonce vue sur France-Antilles, deux années plus tôt, a changé sa vie à tout jamais. « Nous étions jeunes mariés avec Henri. Nous avons eu un coup de cœur. Nous sommes tombés amoureux en découvrant ce terrain horticole qui était à vendre sur Petit-Bourg. » Sans vraiment de moyens, le couple — il est employé dans une quincaillerie, elle est secrétaire à la Société immobilière de Guadeloupe — acquiert la confiance d’un banquier. Un pari fou. 

« On ne doit pas me féliciter pour ce que j’ai fait. Je me suis fait plaisir. Je dis souvent que je n’ai pas travaillé. C’est un cadeau à moi-même. »

Pionnière

Magguy ambitionne de développer la culture de la fleur tropicale. D’abord sur son territoire. Un combat. « Les fleuristes n’achetaient pas nos fleurs des Antilles. Je me suis fait reprocher, par exemple, de mettre sur une gerbe mortuaire des fleurs tropicales. Ce qui vient du jardin, ce n’est pas assez significatif. Et quand j’ai souhaité transformer une partie de l’exploitation en parc floral, des années plus tard, on m’a dit que j’avais des idées folles ! »

Qu’à cela ne tienne, Magguy se plonge dans les livres de botanique, les accumule, et part à la recherche de plantes dans les iles voisines. « Je suis revenue avec deux containers de Porto Rico », se souvient-elle. Cinq hectares sur les treize de l’exploitation seront alors aménagés à la visite. « Le terme de parc floral était galvaudé. Chaque distillerie avait son parc, chaque gîte qui se créait avait son parc… Ce n’est pas ce que je voulais. Cette image me gênait. Car, chaque plante a une vie. Chaque plante a une histoire. Chaque plante a une origine. J’imaginais un parc floral tel que je l’ai créé. »

Jardin de Valombreuse - Guadeloupe
Photo Judes Foulard

Portée par sa passion — qu’elle n’arrive pas réellement à s’expliquer —, jonglant entre les papiers de la SIG la semaine et la terre de l’exploitation le week-end, Magguy lance la vente de fleurs par correspondance. Un exploit. « Nous avons été les premiers, par l’intermédiaire de Chronopost, à faire de la distribution de fleurs. À l’époque, ça prenait une semaine. Je déposais, tous les lundis, les cartons au Raizet. » Le succès est immédiat. Le rythme hebdomadaire passe très rapidement en quotidien.

« Nous avons été les premiers, par l’intermédiaire de Chronopost, à faire de la distribution de fleurs. Je déposais, tous les lundis, les cartons au Raizet. »

Redoutables cyclones

Rien ne semble arrêter cette mère de deux enfants, qu’elle met dans le bain « par la force des choses ». Dès le petit matin, au réveil des oiseaux, elle repense son jardin. Déplace sans cesse les plantes pour mieux les mettre en valeur. 

Les coups bas porteront les noms d’Hugo, Marilyn, José, Maria. « Tous les ans, ce sont des périodes de hantise. C’est impossible de mettre à l’abri toutes les plantes. On en couche certaines, on en dégrafe d’autres. En 1989, nous avons perdu beaucoup d’arbres. Le cyclone a tournoyé un long moment au-dessus de la cuvette. » Un mal pour un bien. Hugo sera le déclencheur de la création du parc. 

« Dès novembre 1989, nous commencions les travaux. Avec Maria… Quelle horreur… On aurait cru à un massacre. » Aujourd’hui, plus aucun stigmate ne laisse deviner les dégâts causés. « Le jour-même, on a commencé à dégager. On a travaillé jusqu’à 17 heures par jour. Des journées entières à couper, à tronçonner, à transporter les branches pour aller les jeter. »  

Jardin de Valombreuse - Guadeloupe
Photo Judes Foulard

Au nom de la nature et de ses fleurs qu’elle chérit tant, Magguy s’est battue pour Valombreuse. Pour que chacun acquiert, aussi et surtout, une démarche de propreté. « Il y a trente ans, mon parc était une poubelle. Aujourd’hui, les enfants sont beaucoup plus respectueux de la nature. » Une réussite pour celle qui dit avoir passé sa vie « enfermée dans la forêt ». Cette forêt dans laquelle elle se ressource, pour méditer, pour continuer à rêver. « On a toujours des rêves. À soixante-quatorze ans, je n’ai pas fini d’en avoir. »

« On a toujours des rêves. À 74 ans, je n’ai pas fini d’en avoir. »

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