Comment façonner la résilience de la région Caraïbe face aux risques majeurs ? C’est l’un des axes de travail de l’association française pour la prévention des catastrophes naturelles et technologiques (AFPCNT). Explications et perspectives avec Céline Le Flour, chargée de mission Outre-Mer.

Propos recueillis par Sarah Balay

13 tempêtes, 8 ouragans dont 2 majeurs. La saison cyclonique 2023, qui débute en juin, s’annoncerait de fait moins intense que ces dernières années…

Les différents événements naturels majeurs de l’année 2022 et du début d’année 2023 (sécheresse en France, feux de forêt au Canada, inondations en Italie, ouragan Fiona en Guadeloupe, cyclone Freddy dans l’océan indien, etc.) ont montré que les effets du changement climatiques sont indéniables et que nos capacités de projection peuvent parfois être dépassées. La trajectoire et l’évolution rapide de l’ouragan Fiona en septembre 2022 témoigne notamment de la difficulté à prévenir ces phénomènes et de la nécessité de préparer au mieux les populations pour limiter leurs conséquences matérielles et humaines.

En quoi le dérèglement climatique est-il dangereux pour la région Caraïbe ? Quel type de catastrophes devons-nous craindre ?

La région Caraïbe est composée d’états insulaires particulièrement vulnérables aux effets du changement climatique : montée du niveau de la mer, érosion côtière, pluies intenses, submersion marine, etc. Ce contexte est caractérisé par une augmentation de la fréquence et de l’intensité des catastrophes d’origine météorologique telles que les inondations et les cyclones.

La majorité de la population caribéenne étant concentrée sur les littoraux, eux-mêmes en première ligne de ces phénomènes, l’impact humain et matériel des événements extrêmes dans la région peut être important. De plus, la région Caraïbe est exposée à des risques d’origine géophysique du fait de sa localisation en zone à aléa sismique fort et de la présence d’une vingtaine de volcans actifs dans la région, notamment aux Antilles.

Lire Aussi | Sargasse Project : « Il faut y aller franchement »

Votre association participe à l’amélioration de la culture de la résilience. Comment travaillez-vous avec les Outre-Mer ?

Dans le cadre de son projet sKarabée et avec son groupe de travail sur la résilience des Outre-Mer aux risques majeurs, l’AFPCNT a choisi d’adopter une démarche « bottom-up » : partir des besoins et des préoccupations des acteurs locaux pour co-construire des actions de prévention. Pour ce faire, des groupes locaux rassemblant les acteurs de la réduction des risques (représentants de l’État, collectivités, associations, entreprises, société civile, etc.) ont été créés en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à La Réunion, à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie.

Par ailleurs, l’AFPCNT organise des séminaires tournants sur les risques majeurs en Outre-Mer afin de rassembler les acteurs des différents territoires ultramarins en un même lieu pour partager leurs connaissances et expériences sur des problématiques communes et proposer des actions visant à augmenter la résilience des territoires face aux risques majeurs. La première édition de ce type de séminaire s’est tenue en octobre 2022 en Martinique.

Comment se positionnent les Antilles-Guyane en matière de résilience ?

Du fait de leur exposition et de leur vulnérabilité particulière aux risques majeurs, les populations des territoires ultramarins et en particulier des Antilles-Guyane ont une plus grande conscience du risque que les autres Français. En mars 2023, selon une enquête menée par l’IFOP à la demande de l’AFPCNT auprès de 10 000 Français dont 400 étaient issus des territoires ultramarins, 62 % des ultramarins interrogés avaient conscience que leur logement était exposé à des risques naturels ou technologiques contre 32 % des interviewés de l’Hexagone.

En outre, la fréquence des événements météorologiques extrêmes dans la Caraïbe et l’existence de semaines de sensibilisation telles que les semaines Réplik, Sismik ou la semaine du 13 octobre, durant lesquelles des exercices sont organisés, participent à développer la mémoire et la culture du risque des populations de ces territoires.

Lire Aussi | The Marine Box : faire de la mer « une boîte à outils »

Pensez-vous que les exercices territoriaux de simulation des risques majeurs sont adaptés et efficaces ?

Des exercices territoriaux de simulation de situations d’urgence sont menés régulièrement aux Antilles-Guyane, notamment à l’occasion des semaines et événements régionaux et internationaux de sensibilisation aux risques majeurs. Ils s’adressent généralement à un public particulier : scolaires, collectivités, services de l’État, etc. Par exemple, lors de l’exercice Caribe Wave 2023 qui s’est tenu le 10 mars dernier, de nombreuses communes de la Caraïbe ont participé à un exercice grandeur nature d’alerte tsunami. En ce moment, l’AFPCNT organise également une série d’exercices à destination des communes et intercommunalités de France, en Hexagone et en Outre-Mer (Prépa Risk).

Ces rendez-vous annuels sont essentiels pour développer la culture du risque et la résilience des populations aux risques majeurs et notamment apprendre les bons réflexes à adopter en cas d’événement majeur. Cependant, ils doivent être de plus en plus fréquents et impliquer le grand public.

Les réseaux d’entraide entre les pays de la Caraïbe se sont-ils renforcés depuis l’augmentation des phénomènes extrêmes ? 

Les pays de la Caraïbe sont exposés aux mêmes risques de catastrophes et en particulier aux risques cyclonique, sismique, d’inondation et de tsunami. En ce sens, le partage d’expériences et la solidarité entre territoires de la région sur la gestion de ces risques est primordial. Par exemple, au Lamentin en Martinique, un partenariat entre la commune et Santiago de Cuba a été mis en place pour la protection de la mangrove (barrière naturelle face à l’érosion côtière et au risque de tsunami) et le développement de la réserve de sécurité civile.

La solidarité entre territoires caribéens face à l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des catastrophes prend également la forme d’entraide en cas d’événement majeur. Par exemple, lors de l’éruption du volcan la Soufrière à Saint-Vincent-Les Grenadines, la collectivité territoriale de Martinique a envoyé de grandes quantités de vivres à ses voisins.

Née en 2000, l’AFPCNT est soutenue par le ministère de la transition écologique et solidaire. Elle rassemble des scientifiques, experts, universitaires, élus nationaux et locaux, collectivités territoriales, associations, entreprises ainsi que des représentants de l’État.

Une question de politique publique
« S’il est vrai que nos décideurs sont de plus sensibilisés au dérèglement climatique, les risques induits (élévation du niveau de la mer et intrusion marine, accentuation et récurrence des situations extrêmes…) n’ont pas encore été suffisamment et convenablement traduits dans les politiques publiques. En clair, les déclinaisons régionales et locales font défaut. Pour pondérer les conséquences à l’échelle de nos territoires, il convient donc d’adapter les politiques nationales au contexte micro insulaire antillais et aux particularités guyanaises. »
Pascal Saffache, Professeur des universités (géographe aménageur et environnementaliste)