Harry Méphon, ancien athlète de haut niveau, désormais coach sportif, a fait du sport une passion à tous les niveaux. Le Guadeloupéen, sociologue du sport, apporte un éclairage sur l’histoire, la culture et les valeurs du sport aux Antilles-Guyane. Le rôle social de cette « seconde famille », le rôle aussi de levier pour nos territoires. Entretien. Texte Anne-Laure Labenne

La culture du sport aux Antilles-Guyane s’exprimerait par une “histoire d’excellence”. Quel regard portez-vous sur cette affirmation ?

Il faut avant tout remettre les mots dans leur contexte. Sur chaque territoire, le sport a été diffusé de manière très précise, ni au même rythme ni au même moment, et n’a pas produit les mêmes effets. Ce mot “excellence” est un terme qui correspond à une image du temps. Car l’histoire de la culture du sport aux Antilles-Guyane, c’est d’abord une quête d’affirmation de soi et de défi.

Les sociétés dans lesquelles se diffusent les sports se font principalement sous domination coloniale, là où les hommes ont peu de champ d’expression. De ce fait, l’expression corporelle est relativement forte pour se faire reconnaître. La société esclavagiste a créé une société très compétitive. De cette quête identitaire, nous sommes passés à une quête de reconnaissance, une quête permanente de défi de l’autre. Ce n’est pas tant une question d’histoire d’excellence, c’est réellement donner le goût au sport, dans un contexte compétitif, dans lequel on aime défier les autres en permanence. L’excellence vient bien plus tard, c’est une notion beaucoup plus moderne que j’associerais aux effets de la départementalisation de nos territoires. 

« L’histoire de la culture du sport aux Antilles-Guyane, c’est d’abord une quête d’affirmation de soi et de défi. »

Comment expliquez-vous la forte proportion de sportifs antillo-guyanais dans les équipes nationales (1) ?

À partir des années 1960-1970, avec les effets migratoires du Bumidom, on constate un afflux de sportifs Martiniquais, Guadeloupéens, Guyanais dans les structures nationales. Les résultats de ces sportifs ultramarins – qui raflent des titres – sont de plus en plus médiatisés. Ce que l’on observe, c’est qu’ils apportent une image relativement forte et une certaine aura à la France.

Les jeunes antillo-guyanais, dès lors qu’ils arrivent en France, sont tout de suite performants. C’est aussi pour eux un moyen de trouver des formes d’adaptation et d’assimilation. Et à travers la performance corporelle, pouvoir exceller là où les Français n’y arrivaient pas… L’opinion publique, tant sur le plan local que national, fait caisse de résonnance. La presse et les médias leur donnent alors une attention toute particulière.

« C’est quelque chose de très, très fort de voir une de ses compatriotes briller. Cela vous galvanise, vous transcende et fait grand bien. »

On observe toujours une immense ferveur populaire sur nos territoires lors des grands événements sportifs ; des athlètes accueillis en véritable héros lors des retours au pays, comment cela s’explique-t-il ?

Je me souviens de la première image du sport que j’ai eue, c’était en 1968. J’étais en France et mes parents m’ont dit : « Viens voir, il y a un Guadeloupéen qui court à la télé. » J’avais 10 ans, c’était la première fois que j’entendais le nom de Bambuck. Pour mes parents, émigrés en France, cela a provoqué une immense fierté et une forme d’identification. 

À titre personnel, j’ai accompagné Marie-José Pérec sur tous ses sacres, sauf celui de Tokyo, et c’est quelque chose de très, très fort de voir une de ses compatriotes briller. Cela vous galvanise, vous transcende et fait grand bien. Ce bien-être social, c’est la fonction essentielle du sport. C’est quelque chose dans lequel on s’identifie. Les hommes ont besoin de ça, nos sociétés et territoires aussi.

« Les associations sportives ont avant tout un rôle social. Pendant de longues années, ce sont elles qui étaient “école de la vie” et qui en plus du sport, avaient un rôle d’éducation et de valeurs. »

Malgré tout, nos territoires souffrent d’un déficit d’installations sportives (2)…

Ce manque chronique est dénoncé depuis des années… Il faut maintenant dépasser le constat. Les infrastructures sportives sont dans un état vétuste et c’est surtout lié à un mauvais entretien. Il y a aujourd’hui une autre volonté qui est de donner aux territoires des équipements qui sont aux normes et référencés, telle la piste 2.0 connectée du Creps de Guadeloupe, de très haute performance.

Nous devons donner à nos territoires des équipements structurants et ne plus faire pour faire. Car, trop longtemps et trop souvent, les infrastructures ont été conçues en dehors des normes réglementaires. Par exemple, en Guadeloupe, aucun stade n’a été construit avec une tribune circulaire, alors que la définition même d’un stade, c’est l’arène. Désormais, nous nous devons de faire des projets en conformité avec les normes de fabrication des fédérations fédérales et sportives. 

La fameuse excellence dont on parlait est aussi valable pour les structures et le choix des matériaux et leur gestion. J’entends souvent : « il n’y a pas de résultats car nos installations sportives sont désuètes ». À cela, je réponds : « ce n’est pas l’installation qui fait le résultat, mais tout le projet qu’il y a autour et sa qualité ». Il faut définir ce que nous faisons de ces infrastructures et pour quel type d’usage. Une infrastructure, comme pour tout, doit être pilotée et managée, doit entrer dans un projet structurant et être mis à la disposition de projets sportifs ambitieux. Actuellement, il n’y a pas de plein emploi de celles-ci. Une réflexion doit se faire. 

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Quelles places tiennent aujourd’hui les associations sportives dans l’apprentissage de la vie ?

Elles ont avant tout un rôle social. Il y a eu, pendant de longues années, les ASC, les associations sportives et culturelles, qui ont tenu une place majeure sur nos territoires. Ce sont elles qui étaient “école de la vie”. Elles présentaient un ensemble d’activités culturelles, en plus du sport, et avaient un rôle d’éducation et de valeurs. Aujourd’hui, il y a une multiplication de structures qui se sont faites au détriment du mouvement associatif. L’enjeu essentiel, c’est l’encadrement et les valeurs transmises. Quand on met son enfant dans un club, il faut se poser la question suivante : est-il entre les mains d’experts pour apprendre des techniques et des tactiques ou est-ce du gardiennage ? 

(1) À Rio en 2016, aux Jeux olympiques, les sportifs d’outre-mer représentaient près de 12 % de la délégation française et 19 % des médaillés (17 Ultramarins sur le podium).

(2) Selon les chiffres du sport de l’INJEP, en 2020, en France, on comptabilise 46 équipements sportifs, sites et espaces de sports de nature pour 10 000 habitants. Ce chiffre descend à 31 en Guadeloupe, 26,7 en Martinique et 29,3 en Guyane.

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