Son monde, « je suis de l’arrière-pays », le monde de ceux qui « vivent avec les contes, le soleil et la lune », c’est ce monde-là que l’auteure de Pluie et Vent sur Télumée Miracle s’est engagée à raconter au reste du monde. – Texte Willy Gassion – Photo Jude Foulard

Écrire c’est donner sa vision du monde, dès lors l’écriture n’est-elle pas une forme d’engagement ? 

Je pense que l’écriture est un engagement total, cela signifie qu’on a vu, reçu, perçu, deviné certains traits qui font partie de vous-même en tant qu’être surgit d’une certaine terre, d’une certaine histoire, de certains milieux, de certains parents… un être engagé dans une histoire en train de se faire. On doit donc pouvoir la ressentir, la poursuivre et la transmettre.

Mon écriture est engagée parce que ce que j’avais envie de lire de nous, de moi, je ne le trouvais pas, et quand par hasard je trouvais des similitudes de personnages dans un ouvrage, je ne trouvais pas le vocabulaire, le langage que j’aurais aimé entendre et que je connaissais.

L'écrivain Simone Schwarz-Bart
Photo Jude Foulard

« Mon écriture est engagée parce que ce que j’avais envie de lire de nous, de moi, je ne le trouvais pas, et je ne trouvais pas le vocabulaire, le langage que j’aurais aimé entendre et que je connaissais. »

C’est tout cela qui est entré dans la composante de mon écriture, parce que quand j’ai commencé à écrire, j’ai tout de suite été dans ce qui m’avait toujours fascinée quand j’étais enfant : les personnes de la campagne vivant avec la nature, les contes, le soleil et la lune. C’étaient des gens qui n’avaient même pas été répertoriés à l’état civil, ils étaient donc inexistants, cependant ils savaient qu’ils existaient, ils n’avaient pas besoin d’état civil pour leur dire qu’ils existaient parce qu’il y avait une reconnaissance dans ce milieu des talents visibles, cachés et feinteurs.

C’est à partir de cette monnaie étalon que j’ai construit toute mon œuvre, et que par la suite j’ai pu parcourir le monde en ayant mes propres références. Ce n’était pas pour moi de la littérature, c’étaient tout simplement des hommages que je rendais à ceux qui m’avaient aidée à me construire face au monde, c’était ça pour moi le plus important.

Je parle d’engagement parce qu’il y avait un combat à mener, chaque artiste a son propre combat, le mien justement c’était de porter ce monde au monde, à d’autres mondes, de le greffer au monde existant. 

« Toucher l’âme des gens, les amener à ressentir ce que vivent vos personnages, c’est cela qu’il faut viser. C’est le combat ultime de l’écrivain. »

En donnant une existence à des gens « qui n’avaient même pas été répertoriés à l’état civil », ne chargez-vous pas votre écriture d’une dimension politique ?

Il y a plusieurs façons de faire de la politique, la mienne, c’est cet engagement auprès de ces personnes. Elles m’ont dit : on te charge de récupérer ce que tu sais de notre existence et de le transmettre. Ça n’a pas été une chose simple, il a fallu que j’invente mon propre modèle et que j’aille dans ce qu’on a appelé plus tard la créolité. Je sentais que ces personnes étaient tellement grandes, elles avaient si bien compris le sens essentiel de l’existence, qu’il fallait restituer, aussi près que possible, ce que j’avais perçu.

Quoi qu’on puisse dire, ces personnages sont le cœur de la Guadeloupe parce qu’ils ont posé leur principe de lutte contre la négligence qu’on avait vis-à-vis d’eux de les tenir pour des êtres à part entière et des êtres pensants. Alors que oui ! c’étaient des humains, mais les humains sont divisés par eux-mêmes, entre eux-mêmes par le fait que l’Homme est l’Homme.

Il faut considérer ceux qui souffrent et leur donner un petit peu de compassion. Toucher l’âme des gens, les amener à ressentir ce que vivent vos personnages, c’est cela qu’il faut viser. C’est le combat ultime de l’écrivain. 

« On enchante le monde, on enchante la vie même quand elle est invivable, c’est cette force-là que je tire des contes qui m’ont été dits, c’est un refus de transmettre la souffrance. »

Qu’est-ce qui fait de vous une Guadeloupéenne ?

Ce sont des choses très subtiles, des petites recettes de rien, une façon d’être, ce que j’ai reçu de ce monde premier, qui font de moi une Guadeloupéenne. C’est cela qui fait qu’on devient enchanteur soi-même. On enchante le monde, on enchante la vie même quand elle est invivable, c’est cette force-là que je tire des contes qui m’ont été dits, c’est un refus de transmettre la souffrance.

Ce qui me différencie, c’est cette espèce de joie, ce n’est pas une joie béate mais une espèce de volonté. On ne nous enlèvera pas ça, on ne m’enlèvera pas ça, je vais lutter pour conserver ma joie et je vais danser pour conserver ma joie, je ferai de la musique pour conserver ma joie, je vais rester en silence pour conserver ma joie, et je vais vous maudire en conservant ma joie.

C’est une joie philosophique et intrinsèque à toute notre histoire, à toutes les diasporas qui découlent de l’Afrique, je sais quelle joie je poursuis pour rester moi-même. C’est cela mon défi, rester moi-même. 

« Je vais lutter pour conserver ma joie et je vais danser pour conserver ma joie, je ferai de la musique pour conserver ma joie, je vais rester en silence pour conserver ma joie, et je vais vous maudire en conservant ma joie. »

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