Artiste-passeur de matières hors pair, son parcours artistique de plasticienne hors norme et ses fulgurances conceptuelles de chercheuse hors frontières imposent Valéry John en figure de proue pionnière, nourrie d’influences afro-caribéennes à haute valeur identitaire ajoutée. – Texte Daniel Rollé

« L’art est un moyen permettant de fonder une société et d’en reconnaître les propriétés », rappelait sobrement Valéry John dans le catalogue de sa dernière exposition en terre natale, “Écriture(s) liminaire(s)”, à la Fondation Clément (22 septembre au 11 novembre 2021). Un moyen frondeur d’aller à la rencontre de soi en s’affranchissant des modélisations post-coloniales en terres tropicales de référence, pour repenser un espace de créations plurielles, en « marqueur d’une altérité comme alternative à la mondialisation. »

Valéry John, artiste plasticienne martiniquaise

« L’art est un moyen permettant de fonder une société et d’en reconnaître les propriétés. »

Le pagne, un référent-palimpseste pionnier

Le pagne, pour Valéry John, c’est cette étoffe-totem qui témoigne de sa créativité foisonnante siglée “mes-tissages”, « faite de fibres, de fils pouvant être formée par entrelacement. » Il nourrit de longue mémoire son inspiration-rhizome et confère à ses œuvres leur quasi-tessiture visuelle, impossible à ressentir pleinement sans invoquer sa présence-palimpseste, immatérielle mais fascinatrice, en filigrane.

Émérite et inspirée, sa chantre plasticienne avoue l’avoir rencontré au Sénégal, en Afrique, où elle s’est ancrée quelques années pour une immersion fondatrice de belle mémoire. Une rencontre décisive en un lieu chargé de signifiances émotionnelles, où cette matière (première) d’Afrique signe en creux, désormais, sa production artistique en un « juste et éclairé retour » aux sources, malgré son absence physique.

Valéry John “fait tout elle-même”. Elle produit son art au moyen du papier (fait de fibres végétales également) qu’elle découpe, restructure, recompose et tisse, le ramenant à une vie autre. « Ses fibres de papier tissées, ses pans disparates cousus les uns aux autres jusqu’à former un ensemble concret, sa couleur teinturée, pigmentée, ses signes tracés dénotent une parole juste » et confèrent à ses œuvres une identité rhizomique nouvelle, rebelle, pleinement assumée, au cœur de ce Tout-monde cher à Édouard Glissant.

Valéry John, artiste plasticienne martiniquaise

Tisser, inlassablement, consubstantiellement

Entrons en pensée dans le lieu où se tisse l’acte créateur. Notre intuition de profane submergé d’émotions inédites, de ressentis frémissants au spectacle de ses installations “texte(s)-île(s)” : s’immerger avec Valérie John dans son “atelier-œuvre”, ce lieu où, par l’entremise d’un inédit “métier à tisser”, se multiplient les gestes, s’agencent les matières, dans l’antre métaphysique, quasi mystique où s’opère la métamorphose.

Le credo procréateur de Valéry John ? « Se vouloir anthropologue de soi-même, s’ouvrir à toutes les mémoires et tisser. » Inlassablement, en pleine conscience, pour donner une substance poétique autre, finement intériorisée, à l’acte de créer et initier nos esprits de regardeurs complices à cette dimension spirituelle de l’œuvre qui interpelle nos mémoires et appelle nos sens, en silence…

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