Alors qu’on crée toujours beaucoup d’entreprises aux Antilles-Guyane, un nouveau modèle et une meilleure préparation semblent indispensables. Entretien croisé avec les représentants de la CCI Martinique, Guadeloupe et Guyane. Texte Axelle Dorville

Le nombre important de défaillances d’entreprises après 3 ou 5 ans d’existence a longtemps été un point faible de nos territoires. Ces chiffres se sont-ils améliorés ? 

Cédric Angole, conseiller d’entreprise (CCI Guadeloupe) : Oui, nous nous situons dans la moyenne des défaillances observées au niveau national. Entre 30 et 40 % des entreprises ne sont ainsi plus en activité après 3 ans, du fait de la faiblesse des fonds propres qui les fragilisent dès le départ, du manque de formation et de connaissance métier, ainsi que de difficultés en gestion administrative.

Miguel Radom, responsable du Pôle Création/Reprise (CCI Martinique) : Les niveaux de défaillance observés sont en effet similaires à ceux de l’Hexagone, avec 1/3 des entreprises qui disparaissent après 3 ans et 57 % après 5 ans. Le principal problème est que nos entreprises ne grossissent pas assez, c’est-à-dire qu’elles n’atteignent pas la taille critique pour permettre à leurs dirigeants de vivre et de disposer de fonds propres pour faire face aux chocs et se développer. Il y a plusieurs raisons à cela : l’étroitesse des marchés, la baisse et le vieillissement de la population, la concentration de certains secteurs dans lesquels il est difficile de se faire sa place, ainsi que l’absence de collaboration. Il est pourtant statistiquement prouvé que les entreprises ayant des dirigeants associés se développent mieux que lorsque le dirigeant est seul. 

Franck Vieillot, responsable Pôle Entreprises et Territoires (CCI Guyane) : Alors que nos entreprises tendaient à disparaître entre 3 et 5 ans, nous constatons qu’elles atteignent aujourd’hui une durée de vie supérieure. La faible capacité de financement ainsi que la difficulté à transmettre son entreprise sont les principales causes observées de défaillance et de radiation. 

« L’expérience entrepreneuriale avorte souvent à très court terme car le cadre législatif national de la micro-entreprise n’est pas toujours calibré par rapport à la réalité des entreprises locales. »

Qu’est-ce qui est le plus difficile pour les entrepreneurs ? 

M.R. (CCI Martinique) : La principale difficulté tient à la gestion de la main d’œuvre. Alors que les entreprises doivent s’entourer des bonnes ressources humaines pour se développer en phase de croissance, elles n’ont souvent pas les reins assez solides pour recruter. C’est le serpent qui se mord la queue. 

Claude-Henri Saint-André, assistant technique au commerce (CCI Guadeloupe) : L’expérience entrepreneuriale avorte souvent à très court terme car le cadre législatif national de la micro-entreprise n’est pas toujours calibré par rapport à la réalité des entreprises locales, qui doivent composer avec un marché étroit et de faibles moyens. Pour durer, les porteurs de projet sont donc contraints de trouver un modèle économique hybride et de se réinventer en permanence, tout en étant dans l’urgence de subvenir à leurs besoins. 

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De quoi le territoire et notre tissu économique ont-ils le plus besoin : davantage de création ? de reprise ? de transmission ? 

F.V. (CCI Guyane) : Alors que la difficulté à transmettre est une raison majeure des radiations, la reprise représente une vraie opportunité. Il est ainsi plus sécurisé et sécurisant de reprendre une entreprise qui a déjà fait ses preuves, qui a un historique et une clientèle. 

M.R. (CCI Martinique) : En reprise, il n’y a pas ce passage à vide de 2 ans avant de pouvoir se rémunérer. La reprise se finance d’ailleurs beaucoup mieux que la création. 7 dossiers de demande de financement sur 10 obtiennent une réponse positive lorsqu’il s’agit d’un projet de reprise, tandis que seuls 3 dossiers de création sur 10 seront financés. 

« Nos entrepreneurs ont du mal à atteindre la phase de croissance en raison d’une trop faible préparation à l’aventure entrepreneuriale. »

Quelle est l’étape la plus importante à vos yeux pour les créateurs d’entreprise ? 

F.V. (CCI Guyane) : Nos entrepreneurs ont du mal à atteindre la phase de croissance en raison d’une trop faible préparation à l’aventure entrepreneuriale. Ils mettent souvent la charrue avant les bœufs et s’inscrivent au CFE sans avoir réalisé d’étude de marché, de prévisionnel financier et de business plan, afin de déterminer leur concept, de définir leur stratégie et leur vision à long terme, d’évaluer leurs moyens, de fixer leur objectif de chiffre d’affaires, d’avoir une idée claire des charges à payer, ainsi que d’identifier leurs besoins en formation. C’est à la fois l’étape la plus importante et la plus négligée par les porteurs de projet.

Peut-on définir quel secteur ou quel type d’activité sera le plus porteur dans les prochains mois et années ? 

F.V. (CCI Guyane) : Par rapport à 2020, nous observons une vitesse de croissance de plus de 200% dans les secteurs de la formation continue d’adultes, du commerce de gros non spécialisé, de la promotion immobilière de logement et de la livraison. 

M.R. (CCI Martinique) : Il y aura à coup sûr davantage de besoins dans le secteur des services à la personne, avec des offres telles que la livraison de courses, le portage de repas, l’aide-ménagère… Ce secteur ne pourra toutefois être porteur qu’à condition qu’une vraie politique de territoire soit menée, en raison des faibles ressources de nos aînés. Nous observons également une reprise du secteur touristique avec notamment le développement des meublés de tourisme. 

« Nous avons du mal à nous faire confiance dans le milieu des affaires, alors qu’utiliser des compétences croisées et mutualiser les capitaux et les énergies pourrait permettre d’entrer dans une logique gagnant-gagnant. »

Quand on regarde nos difficultés structurelles (étroitesse du marché et faible concurrence), le modèle traditionnel de l’entreprise est-il à réinventer ? 

M.R. (CCI Martinique) : Il y a sans doute un enjeu dans la création de filières, qui permettraient de structurer des secteurs d’activités de l’amont à l’aval, en créant une interconnexion entre les acteurs. Nous avons cependant du mal à nous faire confiance dans le milieu des affaires, alors qu’utiliser des compétences croisées et mutualiser les capitaux et les énergies pourrait permettre d’entrer dans une logique gagnant-gagnant. L’enjeu est réellement de travailler ensemble. 

Sylvine Nemorin, Responsable du Pôle Création/Reprise (CCI Guadeloupe) : Nous avons mené une expérience concluante sur les emplois partagés au cours de laquelle un commercial travaillait sur un ensemble de 3-4 entreprises avec un partage du salaire. Nous n’avons d’autres choix que de nous orienter vers ce modèle partenarial si l’on veut pouvoir pérenniser les activités et entreprises du territoire.

F.V. (CCI Guyane) : Sur un marché avec peu d’acteurs économiques, il est pertinent de se mettre ensemble pour obtenir gain de cause. La solidarité a sans aucun doute un rôle à jouer.

Les chiffres de la création d’entreprises aux Antilles-Guyane

Guadeloupe 
L’augmentation de créations constatée pendant la pandémie se poursuit : +56 % entre 2020 et 2021.

Guyane
En augmentation de 18,6 % entre 2021 et 2022, en particulier + 3,8 % pour les microentreprises. En 2022, les petites structures représentent près de 50 % des créations d’entreprises. 

Martinique
La forte reprise des créations d’entreprises observée entre 2020 et 2021 (+ 48%) se poursuit en 2022, avec 3 029 établissements créés au cours du seul 1er semestre. Face à un chômage structurel de l’ordre de 20 %, c’est le signe d’une grande capacité de résilience pour ceux qui font le choix de la reconversion par l’entrepreneuriat.