Comment les entreprises s’adaptent aux enjeux de développement durable ? Le bilan carbone est un point de départ mais la démarche rencontre encore peu de succès aux Antilles et en Guyane. Les entreprises se mobilisent différemment.

Texte Yva Gelin

Le bilan carbone, tel qu’élaboré par l’Agence de la transition écologique (ADEME), est une méthodologie de comptabilité qui permet d’identifier les émissions globales de CO2 d’une entreprise, en lien aussi bien avec l’électricité, l’eau, les transports… « Il faut comprendre », précise Isabelle Lise, responsable du pôle Environnement, Transition énergétique et développement durable à la CCI Martinique, « que toutes les activités humaines, toutes les activités économiques vont générer des gaz à effet de serre ». Au bilan carbone donc de les comptabiliser pour poser un état de lieu de départ.

« Des » bilans carbones

Depuis le 1er janvier 2023, les entreprises ultramarines de plus de 250 salariés sont soumises à une obligation de bilan carbone, et toutes les entreprises de 50 salariés, qui ont bénéficié du plan France Relance, sont également concernées. Les données présentes dans le bilan carbone doivent être ensuite réactualisées tous les 4 ans.

En tout, il existe quatre types de bilan carbone : opérationnel, qui fait le point sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) issues des activités d’une entreprise ; le bilan carbone lié aux produits fabriqués qui analyse les GES de tout le cycle de vie d’un produit d’une entreprise ; le bilan territorial qui évalue les GES d’une entreprise à l’échelle de son territoire et enfin le bilan carbone projet qui calcule les GES pour un projet particulier que peut avoir une entreprise. En parallèle, un bilan carbone se différencie en fonction de trois « scope » différents : le scope 1 concerne les émissions directes ; scope 2, les émissions liées aux productions d’énergie de l’entreprise et enfin scope 3 pour les GES générées indirectement par l’entreprise. « On parle aussi de BEGES ou bilan des émissions de gaz à effet de serre, car le terme “bilan carbone” est une marque déposée », rappelle Isabelle Lise. Faire un bilan carbone revient donc à comptabiliser ses émissions afin de faire de meilleurs choix par la suite. Dans cette démarche, des acteurs comme la CCI peuvent aider à la rédaction d’un cahier des charges qui permet ensuite d’effectuer le bilan carbone approprié avec des bureaux d’études qualifiés. Le bilan carbone est une démarche globale par laquelle toute entreprise peut repenser tous les aspects de ses fonctionnements émetteurs de GES.

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Bilan carbone peu populaire

Le nombre d’entreprises touchées par l’obligation du bilan carbone s’est donc agrandi depuis la rentrée 2023. Néanmoins, comme le constate Laurent Guinaudy, gérant du bureau d’études OC2 Consultants, basé en Martinique, le dispositif peine à être reconnu du monde entrepreneurial. « Cela fait très longtemps que je n’ai pas réalisé de bilan carbone. Il y a presque 10 ans, quand le dispositif a été mis en place, j’ai effectué ceux du Conseil régional et des caisses d’allocation familiales de Guadeloupe et de Martinique, mais depuis plus rien. Autour de moi il arrive que j’entende parler de bilan carbone mais cela a dû arriver à deux ou trois reprises depuis le Covid. » Pour cet expert, il y a un désintérêt pour le bilan carbone dont les causes sont multifactorielles. Premièrement, Laurent Guinaudy soulève que la période Covid a plongé bon nombre d’entreprises dans une logique de survie économique. D’autre part, l’obligation telle qu’elle est énoncée ne concerne qu’une minorité d’entreprises dans les Antilles-Guyane. Enfin, il remarque que « les entreprises ne sont tout simplement pas contrôlées et qu’il n’y a pas de sanction ». Une tendance que confirme Isabelle Lise. De son constat, pour qu’un tel dispositif fonctionne, « c’est la carotte ou le bâton. Il va pourtant falloir que les entreprises s’y mettent car nous connaissons déjà le fonctionnement de ce type de loi. Aujourd’hui, c’est l’obligation pour les entreprises de plus de 50 salariés, demain toutes les entreprises seront concernées ».

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Priorité aux déchets

La démarche orientée bilan carbone n’est donc pour l’instant pas pleinement engagée dans les entreprises martiniquaises. Cependant, ces dernières se mobilisent sur des dispositifs plus spécifiques. « Beaucoup ont pris le pas des audits énergétiques qui permettent des économies d’énergies plus ciblées et donc plus concrètes », explique Laurent Guinaudy. Cabinets de conseils, Bureaux d’études, Ademe ou encore CCIM sont les principaux acteurs pour les démarches d’économies énergétiques. Une fois engagée dans cette voie, l’entreprise se donne l’opportunité d’économiser sur ses dépenses énergétiques tout en s’intégrant dans une stratégie de développement durable. Parmi les préoccupations majeures des entrepreneurs, précise Isabelle Lise, celle de la gestion des déchets. « Nous sommes passés du simple tri binaire des déchets recyclables et non recyclables, à un tri cinq flux et aujourd’hui neuf. » Les entreprises sont progressivement obligées de séparer neuf types de déchets différents, à savoir le papier et le carton, le métal, le plastique, le verre, le bois, la fraction minérale, le plâtre, le textile et les biodéchets. « C’est de plus en plus complexe », poursuit Isabelle Lise. « Les trois communautés d’agglomération ne prennent pas en charge les ordures de toutes les entreprises. Certaines, pour évacuer leurs déchets, paient au poids. Ainsi, il y a une véritable volonté de réduire la quantité d’ordures. Maintenant, il faut en revanche se préoccuper du stockage de nos déchets sur l’île ».

Combien ça coûte ?
Difficile à dire. Ça va dépendre du prestataire (logiciel ou cabinet de conseil), du périmètre d’analyse, de la taille d’entreprise, de son secteur… D’après les estimations de plusieurs startups greentech, comptez entre 5 000 à 10 000 € pour une PME qui passe par un cabinet de conseil. À noter que l’Ademe peut, selon les configurations, apporter un financement.

Un dispositif efficace ?
Sur le territoire national, selon un décompte de 2021 effectué par l’Ademe, sur les 4 970 organisations concernées par l’obligation du bilan carbone, seuls 35 % d’entre elles l’avaient réalisé. Parmi les moins bien notés des élèves figurent les collectivités, qui au moment du décompte étaient 18 % à l’avoir réalisé. En dehors de ces quelques données révélatrices d’un manque d’engouement, l’efficacité d’un bilan carbone, une fois réalisé, dépend du scope choisi. Si le 3 est le plus complet, c’est aussi le plus boudé.