En 2015, la loi de transition énergétique pour la croissance verte a fixé́ l’objectif d’autonomie énergétique pour les Zones non interconnectées (ZNI). Les départements et régions d’Outre-Mer ont jusqu’à 2030 pour passer le cap. Un enjeu réalisable pour la Guadeloupe ? Avec quels moyens ? Éléments de réponse avec Thierry Lecomte, chef du service Risques énergie déchets (RED) à la DEAL Guadeloupe (1).

Texte Sarah Balay – Photo Lou Denim

En quoi la fourniture électrique de nos territoires isolés représente-t-elle un enjeu majeur ?

Nos territoires ne sont pas interconnectés avec un réseau majeur, comme le réseau métropolitain, ce qui en fait des zones non interconnectées (ZNI), donc fragiles. Cela implique une certaine robustesse du système électrique pour faire face à des problèmes de production, transport ou distribution. L’électricité est produite par des centrales au fioul, solides mais fortement émettrices de CO2 et dépendantes d’approvisionnements extraterritoriaux. Le surcoût de production du fait de l’insularité (3 à 4 fois plus qu’en métropole) est compensé solidairement par l’ensemble des Français via une contribution sur leur facture d’électricité. La loi de 2015 oblige à réduire cette dépendance de l’extérieur notamment pour contribuer à limiter l’impact sur le changement climatique. 

À quel stade de cette transition énergétique se situe la Guadeloupe ?

La Guadeloupe dispose de plusieurs atouts : vent, soleil, cours d’eau, ressources géothermales et bagasses. L’électricité consommée en 2022 a été à 35 % d’origine renouvelable et à 24 % d’origine locale. Des valeurs qui progressent. En 2017, le mix électrique était de de 20 % d’origine renouvelable. L’État propose des tarifs d’achat ou des appels d’offre dédiés aux ZNI qui permettent la poursuite du développement des projets EnR électriques. Les objectifs posés par la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) de 2017, co-élaborée par la Région et l’État, ont été atteints notamment pour l’éolien et le photovoltaïque.

Pour autant, si l’on tient compte des transports, contributeurs à près de 50 % de la consommation énergétique primaire et encore presque totalement dépendants de carburants importés, le niveau d’autonomie énergétique tombe à 9,5 %.

Doit-on considérer que nous accusons un certain retard ? Quelles sont les difficultés identifiées ?

Les défis sont nombreux pour atteindre cette destination finale qui devrait, de façon réaliste, déborder au-delà de 2030 : les conflits autour du foncier pour préserver des terres agricoles, les zones protégées et la biodiversité et limiter l’artificialisation des sols ; le temps de développement des projets de géothermie à haute enthalpie(2) ; l’adaptation du réseau électrique pour éviter les black-out lorsqu’un niveau élevé d’électricité d’origine photovoltaïque ou éolien sera atteint (stockage centralisé et autres équipements innovants). 

Concernant les transports, la solution de la mobilité passera, outre le développement d’alternatives (co-voiturage, transport en commun en site propre, solutions cyclables…), par l’électrification du parc pour lequel il y a encore un coût élevé d’achat. Aujourd’hui, les recettes fiscales sur le carburant représentent une ressource importante des collectivités pour lesquelles il faudra trouver un substitut. Enfin, le développement de nouvelles technologies, comme la production et l’utilisation d’hydrogène « vert » (3) pour notamment les mobilités lourdes, devra être accéléré. 

L’autonomie n’est atteignable que s’il y a un effort de maîtrise de la demande d’énergie et une accélération du déploiement des EnR. La révision de la PPE (programmation annuelle de l’énergie) de Guadeloupe pour la période 2024-2033 en tient-elle compte ?

En cours de révision par la Région et l’État, la PPE fixe des objectifs ambitieux. Elle peut s’appuyer sur un dispositif spécifique appelé « cadre de compensation ». Il permet, dans les ZNI, de financer des équipements qui ont un gain net sur le bilan énergétique tels que les climatiseurs A+++, le chauffe-eau solaire à 1 euro ou l’éclairage par des luminaires LED dans le tertiaire. Ces dispositions existent depuis 2019 et les économies sont estimées à 3 %.  

Le projet de PPE prévoit le passage à 100 % d’électricité d’origine renouvelable dès 2028, grâce à la conversion à la biomasse des centrales thermique du Moule et de Jarry. Elle prévoit aussi la poursuite du développement des EnR « locales », avec des objectifs dans 10 ans à x3 par rapport à la capacité installée fin 2022 en capteur photovoltaïque, éolien et hydraulique, et x5 pour la géothermie.

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Est-ce atteignable… ? 

Les objectifs de la PPE sont ambitieux mais réalistes. Ils nécessiteront toutefois que les freins soient pris en compte dès la conception des projets et que le réseau puisse s’adapter pour gérer de façon flexible mais robuste une part très importante de sources d’énergie intermittentes. 

En matière d’électricité, des projets représentant plus de 70 % de la capacité déjà installée sont en attente de raccordement chez EDF. Si le mix électrique peut donc être à près de 60 % d’EnR d’origine locale d’ici à 10 ans, le transport devrait encore faire appel dans une large mesure à des combustibles fossiles encore importés, même si la PPE ambitionne 15 % d’électrification du parc de véhicules.

Il est donc difficile de faire des projections raisonnables à une échéance au-delà de 2033, mais la période de 10 ans à venir devrait permettre de travailler sur les solutions techniques, sociales et fiscales. 

Quelles pourraient être les conséquences si l’objectif de transition énergétique n’est pas atteint ?

Tout pas mené vers l’autonomie énergétique est positif. Si elle n’est pas effective en 2030, cela n’entraînera aucune conséquence dans la vie des Guadeloupéens.  

L’accélération de la mise en place d’EnR locales, la maîtrise des consommations et la recherche d’efficacité énergétique restent les principales priorités pour réduire au maximum les effets du changement climatique. L’occasion de développer des emplois qualifiés, des filières économiques d’excellence et des projets de territoire. 

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La loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, promulguée en mars, peut-elle favoriser les ZNI ?

Absolument, cela pourra intervenir via des simplifications administratives, la possibilité d’implantation de photovoltaïque sur les friches en littoral, la réduction des temps de raccordement électrique, l’obligation de panneaux photovoltaïques pour les grands parkings et surtout la définition, à l’initiative des communes, de « zones d’accélération » des EnR.

Existe-t-il des modèles de ZNI particulièrement performants en matière de production électrique décarbonée ? Sont-ils applicables à nos territoires ?

Les îles caribéennes sont inscrites sur le même modèle que la Guadeloupe. Elle fait d’ailleurs figure d’exemple grâce à son mix varié et la seule centrale de géothermie en activité de la Caraïbe. Parmi les autres ZNI françaises, la Guyane, la Réunion et la Corse, avec un mix électrique d’origine EnR compris entre 28 et 51 %, représentent des modèles légèrement différents avec une part d’hydraulique beaucoup plus importante. Le territoire le plus avancé est l’Islande. Il produit 100 % de son électricité localement grâce à l’hydroélectrique et la géothermie. Il est aujourd’hui autonome à plus de 70 % avec un objectif d’un parc de véhicules électriques de 100 % pour atteindre l’autonomie totale. Cette île a su, grâce à un coût de production électrique maîtrisé, booster son économie et attirer l’implantation d’industries électro-intensives. Un modèle à creuser, notamment pour la poursuite du développement de la géothermie.

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(1) DEAL : direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement. 

(2) Enthalpie : Mesure thermodynamique de la variation de la quantité de chaleur contenue dans un système physique ou chimique.

(3) L’hydrogène vert est le dihydrogène produit : au sens large, de manière décarbonée, sans libération significative de gaz à effet de serre