À la tête du conservatoire botanique national (CBN) de Martinique, Guillaume Viscardi et ses collègues botanistes et écologues arpentent l’île pour inventorier, conserver, cartographier, protéger et faire connaître un patrimoine végétal unique au monde. Rencontre.

Texte Alix Delmas – Photo Jean-Albert Coopmann

Le CBN est devenu en 2020 le douzième conservatoire botanique national de France et le second en Outre-Mer après celui de la Réunion…

Depuis l’obtention de l’agrément national, notre équipe s’est étoffée, nous sommes dix, répartis sur des missions d’acquisition de connaissances, d’inventaires de terrain, de cartographie de répartition des espèces, de constitution de l’herbier et de gestion de notre pépinière conservatoire composée de plus de 300 espèces.

De par notre expertise scientifique et technique, nos connaissances botaniques, nous travaillons en collaboration avec les gestionnaires d’espaces naturels comme le parc naturel régional, l’ONF (Office National des Forêts) ou le conservatoire du littoral. Nous effectuons actuellement la mise à jour de l’inventaire des espèces végétales de la réserve naturelle nationale de la Caravelle.

En quoi consiste le travail du CBN concernant la protection des espèces sur le territoire ?

La raison d’être du CBN est de conserver les espèces rares et menacées de la flore autochtone de Martinique. Pour préserver ce patrimoine végétal en danger, nous menons des projets de conservation, ce qui consiste à améliorer les connaissances sur ces espèces, les réintroduire dans le milieu naturel – ou renforcer les dernières populations – afin de s’assurer qu’elles survivent et se pérennisent.

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Concrètement, il existe plusieurs niveaux d’intervention ? 

Les “plans nationaux d’actions” sont mis en œuvre surtout pour les espèces endémiques strictes de Martinique et en danger d’extinction. Les “plans d’urgence” consistent en des recherches ciblées sur le terrain d’espèces qui n’ont pas été vues depuis plus de cinquante ans et donc supposées disparues.

À cela s’ajoutent des “plans directeurs de conservation”, plus locaux, comme par exemple ceux menés sur la liane à barrique ou le gaïac, pour lequel nous allons procéder à des réintroductions.

Nous animons actuellement 3 plans nationaux d’actions qui concernent notamment l’Estrée de Saint-Pierre, l’Ananas bois et le Merisier montagne, deux espèces que l’on trouve ensemble au sommet de la montagne du Vauclin, et un dernier plan en attente de validation concerne les espèces menacées des ripisylves (les formations végétales qui poussent en bord de rivière).

Selon l’IPBES* qui est le “GIEC de la biodiversité”, les espèces exotiques envahissantes (EEE) sont la troisième cause de l’effondrement de la biodiversité. Que pouvons-nous faire ?

Pour vous donner un exemple parlant, depuis son introduction dans les années 50, un iguane originaire d’Amérique du sud menace d’extinction l’iguane endémique des petites Antilles. Moins visible mais tout aussi pernicieux, c’est le même phénomène avec des plantes exotiques, principalement introduites pour l’ornement. Aussi, nous travaillons à la valorisation du fond floristique natif des petites Antilles pour mettre en place une marque de végétaux locaux produits pour l’aménagement du territoire : pour reconstituer des milieux et permettre la réintroduction d’espèces menacées. C’est aussi l’occasion pour la Martinique d’arborer une identité paysagère singulière face à l’homogénéisation des paysages générée par les exotiques…

* Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques

À SAVOIR
La Martinique appartient aux îles de la Caraïbe identifiée comme l’un des 36 hotspots de la biodiversité mondiale. Elle possède plus de 1 600 espèces indigènes, 167 espèces endémiques des petites Antilles et 37 espèces endémiques strictes (de Martinique exclusivement).
indigène : qui pousse naturellement dans une région donnée, sans intervention humaine
endémique : présente exclusivement dans une région géographique délimitée
endémique stricte : on ne la trouve nulle part ailleurs dans le monde

5 Missions d’intérêt général :
– Connaissance : flore, fonge et végétation/habitat à l’échelle du territoire.
– Conservation : contribution à la gestion conservatoire de la flore et à la restauration écologique
– Sensibilisation : campagnes d’information grand public, expositions temporaires, ateliers scolaires.
– Centralisation des données : un système d’information à l’étude, MadinFlora, permettra de donner accès à tous aux données d’observations floristiques.
– Contribution aux politiques publiques : grâce à des données scientifiques à jour.

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