On a choisi de les baptiser la Green Team dans cet article. Aux Antilles-Guyane, ils sont une quinzaine de chercheurs à pied d’œuvre pour mesurer l’impact du réchauffement climatique et imaginer des solutions. De manière directe ou indirecte, leurs travaux participent à l’élan scientifique mondial pour limiter les conséquences du réchauffement climatique. Huit d’entre eux nous ont ouvert leur laboratoire et leur cahiers de recherches.

Texte Sarah Balay

Université des Antilles, pôle Guadeloupe

Green Team

Didier Bernard (maître de conférences, habilité à diriger des Recherches (HDR), Malaïna Bèdè (étudiante en Master II risques et environnement ; sujet : îlot de chaleur urbain aux Antilles françaises : cas de la conurbation de Cap-Excellence); Raphaël Cècè (ingénieur d’études, docteur en physique de l’atmosphère), Romuald Chery (doctorant, climatologie des précipitations et pluies extrêmes hors cyclones en Haïti) et Narcisse Zahibo (professeur des universités ; (absent de la photo).

Nous produisons la connaissance scientifique sur les impacts du réchauffement global

Comment étudiez-vous le réchauffement climatique ?

Basés au sein du laboratoire LaRGE (laboratoire de recherche en géosciences et énergies), nous travaillons dans le domaine des risques naturels et anthropiques. Les données historiques collectées permettent de décrire les évolutions dues au changement climatique. Nous utilisons des codes numériques météorologiques, des outils d’intelligence artificielle, des observations intensives pour comprendre les mécanismes physiques sous-jacents et produire de la connaissance scientifique sur les impacts du réchauffement global dans le bassin géographique des Caraïbes.

Sur quoi avez-vous travaillé ? Dans quel(s) but(s) ?

Notre équipe produit et partage des connaissances scientifiques en termes : d’analyses des tendances (évolution des températures, des
précipitations …), de description des mécanismes physiques des impacts (rafales extrêmes et bandes spiralées des cyclones, pluies extrêmes, élévation des températures, modification du trait de côte…), de submersion. En Guadeloupe, nos travaux indiquent que d’ici à 30 ans, sont attendus -10 % sur les précipitations, +2°C sur la température, 160 km du littoral en érosion et une intensification des cyclones. Ces impacts doivent faire l’objet de propositions d’anticipation et d’aménagement.

S’il devait y avoir UNE mesure phare à prendre ?

La création d’un centre de ressources sur l’adaptation au changement climatique en milieu insulaire.

Et une mesure individuelle ?

Réfléchir à sa consommation alimentaire (favoriser les produits régionaux et de saison, réduire les apports en protéine animale) et énergétique.

Ywenn De La Torre, Directeur régional du BRGM Guadeloupe, (bureau de recherches géologiques et minières).

L’entretien des fosses est capital pour la survie des coraux

Comment intervenez-vous à l’échelle locale ?

Je coordonne nos activités sur les effets du changement climatique sur le littoral et je participe aux travaux de la commission caribéenne de la mer de l’association des Etats de la Caraïbe.

Sur quoi avez-vous travaillé ?

Sur les risques littoraux : comment l’élévation du niveau de la mer, l’intensification des cyclones, l’acidification des océans accroissent les risques d’érosion côtière et de submersions marines. Une attention est apportée au suivi à long terme du littoral ainsi qu’aux solutions fondées sur la nature en matière de protection et d’adaptation (rôle de la végétation littorale, des récifs coralliens, etc.).

S’il devait y avoir UNE mesure phare à prendre ?

Recomposer le territoire en réservant une bande de « respiration » au littoral afin qu’il puisse évoluer sans impacter les biens et les populations.

Et un comportement individuel ?

Les récifs coralliens constituent une barrière naturelle vis-à-vis des vagues et des cyclones. Or, ils sont en piteux état, en raison des eaux usées et du manque d’assainissement qui dépend, en majorité, en Guadeloupe, des fosses septiques. Leur entretien est donc capital pour la survie des coraux et notre protection à tous.

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Christophe Valère Montout, Météo-Conseil Unité Climat, dérives océaniques à Météo-France, Guadeloupe.

Green Team

Ne plus « tout » importer

Quels types de travaux menez-vous ? 

Nous intervenons dans le cadre de partenariats scientifiques : projet de recherche FEDER (Région Guadeloupe) «C3AF» (changement climatique et conséquences aux Antilles françaises) et «Guyaclimat» pour la Guyane.

A quoi servent vos données ?

Nos travaux sur les impacts sur les personnes et les biens doivent être transmis vers le grand public et les décideurs.

S’il devait y avoir UNE mesure phare à prendre ?

L’eau est un élément capital et l’enjeu majeur de notre futur. Il nous faudra maîtriser cette ressource en s’adaptant face à l’intensification des sécheresses. Les températures chaudes la nuit deviendront aussi un obstacle à la santé.

Et un comportement individuel à adopter ?

Aux Antilles-Guyane, l’électricité demeure très (pour ne pas dire « que »)
carbonée. Il faut vite modifier nos sources de production et limiter notre consommation. Ne plus « tout » importer mais produire ce qui nous est réellement nécessaire.

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Martine Lheureux, animatrice, formatrice et référente Martinique de la Fresque du Climat (Stratégie Résilience BY Excellensys Partners, Martinique et Guyane).

Green Team

Sortir du déni

Comment intervenez-vous sur ces questions climatiques ? 

Mon échelle est celle de la vulgarisation des travaux du GIEC, à travers la Fresque du Climat. C’est un atelier qui comprend des conférences interactives, contes, théâtre, forum.

Sur quoi précisément avez-vous travaillé ? 

Je travaille sur nos capacités d’adaptation et de résilience. Pour faire face, il faut prendre conscience. Je m’attache à sensibiliser et faire ressentir l’urgence de et la nécessité de s’adapter, en entreprise, en collectivité, ou au quotidien.

S’il devait y avoir UNE mesure phare à prendre ?

Mener à grande échelle des actions territoriales pour sortir du déni et se doter d’une capacité de choix et de résilience ; comprendre le défi pour que nos choix ne soient pas des solutions dictées par la métropole, mais guidés par notre envie de résilience. Plus nous attendons, plus l’action nous sera imposée.

Et une mesure/comportement individuel ?

Rejoindre un groupe actif (jardin partagé, association environnementale, fresque du climat…) car on ne peut être résilient seul.

Philippe Palany, responsable de la division études, climat, R&D à la direction interrégionale Antilles-Guyane de Météo-France, Martinique.

Green Team

Eviter l’usage domestique de la climatisation

Dans quel cadre contribuez-vous aux travaux sur le changement climatique ?

Ce sont des travaux dits de régionalisation des effets du changement climatique, que nous menons dans le cadre de partenariats scientifiques : projet de recherche FEDER (Région Guadeloupe) «C3AF» (changement climatique et conséquences aux Antilles françaises) et «Guyaclimat» pour la Guyane.

Quel est le but de vos résultats de recherche ? 

Il s’agit de répondre à la question sur ce que nous observons depuis quelques années, mais aussi sur ce que nous projetons dans le futur afin d’accompagner et comprendre les impacts de ces évolutions sur les personnes et les biens des territoires.

S’il devait y avoir UNE mesure phare à prendre ?

Une maîtrise de la ressource en eau apparaît un enjeu majeur. Les manques d’eau seront une menace sur notre capacité de produire et de vivre sur nos territoires.

Et une mesure/comportement individuel ?

Limiter sa consommation électrique et éviter l’usage domestique de la climatisation.

Pascal Saffache, professeur des universités (géographe aménageur et environnementaliste),
Martinique et Guadeloupe.

Green Team

L’objectif est l’anticipation à tous les niveaux

Dans quel cadre contribuez-vous aux travaux sur le changement climatique ?

J’ai participé aux COP 21 (Paris, France 2015), COP 22 (Marrakech, Tunisie 2016), COP 23 (Bonn, Allemagne 2017) et COP 24 (Katowice, Pologne 2018), en tant « qu’expert en appui des parties (Party overflow) ».

Sur quoi ont porté vos recherches ?

Il s’agissait de démontrer la grande vulnérabilité des populations micros insulaires face à l’élévation du niveau de la mer (réduction des surfaces urbaines et agricoles) ; le rôle positif de la mangrove dans la pondération de l’élévation du niveau de la mer et notre manque d’anticipation face aux sécheresses de plus en plus longues et intenses. L’objectif majeur étant l’anticipation à tous les niveaux, et particulièrement en matière d’aménagement du territoire.

S’il devait y avoir UNE mesure phare à prendre ?

Sur des territoires aussi sensibles que les nôtres, il convient d’anticiper les évolutions environnementales en cours, en repensant l’aménagement de l’espace. La révision des SAR (schéma d’aménagement régional) dans les DFA s’impose.

Et une mesure individuelle ?

Impulser au grand public une vraie prise de conscience, une vraie culture du risque via des actions répétées de vulgarisation. La population doit apprendre à se prendre en charge pour faire face à des situations de plus en plus problématiques et complexes.

Chloé Maffre, ingénieure d’études et de développement à la direction interrégionale Antilles-Guyane de Météo-France, Martinique.

Une meilleure gestion de la ressource en eau

Comment étudiez-vous l’impact local du réchauffement ?

Je contribue aux travaux de régionalisation des effets du changement climatique à partir des scénarios d’émissions de gaz à effet de serre du GIEC. Notre travail s’est déroulé dans le cadre du projet FEDER C3AF (changement climatique et conséquences aux Antilles françaises) et du projet Guyaclimat pour la Guyane.

A quoi servent vos données ?

A valoriser des connaissances auprès d’interlocuteurs institutionnels ou privés et du grand public. Une fois les projections climatiques réalisées, il faut en tirer les messages les plus pertinents pour les besoins de chacun : une collectivité pourra s’intéresser aux moyennes annuelles ou mensuelles de pluviométrie ; un assureur plutôt par l’occurrence de phénomènes extrêmes à venir et leur intensité maximale.

S’il devait y avoir UNE mesure phare à prendre ?

Une meilleure gestion de la ressource en eau. Avec l’intensification des sécheresses à venir, les coupures récurrentes pourraient menacer sérieusement notre résilience, notamment agricole.

Et un comportement à adopter ?

Diminuer nos émissions de gaz à effet de serre. En Martinique, l’électricité est très carbonée. Limiter sa consommation, en évitant la climatisation à outrance, est un comportement individuel facile à mettre en place.