Les territoires insulaires face au changement climatique : l’alerte du GIEC

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Axelle Dorville

Le second volet du 6e rapport du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) consacré à la thématique « Impacts, vulnérabilité et adaptation » met largement en évidence les risques qui pèsent sur les « Petites îles », autrement dit nos territoires d’outre-mer. Le tableau dressé par les auteurs mérite que l’on s’y attarde. Neuf risques majeurs sont exposés. À quoi devrons-nous faire face exactement ? Explications. – Texte Axelle Dorville

Les auteurs du chapitre 15 « Petites îles » du second volet du dernier rapport du GIEC (publié le 28 février dernier), parmi lesquels Virginie Duvat, professeure à l’université de La Rochelle et contributrice pour les îles françaises, ont identifié pas moins de neuf menaces auxquelles nous seront confrontés d’ici les prochaines années. Elles s’expliquent par l’action conjuguée de changements graduels de notre environnement ainsi que d’événements climatiques ponctuels mais majeurs, qui se produiront entre épisodes de sécheresse, ouragans – rares mais puissants –, vagues de submersion et inondations. 

Il y a alors de fortes probabilités que nous assistions à une perte de la biodiversité marine, côtière et terrestre de nos îles ainsi que des services écosystémiques associés. Les mangroves, par exemple, réduisent de 31% la hauteur des vagues de tempête ; c’est dire leur intérêt crucial pour la protection des populations et des enjeux situés sur le littoral.

La diminution de la ressource en eau, la destruction d’infrastructures essentielles, la dégradation des activités de subsistance et le déclin économique (qui pourraient découler du réchauffement climatique) mettent directement en péril notre capacité à vivre et à habiter sur nos territoires. 

« L’incursion de l’eau de mer dans les terres sera responsable de la salinisation des sols qui aura un impact direct sur l’agriculture, ainsi que sur la qualité de la ressource en eau souterraine. »

Des territoires climato-sensibles

Qu’on se le dise : la Martinique, la Guadeloupe, les Îles du Nord, et plus généralement les territoires insulaires tropicaux, sont particulièrement à risque face au changement climatique. Et il y a trois raisons à cela :

  • L’exposition face aux pressions océaniques
  • La dépendance aux écosystèmes marins et côtiers
  • L’isolement géographique lors d’événements naturels destructeurs

Bien que les reliefs marqués de nos territoires et d’une partie de la Caraïbe, procurent une relative sécurité face au risque de submersion, force est de constater que l’aménagement du territoire s’est surtout concentré sur les littoraux et dans les plaines côtières qui ont été largement urbanisés, voire même dégradés, en dépit des alertes répétées. 

Nous pouvons à ce titre prendre l’exemple de l’île de Saint-Martin, dont le littoral rural préservé assurait la protection des habitants jusqu’à ce que la loi Pons, relative à la défiscalisation, n’entraîne une urbanisation brutale à partir de 1986, et donc une concentration des populations et de l’activité économique, sur une zone devenue à risque. Les effets des ouragans Irma et Maria en 2017 n’en ont alors été que plus dévastateurs pour ce territoire. 

Pour prendre la pleine mesure des conséquences à venir, faisons un petit topo. Sous l’effet de l’élévation du niveau de la mer et de l’érosion du littoral, d’ores et déjà en cours, les plaines côtières de Guadeloupe et de Martinique – qui concentrent zones d’activité économique et habitations –, se retrouveront de plus en plus sous l’eau. La zone portuaire et industrielle de Jarry et une partie de la ville de Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, situées à de très basses altitudes (moins de 50 cm par endroits), subira ainsi des submersions chroniques répétées (à marée haute, sans situation de tempête) à partir de 2030, qui pourraient devenir critiques dans la seconde moitié de ce siècle. Cela redessinera nos littoraux et réduira par là même notre capacité à y habiter, à y travailler et y vivre. 

Cette incursion de l’eau de mer dans les terres sera, par ailleurs, responsable de la salinisation des sols qui aura un impact direct sur l’agriculture, ainsi que sur la qualité de la ressource en eau souterraine. Des pénuries à la fois alimentaires et hydriques pourraient alors se produire. Le renforcement des phénomènes cycloniques provoquera, à coup sûr, des inondations, voire des glissements de terrain, posant un risque direct pour la sécurité des populations. Cette surabondance d’eau en période cyclonique pourrait d’autre part, par une chaîne de conséquences, augmenter le risque de maladies d’origine hydrique

« Il faudrait prioritairement s’atteler à préserver les écosystèmes marins et côtiers qui constituent une véritable barrière de protection pour les zones littorales aménagées. »

« Absorber, gérer, se relever des crises climatiques »

Les impacts et vulnérabilités ayant été posés, qu’en est-il de l’adaptation ? En quoi pourrait consister la transition nécessaire pour protéger les Antilles françaises des risques qui se produiront à mesure de l’emballement du climat ? « Le défi qui se présente pour les îles d’Outre-mer est à la fois de parvenir à absorber, gérer et se relever des crises climatiques », explique Virginie Duvat, co-auteure des rapports du GIEC, spécialiste des petites îles. 

Il faudrait prioritairement s’atteler à préserver les écosystèmes marins et côtiers qui constituent une véritable barrière de protection pour les zones littorales aménagées. Les récifs coralliens qui absorbent l’énergie des vagues, les herbiers marins qui fixent le sable, les mangroves qui limitent l’intrusion marine dans les terres, constituent un continuum écologique indispensable pour amortir l’impact des vagues de tempête et limiter l’érosion du littoral. Les préserver nécessite à la fois d’éviter leur dégradation future et de contribuer à limiter le réchauffement climatique, aussi responsable de la destruction des coraux, entre autres changements écologiques.

Sur terre, la reforestation, la restauration des zones humides telles que les marais, l’agroforesterie ou l’agriculture durable sont autant de pratiques fondées sur la nature permettant, elles aussi, de préserver la zone tampon du littoral, et in fine, le territoire, aussi longtemps que possible. Mais cela ne suffira sans doute pas.

Des solutions d’adaptation plus radicales doivent être envisagées pour la seconde moitié du siècle, telles que la relocalisation dans des zones intérieures plus sûres, des populations et activités qui ne peuvent être protégées par les moyens actuels. Dans le Pacifique, par exemple les Tuamotu en Polynésie française, où les îles basses des atolls sont réellement menacées de disparition, des dispositifs de surélévation des terres ainsi que de l’habitat sont actuellement expérimentés, tant que l’élévation du niveau de la mer permettra aux populations de rester sur place.  

« La mise en place d’une stratégie ambitieuse et adaptée aux enjeux locaux, qui puisse s’appuyer sur des solutions évolutives à mesure que les risques s’intensifieront, est plus que jamais nécessaire »

La deuxième mesure importante reste de sensibiliser et d’impliquer les populations, ainsi que de fournir les moyens de gouvernance adéquats, afin de concevoir, de façon concertée, des solutions adaptées aux spécificités des différentes régions, aux besoins des populations et aux enjeux des territoires. C’est en ce sens qu’a été conçu le programme ADAPTOM, coordonné par Virginie Duvat et Alain Brondeau du Conservatoire du littoral, afin de recenser, d’évaluer et de valoriser les Solutions fondées sur la Nature mises en place dans les Outre-mer insulaires tropicaux habités, en lien avec les populations et les acteurs de terrain des différents territoires. « La mise en place d’une stratégie ambitieuse et adaptée aux enjeux locaux, qui puisse s’appuyer sur des solutions évolutives à mesure que les risques s’intensifieront, est plus que jamais nécessaire », résume Virginie Duvat.

Le GIEC, quésaco ?

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a été créé en 1988 par l’Organisation météorologique mondiale et le Programme des Nations unies pour l’environnement. Son objectif : fournir des évaluations détaillées sur les changements climatiques, leurs causes, leurs répercussions et proposer des stratégies de parade.

Le GIEC produit, tous les 5 à 8 ans, des rapports d’évaluation sur l’état des connaissances sur les changements climatiques. Le 4 avril 2022, les experts du climat ont publié un nouveau rapport consacré aux solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Les préconisations répondent à l’Accord de Paris de 2015 où il était question de limiter le réchauffement climatique à 1,5° C.

Qu’est-ce que le programme ADAPTOM ?

En matière de gestion du trait de côte, il est à la fois possible de se reposer sur des Solutions fondées sur la Nature (dites SfN) comme sur des ouvrages d’ingénierie tels que la mise en place d’enrochements, de digues ou l’implantation de murs de défense. 

Issu d’un groupement d’acteurs (services de l’État, collectivités, chercheurs, associations, députés, sénateurs…) convaincus du bien-fondé des SfN face aux solutions d’ingénierie pouvant être à l’origine de situations de mal adaptation, le programme ADAPTOM cherche à identifier les bonnes pratiques afin de faciliter leur utilisation dans l’Outre-mer pour une adaptation efficace au changement climatique. 

Pour ce faire, ADAPTOM ambitionne la mise en place d’un catalogue des SfN expérimentées, ainsi que la production d’un guide méthodologique à destination des décideurs locaux.

5 exemples de SfN, solutions fondées sur la nature

1 – La désimperméabilisation des sols, afin de faciliter l’infiltration des eaux de ruissellement dans le sol, et ainsi réduire le risque d’inondation.

2 – La restauration des mangroves dégradées, avec pour objectif de limiter les submersions marines. Cette solution est notamment expérimentée dans la zone de l’Étang Z’abricot, en Martinique, où une néo-mangrove va être développée. 

3 – Le recul d’ouvrages situés sur le littoral afin de recréer une zone tampon entre la mer et les espaces urbanisés, une solution envisagée par la commune du Prêcheur en Martinique. 

4 – L’implantation de banquettes végétalisées sur les berges des cours d’eau afin d’optimiser la capacité de stockage de l’eau lors des crues. 

5 – De façon générale, la végétalisation  (par exemple des hauts de plage à anse Clugny ou Maurice en Guadeloupe) qui permet non seulement de diminuer les phénomènes d’érosion et donc le risque de départs de terre, mais aussi de restaurer la biodiversité des zones visées.

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